J’aime, que dis-je aimer, j’idolâtre les intellectuels. J’irais, si j’étais plus sociable et que j’en avais la place et les
moyens nécessaires jusqu'à en adopterais un. Car, à l’exemple de ceux venus d’ailleurs
(ne viennent-ils pas généralement d’une autre planète ?), ils nous
enrichissent.
Là où l’imbécile ne voit que de la lumière, l’être supérieur
voit toutes les couleurs du spectre. Là où le simple voit un tueur, l’intellectuel
voit une victime d’une foule de déterminismes (généralement sociaux) qui le
rendent au moins autant à plaindre que l’assassiné et ceux qui portent son
deuil. L’intellectuel, c’est celui qui démasque sous les pseudo-évidences la
complexité du réel. Celui qui, lorsque vous lui dites que, sans lumière, on y
voit généralement moins bien la nuit que le jour, vous explique que ce n’est
pas si simple avec un sourire paternaliste. Il préfère le doute à la certitude,
le relativisme à la conviction, la complexité paralysante et passive à la
simplicité agissante et réactive.
Hélas comme, le disait cet idiot de Michel Audiard, « Un intellectuel assis va moins loin qu'un con qui marche » A
quoi ses partisans répondront : « mais l'intellectuel, quand il se lèvera, il ira dans la bonne direction
! ». Encore faudrait-il qu’il se lève un jour et que les résultats de
son action corroborent cette objection. Ce que le passé n’a pas toujours
clairement démontré. Qu’importe d’ailleurs puisque, amoureux du paradoxe, l’intellectuel
vous démontrera sans mal que l’échec est une réussite, la défaite une victoire
ou l’erreur une source de vérité.
D’où vous viennent ces considérations désabusées, me
demanderez-vous ? Il se trouve qu’hier M. Michel Desgranges a commis un
article que j’eus la faiblesse de trouver frappé au coin du bon sens en
plus d’être impeccablement rédigé comme à l’accoutumée. Celui-ci provoqua sur Facebook
une réaction d’un « ami » commun selon lequel « Le problème est que
"le peuple" et la "mémoire collective" sont des fictions. »
Dès lors, si peuple et mémoire collective n’existent pas réellement, comment le
premier pourrait-il s’autodétruire et la seconde s’effacer. « Détruire ce qui n’a jamais existé est
impossible, mon pauvre ami ! » sous-entend-on !
Il me semble que ce contradicteur a tendance à jeter l’enfant
avec l’eau du bain. Certes, la mémoire « collective » n’est partagée
qu’à des degrés divers par un peuple. Certes, ce dernier n’est, n’a été ni ne sera
jamais unanime. Mais nier son existence pour ces raisons est une erreur typique
de l’intellectuel relativiste. Qui, curieusement, passe du relatif au manichéen :
si le degré de mémoire et l’homogénéité d’un peuple ne sont pas totaux, alors
la notion même de peuple est illusoire. Mon voisin Raymond ne saurait donc, pas plus
que moi, appartenir à un peuple français souffrant de ce défaut rédhibitoire qu’est
l’inexistence.
Eh bien, je m’inscris en faux à cela. Il se trouve que je
partage avec Raymond bien plus de choses que je ne saurais le faire avec le
plus cultivé des Papous monolingue. Notre langue commune nous permet de
communiquer. Quand il me parle de sa guerre d’Algérie, je sais à quoi il fait
allusion. Faire une liste exhaustive de nos points communs comme de nos différences
serait long. Il n’empêche que ce qui nous réunit l’emporte sur ce qui nous
sépare, permet notre bonne intelligence et confirme notre appartenance commune
au peuple français. Même les Français auxquels il arrive que je m’oppose me
répondent d’une manière spécifiquement française et non comme pourraient le faire d’éventuels
membres d’une humanité indifférenciée qui, elle, n’a d’existence que dans l’esprit
fumeux de « citoyens du Monde »
qui seraient pour la plupart bien en peine de vivre, prospérer ou
simplement communiquer au sein d’un autre peuple.