..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

samedi 28 mars 2015

Résurgences du passé



I
Hier, j’ai reçu de mon frère un document que je croyais perdu à jamais : la traduction que j’avais faite il y a quelques années déjà de Snuff Fiction du brave Robert Rankin. J’en avais fait mon deuil. Sa disparition était due à l’excès de confiance qui m’avait poussé à confier mon ordinateur en panne, afin qu’il le répare, à mon voisin qui se targuait d’opérer une rapide remise sur pieds de l’appareil défaillant. On ne nous apprend hélas pas dès l’enfance le sage précepte de Lao-Tseu selon lequel « Le voisin est un loup pour l’homme ».  Bien entendu, et malgré mes nombreuses requêtes je ne revis pas plus mon unité centrale que les outils que j’avais eu la folie de lui prêter.  Puisse cette charogne rôtir à jamais dans un cercle si spécial des enfers qu’il fut caché à Dante ! Ainsi des heures et des heures de labeur intense disparurent. Et puis me revint il y a quelques jours que j’avais transmis le fichier informatique de mon œuvre à mon frère afin qu’il m’exprimât son sentiment sur le livre. Je lui envoyai donc un mail lui demandant, si, par le plus grand des hasards, il n’aurait pas conservé trace de mon envoi. Et, miracle, alors que je n’y croyais pas vraiment, il le retrouva dûment gravé sur un disque ! Ainsi, vais-je pouvoir  le relire et éventuellement y apporter des corrections. Comme je ne suis pas chien, je vous en offre deux extraits du premier chapitre évoquant l’heureux temps du tabagisme décomplexé :

« C’est vraiment Mr Vaux qui nous a fait fumer. Bien sûr, à cette époque tout le monde fumait. Les stars comme les politiciens. Les médecins comme les infirmières. Les prêtres en chaire comme les sages-femmes au travail. Les footballeurs  s’offraient une Wild Woodbine à la mi-temps et on voyait rarement un marathonien franchir la ligne d’arrivée sans une clope au bec.
Quel beau souvenir que ces premières images de Sir Edmund Hillary  au sommet de l’Everest  tirant sur une Senior Service !
C’était vraiment le bon temps. »

« Dans le Nord du pays, où ils étaient évidemment plus éclairés, les enfant des écoles primaires étaient autorisés, et même encouragés à fumer en classe. Cela,  sans aucun doute, afin de les préparer à la vie au fond des puits, puisque à l’époque tous les hommes vivant au nord de la Wash1travaillaient dans les mines de charbon. Tandis qu’à Londres où j’ai grandi et à Brentford, où je suis allé à l’école, on n’avait pas le droit de fumer avant d’avoir réussi l’examen d’entrée en sixième et d’aller au lycée.
Aussi, comme le faisaient tous les enfants, nous fumions dans les toilettes pendant la récréation. Les toilettes étaient toutes équipées de cendriers fixés près du distributeur de PQ et une fois par jour, le responsable des cendriers faisait son tour et les vidait. Responsable des cendriers était un des meilleurs postes de responsable, vu qu’on pouvait souvent récupérer un bon nombre de cigarettes à moitié fumées, hâtivement écrasées quand la sonnerie de fin de récréation avait retenti, et dont on pouvait encore tirer quelques belles bouffées.
Il y avait alors des responsables pour tout. Un responsable du lait, un responsable de la craie, un responsable de l’encre, un responsable des fenêtres, chargé d’utiliser le long manche muni d’un crochet à son bout ; un responsable chargé de distribuer les manuels scolaires et de les récupérer ensuite. Il y avait le responsable de la voiture qui lavait la Morris Minor de la directrice ; le responsable des chaussures, chargé de cirer celles des instituteurs ; et bien entendu le responsable spécial qui s’occupait des besoins des maîtres masculins portés sur la pédophilie.
Moi-même, j’étais responsable des fenêtres, et si j’avais reçu une Livre pour chaque carreau cassé accidentellement et pour chaque raclée reçue en conséquence, j’aurais aujourd’hui assez d’argent pour employer un responsable spécial qui adoucirait les misères de ma vie déclinante. »
II
Il y aura bientôt treize ans que j’ai vu Derek pour la dernière fois. Nous fêtions son départ à la retraite et ma mutation du charmant endroit où nous enseignions. Deux événements patiemment espérés. Nous avons bien eu, au début, quelques échanges téléphoniques et puis la vie nous a fait dériver suivant des courants différents. Et voilà que ce matin, probablement suite à un rêve, je me réveille avec cette lancinante question : quel pouvait bien être le nom de famille de ce cher ex-collègue ? Impossible de m’en souvenir ! Il me semblait bien que ça devait être un prénom, mais lequel ? Me revint en mémoire un papier sur lequel je me souvenais avoir un jour noté ses coordonnées lequel avait été glissé dans un vieux carnet d’adresses retrouvé au fond d’un tiroir lors de ma migration vers les collines. Je trouvai ledit carnet. S’y trouvait ledit papier. Hélas, la seule identification qu’il signalait était « Derek » ce qui laissait le mystère entier. Toutefois, ledit carnet contenait une entrée indiquant une adresse plus ancienne laquelle s’accompagnait du patronyme. Je feuilletai ensuite ce recueil d’anciens contacts vieux de plus de vingt ans. Y figuraient parmi des adresses de services ou d’employeurs (j’en avais alors plusieurs) le nom d’amis, d’anciennes copines, totalement perdus de vue, certains morts depuis, et aussi, de gens tout à fait oubliés dont la présence sur ces pages était un total mystère. N’étant pas Modiano, je ne m’en souciai pas plus avant…


1 Grande baie située sur la côte est de l’Angleterre

vendredi 27 mars 2015

La tête de l’emploi



Le pilote suicidaire de Germanwings ne montrait pas de signes évidents permettant de deviner ses sombres desseins. Du coup, tous ses plus ou moins proches sont étonnés comme un Français le serait si un gouvernement socialiste prenait une mesure sinon utile du moins pas trop nocive.

Et c‘est à chaque fois la même chose : le violeur de nains de jardins n’avait pas la tête à ça. Qui aurait pu soupçonner que le dépeceur de grands-mères était ce paisible PDG du CAC 40 ? Comment un bon gauchiste aurait-il pu déceler parmi les usagers de son autobus un électeurs du FN (et en conséquence le massacrer démocratiquement à grands coups de talon dans la face  si celui-ci est malingre et isolé) ? Pourquoi ne voit-on pas à l’avance que ce sympathique voisin ne vous rendra jamais les outils qu’il vous emprunte*, etc. ?

Tout ça est fort angoissant : nous sommes entourés de gens apparemment braves. Il semblerait même que plus les gens s’apprêtent à commettre d’impardonnables méfaits plus ils semblent sympathiques, sains et équilibrés. On se demande même pourquoi on ne dénonce pas à la police ceux de ses proches ou connaissances dont on trouve le comportement exemplaire. Juste au cas où…

Il m’arrive assez fréquemment de critiquer les réalisations du créateur en matière d’animaux mais jusqu’ici je n’avais rien trouvé à redire au sujet de l’homme. Il faut dire que, l’ayant fait à son image, il ne pouvait qu’approcher la perfection. Les quelques dizaines de siècles d’histoire que nous connaissons l’ont clairement démontré. Cependant, à l’occasion d’une prochaine création, s’Il me lit, j’aurais l’outrecuidance de Lui suggérer une modification : afin d’éviter surprises et déboires, il serait utile que d’une manière ou d’une autre il soit possible à chacun de déterminer au premier coup d’œil la véritable nature des personnes rencontrées. Ainsi, l’escroc cesserait d’inspirer confiance (ce qui le pousserait à se lancer dans un autre domaine d’activité), on saurait dès l’abord que le paisible retraité d’à côté est un potentiel tueur en série, que le prince charmant est en réalité un tyran domestique particulièrement violent, que la si caressante et douce demoiselle n’en veut qu’à votre argent, etc.

La vie en serait simplifiée et on cesserait d’entendre ou de voir dans les media les sempiternels témoignages de voisins selon lesquels les plus odieux criminels n’avaient vraiment pas l’air capables de leurs insignes méfaits. 

*Je parle là d'expérience !

jeudi 26 mars 2015

Expliquer, comprendre, excuser…



Tout s’explique. La compréhension peut suivre l’explication. Ce qui n’implique aucunement l’excuse, le pardon ou le soutien.

Hier, deux commentateurs ont exprimé ici leur incapacité à comprendre que des policiers puissent se montrer malhonnêtes. Il est pourtant simple d’expliquer d’une manière ou d’une autre les raisons de leurs errances : appât du gain, faiblesse déontologique, démoralisation, sentiment d’impunité, etc. On peut ou non accepter telle ou telle explication de leur comportement. Si on l’accepte, on comprend la logique de leur motivation ce qui ne veut pas dire qu’on  l’approuve et qu’on se refuse à la condamner. C’est par un abus de sens que comprendre est pour certains devenu synonyme de partager, d’excuser voire de soutenir.

Ainsi lorsque le bon Charles De Gaulle, du haut du balcon du Gouvernement Général, lança le 4 juin 1958 son célèbre « Je vous ai compris ! » à une foule algéroise en liesse, cette déclaration, prise pour un soutien franc et massif, ne faisait-elle peut-être qu’exprimer que le Général avait bien saisi les aspirations de son public sans pour autant les partager comme ses actions ultérieures l’allaient montrer… De même votre banquier peut très bien comprendre à quel point le prêt de 50 000 € que vous lui demandez faciliterait votre projet de vous acheter une nouvelle voiture, d’aller faire la bringue avec des putes sur la côte et de vous refaire la cerise au casino. Seulement le fait que vous soyez chômeur en fin de droit peut l’inciter à ne pas vraiment soutenir votre dossier… On peut encore comprendre que ses pulsions violentes incontrôlables, sa situation matérielle précaire, son absence de bases morales solides et une sexualité  perverse aient pu pousser Mimile à violer, torturer et s’emparer des économies d’une pauvre vieille avant de la dépecer. De là à l’absoudre…

C’est pourquoi comprendre et excuser devraient être clairement distingués. Pour certains de nos amis de gauche l’explication suffit à l’excuse : ainsi la précarité justifie-t-elle et absout-elle à leur yeux la délinquance qui est ipso-facto présentée comme une solution aux problèmes économiques. Qu’une situation matérielle difficile puisse favoriser certains écarts est évident mais ne saurait constituer plus qu’une circonstance atténuante dont il ne faudrait pas abuser. La justice a pour objet d’assurer la paix civile et non de se substituer à un Dieu de clémence.  La police a pour mission de maintenir l’ordre. Un policier corrompu nuit gravement à ce dernier. C’est pourquoi il doit, comme le délinquant, encourir toute la sévérité de la loi. Seulement, une société qui a perdu le nord, tend à saisir les écarts de certains pour minimiser, voire justifier, les errances d’autres. Une telle confusion risque de mener à l’anarchie et la barbarie.

J’espère avoir été compris, sinon approuvé.

mercredi 25 mars 2015

Les ripoux



J’apprends avec une consternation mêlée d’effroi que des membres de nos forces de police seraient inquiétés par la justice pour de bien vilaines actions. Ils exerceraient à Stains, riante bourgade de la Seine-Saint-Denis. Avec peine je tente de me remettre de ce choc. Car le policier, c’est le garant et le gardien de notre paix civile, celui sur les robustes épaules duquel reposent l’ordre et l’harmonie sociale, celui qui protège la veuve, l’orphelin, la famille monoparentale… Il se doit d’être un exemple moral pour notre belle jeunesse, surtout celle de nos jolies banlieues, toujours en quête de rectitude, d’honneur et de probité ! Imaginez le désarroi de ces jeunes âmes, parfois venues de si loin pour partager et enrichir nos valeurs ! Tout un monde qui s’écroule ! Ces hommes ont gravement failli. Tout mot serait trop faible pour les fustiger !

Tout ça est bel et bon mais si on regardait un peu la réalité ? Ces forces de l’ordre qui opèrent dans des quartiers « sensibles », quelle est leur vie ? N’arrive-t-il pas qu’elles se fassent caillasser quand elles y rentrent ? Ne voient-elles pas des braves garçons qu’ils ont traqué des mois durant ressortir de chez le juge libres et un sourire narquois aux lèvres ? Bénéficient-elles d’un haut salaire ?  Sont-elles tenues en haute estime par la population ?  Ne vivent-elles pas des situations pénibles à l’extrême ? Ne sont-elles pas témoins des actes les plus sordides qu’on puisse imaginer ? N’ont-elles pas parfois l’impression de mener un combat inégal contre la pègre ? D’entrer sur le ring avec les mains attachées dans le dos ? Ne voient-elles pas le crime sinon récompensé du moins rapidement absout ? Ça peut créer du vague à l’âme, non ?

Face à de telles situations, chacun réagit à sa manière. La plupart des intéressés en prend son parti. C’est comme ça et pas autrement. On fait son boulot en attendant que ça se passe. On se fait à tout. On appelle ça la résilience. Et puis il y a ceux qui ne s’y font pas. Un taux de suicide deux fois et demi supérieur à la moyenne. Une cinquantaine en 2014. Mais à ça rien à redire : c’étaient des faibles. Ils avaient des problèmes personnels. Pas de quoi en faire un fromage. Et puis il y a ceux qui se disent que tant qu’à faire le guignol dans une société de guignols, autant que ça rapporte. Ils s’adonnent à des petites combines pas bien catholiques. Je ne les excuse pas mais je les comprends. Il arrive qu’ils se fassent coincer…

Seulement pour un ripou combien de suicidés ? Combien de démoralisés ? Combien de résignés ?

mardi 24 mars 2015

Retour à Brideshead



Je viens de terminer la lecture de Brideshead Revisited (Retour à Brideshead in French) de M. Evelyn Waugh. Je dois à l’honnêteté de reconnaître que les cinq ouvrages précédemment lus du même auteur m’avaient laissé des impressions, disons…   …diverses. Si le ton léger et ironique de Scoop m’avait ravi, si les mésaventures quasi-picaresques de Paul Pennyfeather dans Decline and Fall (Grandeur et décadence) m’avaient agréablement diverti,  si j’avais passablement apprécié The Loved One (Le cher disparu), il n’en alla pas de même pour l’interminable récit guerrier The Sword of Honour Trilogy ou encore pour le divorce narré  dans A Handful of Dust (Une poignée de cendres). J’en étais venu à me demander si cet auteur, en dehors de me permettre de souffler entre deux fantaisies de l’aimable Wodehouse, n’était pas trop inégal quand il s’éloignait de la satire.

Le hasard de la disponibilité de l’ouvrage en occasion sur Amazon fit que ce n’est que récemment que me parvint Brideshead Revisited. Pourtant plus de quatre mois s’étaient écoulés depuis que l’ami Didier Goux m’avait fait découvrir le nom de Waugh avant de recommander chaudement cette lecture, terminant par ces mots : « Le livre refermé, on a l'impression qu'on vient de lire un grand roman. Cette “impression”, c'est toute l'élégance d'Evelyn Waugh. » Ça donne envie, non ? Même si cette opinion émane d’un fan de Proust, auteur dont la brute épaisse que je suis n’a jamais pu lire plus de quelques phrases avant que le livre ne lui tombe des mains…

Eh bien, je dois dire que le récit de Charles Ryder m’a passionné. De quoi qu’y cause-t-y ton sacré bouquin, me demanderiez-vous si plutôt que fins lettrés vous étiez d’infâmes ploucs ? 

Durant la seconde guerre mondiale, les hasards de la vie militaire ramènent le narrateur à Brideshead, la propriété des Marchmain, famille de la haute aristocratie britannique avec qui Charles a jadis et naguère entretenu des liens étroits que ce soit à Oxford avec Sebastien, le fils cadet, ou Julia, sa sœur, avec qui il vivra bien plus tard une longue liaison avant qu’ils ne se séparent pour des raisons qui échappent à mon esprit de mécréant. 

Étude d’une longue maturation, hymne à une société révolue, roman initiatique ou nostalgique, histoire d’amitié et d’amour ? C’est tout cela à la fois et bien plus. J’avoue n’avoir vu aucune trace du burlesque dont Didier fit un des charmes discrets du récit. Qu’importe au fond ? Un grand roman, tient du Rorschach et de l’auberge espagnole : on y trouve ce qu’on y apporte. Cette infinie et multiple richesse en fait tout le prix.