..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

mercredi 30 juillet 2014

Un été avec Baudelaire ?



En ce moment, un peu avant huit heures, sur la RSC™, on nous offre le temps d’un été l’occasion de passer quelques instants en compagnie de Baudelaire. Vu qu’à cette heure je finis généralement mon bol de café au lait en remplissant une grille de mots croisés de Michel Laclos, l’oreille que je lui prête est un brin distraite. Surtout que l’idée de passer un été avec ce pauvre Charles ne me dit rien qui vaille.

Comme tout adolescent, j’ai ressenti un choc à la découverte de ses Fleurs du mal. Et c’est bien naturel pour un jeune qui, étouffant dans une famille micro-bourgeoise et ultra catholique, trouve dans les livres une porte de secours donnant sur les étoiles. Comme le disait si bien Arthur, on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans (à moins qu’on ne le soit trop) : on rêve plus qu’on ne vit, on se fait des films, on se voit romantique, héroïque, passionné. On s’imaginerait même du talent… On se sent Nerval de banlieue, Rimbaud en vadrouille, tel un albatros rongé de spleen, on est à l’aise dans sa vie comme une grenouille dans une meule de paille. Et puis, le Charles, il habille d’une forme superbe ce fond qu’on s’imagine partager…

Seulement, le temps passe, inéluctable. On ne va pas rester ado à jamais, vu qu’on n’est pas poète. Il y a un temps pour chaque chose comme dit l’Ecclésiaste. On se construit une vie, pas plus vraie que celle des livres, souvent moins haute en couleur, on se trouve un Harar de pacotille où on mène ses petites affaires. Comme Rimbaud, on oublie les poètes ou plutôt, on en conserve un vague souvenir. Ils sont toujours là, comme des papillons épinglés dans leur boîte, morts mais gardant leur éclat. Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Nerval  chatoient sur leur fond de liège, le top de la collection ! Et puis dans d’autres boites Lamartine, Vigny, Hugo, La Fontaine, du Bellay, Ronsard, Marot, Villon, jusqu’à Rutebeuf et quelques moindres seigneurs continuent de charmer. Tout est bien rangé, comme un service de table à fleurs qui ne sert plus mais qu’on garde Dieu sait pourquoi.

Et puis voila que le transistor vous raconte Baudelaire. On se met à y repenser et le constat est triste. On se fout bien de savoir que le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis ou qu’exilé sur le sol au milieu des huées les ailes de l’albatros l’empêchent de marcher. On n’est pas mort à quarante-six ans après une vie somme toute assez triste. On n’a plus le temps de s’ennuyer. Les ailes de géant, dans une crise de lucidité, on se les est coupées (si tant est qu’on en ait jamais eu) et depuis on n’en marche que mieux. On se fait vieux. Et puis surtout, on est heureux, autant qu’on saurait l’être. Alors un été avec ce joyeux drille de Baudelaire, on laisse cela aux esthètes amateurs de délectation morose et on va cueillir ses haricots…

mardi 29 juillet 2014

Le Luxembourg



Jeune homme, jeune femme, toi qui rêves d’aventures grandioses, de vastes espaces sauvages, de rencontres avec des peuples rudes et fiers tirant d’une riche culture leur sagesse plurimillénaire, qu’irais-tu faire au Luxembourg ?

Cet état-confetti dont la superficie n’atteint pas la moitié du département de la Creuse n’a aucun accès à la mer et se trouve donc à l’abri des tsunamis et des embruns, avantage qu’elle partage avec, entre autres, la Suisse et la Mongolie extérieure. Coincé entre la France (au sud), La Belgique (à l’ouest) et l’Allemagne (à l’est), le pays se divise en deux régions. Au sud, on trouve « le Gutland (Bon Pays) » et au nord, contre toute attente, non pas le « Pays de Merde » mais l’Oesling (en luxembourgeois : Éislek). Cette région est vallonnée, verdoyante et peu peuplée. Les amateurs d’alpinisme peuvent y gravir les pentes enneigées de Kneiff, point culminant du pays avec 560 m d’altitude. Aucun yéti n’y a jamais été signalé. Selon certains cela prouverait qu’il n’en existe pas en Ardenne luxembourgeoise, selon d’autres que l’abominable homme des neiges y est plus discret que son homologue himalayen. Sinon, les rivières ont tendance à y couler du haut vers le bas en suivant le tracé des vallées, ce qui est fort banal.

Le pays compte environ 550 000 habitants (soit environ 4,5 fois plus que la Creuse mais 2500 fois moins que la chine). 43,8% d’entre eux sont des étrangers (dire qu’on se plaint en France !) venus manger la galette des Luxembourgeois, les Portugais (85 000) et les Français (33 000) constituant le gros de cette troupe d’envahisseurs. On y parle, avec un accent souvent ridicule, Français (96%), Luxembourgeois (78%) et Allemand (75%) mais la plupart du temps pour dire des choses sans grand intérêt. Notons au passage que l’addition des pourcentages dépassant largement les cent (249 pour être précis) on peut soupçonner qu’un nombre non négligeable de Luxembourgeois est bilingue et même trilingue, ce qui n’est pas une preuve d’intelligence, vu qu’en France, pays le plus spirituel du monde, le bilinguisme et a fortiori le trilinguisme sont exceptionnels. 

Du point de vue de l’histoire, le Grand Duché, car le Luxembourg est un grand duché* (on se demande d’ailleurs, vu l’exiguïté de son territoire,  ce que serait un petit duché !) a connu bien des vicissitudes. Créé en 963, ce qui ne nous rajeunit pas, le comté de Luxembourg guerroya comme il se doit avec ses voisins. Ses comtes se sont trouvés portés à la suite de je ne sais quelles manigances aux trônes de Bohème et du Saint Empire Romain Germanique pendant plus d’un siècle, ce qui, pour pareils  bouzeux n’est pas si mal.  Ils en profitèrent, en 1354,  pour élever leur fief d’origine au rang de Duché. Les meilleures choses ayant une fin, le duché passa aux Habsbourg, fut conquis par Louis XIV, qui le rendit bien vite aux autrichiens, avant que la révolution ne le transforme en département français (Département des forêts) Le traité de Vienne l’éleva au rang de Grand-Duché avec pour souverain le roi des Pays-Bas. Malgré une indépendance reconnue en 1867, après amputation de la moitié de son territoire, il fallut attendre 1890 pour que se rompent les liens entre les deux pays et que monte sur le trône une dynastie distincte qui, aux dernières nouvelles n’en est toujours pas descendue.  Quel micmac !

Du point de vue économique, le Luxembourg est riche, très riche, oh, et puis tiens, très, très, très riche !  Et d’où tire-t-il sa richesse, le bougre ? A 46% de la FINANCE ! Imaginez la panique qui envahit le Grand Duché quand M. Hollande arriva au pouvoir ! Savoir que l’ennemi de votre principale source de richesse est président et qu’il dispose de l’arme nucléaire a de quoi vous glacer le sang, non ?  Curieusement, le président oublia les haines du candidat et les habitants du Grand Duché purent bientôt sortir de leurs abris antiatomiques. A part ça, dresser la liste des Luxembourgeois illustres ferait un excellent sujet du bac, vu qu’il n’en existe aucun. Trouver un trait saillant aux habitants de ce pays est tâche ardue. Il doit bien exister quelques luxembobos (Luxembourgeois luxembohèmes), mais pas de quoi en faire un plat.

En résumé, jeunes aventuriers, sauf si vous avez de solides connaissances en finance internationale, je ne vois pas ce que vous iriez faire dans ce pays. Allez plutôt découvrir la Creuse !
*Sans vouloir décourager mes amis pochtrons, je tiens à leur signaler qu’on ne se voit pas systématiquement offert un verre gratuit dans les débits de boisson luxembourgeois. La tournée des Grands Ducs n’est, hélas, qu’une légende.

lundi 28 juillet 2014

Revenons à nos moutons



Des critiques acerbes me furent adressées en commentaires hier. J’aurais omis d’évoquer certains points essentiels concernant cette bête immonde nommée mouton. En ces temps de crise, ne pas tenir compte des exigences de sa clientèle mène inéluctablement toute entreprise au dépôt de bilan. C’est pourquoi, afin de sauver ce blog de la désaffection, j’ai décidé de revenir à nos moutons comme on dit chez Pathelin.

Je commencerai par vous entretenir du célèbre « mouton à  cinq pattes ». C’est un animal très recherché, généralement en vain car bien plus rare que le canard à quatre pattes dont les imbéciles sont supposés avoir  du mal à briser les membres. Du coup, l’expression a fini par désigner toute quête d’un objet ou d’une affaire introuvables. Or, il fut un temps lointain ou avoir cinq pattes était la norme pour les moutons. Deux à l’avant, trois à l’arrière. Ce qui faisait que l’animal offrait aux gourmets de l’époque trois délicieux gigots. En ces âges farouches, on ne mangeait que cette partie de l’ovidé, le reste étant donné aux chiens. Doté d’un solide appétit, chaque membre de la famille avait droit à son gigot pour le déjeuner. Ainsi, une famille de quinze personnes (taille moyenne de tout foyer) achetait-elle cinq moutons pour tout repas digne de ce nom. C’était compter sans l’habileté commerciale d’un éleveur peu scrupuleux chez qui naquit un jour un agneau monstrueux doté de seulement quatre pattes (deux à l’avant deux à l’arrière). Son esprit retors fit un calcul simple : pour satisfaire les besoins carnés d’une famille standard, il faudrait non plus cinq, mais huit bêtes (le chef de famille s’attribuant le gigot surnuméraire). Même s’il faudrait se résigner à consentir un léger rabais par rapport au prix de la version trigigotique, l’affaire pouvait être juteuse… Réunissant ses confrères il lui fut aisé de les convaincre de l’intérêt de la chose. On se mit bien vite à la recherche de béliers et de brebis à quatre pattes. Et on en trouva. Une sélection permit de produire rapidement nombre d’agneaux et agnelles digigotiques et on fut bientôt en mesure d’approvisionner le marché. Très rapidement, le mouton à cinq pattes disparut mais durant une période  de transition la recherche du mouton à cinq pattes continua d’être parfois couronnée de succès. De cet heureux temps ne nous reste qu’une expression.

L’expression « être le mouton noir », c'est-à-dire celui qui, dans une famille, s’éloigne de la norme tire son origine d’un phénomène que l’on constate au sein de troupeaux d’ovins. De temps à autre, un gène récessif fait que naît un mouton de cette couleur. Ce phénomène est semblable à celui de « l’enfant noir » que l’on observe parfois au sein des familles les plus unies. Certains esprits obscurantistes et superstitieux tendaient à attribuer ces naissances « hors normes » à l’arrivée d’un facteur antillais au bureau de poste dont ils dépendaient. Dieu merci, la science a permis de dissiper ce malentendu. S’il en fallait une preuve supplémentaire, le fait que les femmes soient de moins en moins au foyer et que les facteurs n’aient plus de temps à perdre en s’arrêtant chez leurs clients (ils évitent même de sonner et de monter les étages quand ils ont un colis ou un recommandé à vous remettre) n’a pas arrêté le phénomène qui continue de se produire et semble même aller croissant…

Quant au mouton élevé sous la mer d’Al, je crains qu’il ne confonde avec le veau qui a le pied aussi sous-marin que marin. En revanche, l’agneau de pré salé est une réalité. On l’élève aux environs du Mont-Saint-Michel et dans les havres du Cotentin. Des études sont en cours pour poivrer et ailler ces prés, de manière à éviter aux consommateurs le souci d’avoir à assaisonner leurs gigots et autres côtelettes.

Pour finir, j’évoquerai cette particularité qu’ont les anglais d’employer le terme « mutton » dérivé du français pour désigner la viande de l’animal tandis que l’animal est nommé « sheep ». Il en va de même pour l’opposition pork/pig et beef/ox. Certains pseudo-savants ont tenté d’expliquer cette pratique par le fait que les nobles, d’origine normande et partant francophones mangeaient la viande alors que les paysans anglo-saxons gardaient les troupeaux (un peu comme en espagnol, les noms des produits consommables de l’olivier portent des noms d’origine arabe (aceite=huile de l’arabe az-zeyt, aceituna = olive, de l’arabe az-zeytun) tandis que l’arbre porte un nom d’origine latine (olivo) comme l’oliveraie (olivar)).  Il s’agit bien entendu d’un ramassis d’âneries. Selon le département linguistico-sociologique de l’École Rosaellienne Réunifiée d’Études Universitaires et de Recherche Scientifique (E.R.R.E.U.R.S.) à laquelle je me flatte d’avoir un temps appartenu, il faut plutôt chercher l’explication de ce phénomène dans le respect (de l’arabe (al raspiq = haute considération) qu’ont les anglais pour les morts ainsi que dans la juste admiration  qu’ils vouent à l’élégance de notre langue. C’est pourquoi un « sheep » décédé se voit élevé au rang de « mutton ». Ce même phénomène existe chez nous pour les humains : il est de règle que le « triste connard » et « l’infecte salope » se voient, la mort venue, unanimement qualifiés qui de « saint homme », qui de « sainte femme ».

dimanche 27 juillet 2014

Le mouton



Il ne se passe rien de bien saillant de par le vaste monde. Un avion se crashe de ci-de là, diverses guerres opposent deux camps dont il est difficile de dire lequel est le plus gentil vu qu’ils ont raison tous les deux et ne veulent que la paix, ; le président Hollande fait ses deux ou trois déclarations définitives mais révisables sur des sujets aussi cruciaux qu’inintéressants, bref la routine. Plutôt que de donner mon avis sur des sujets qui me dépassent autant qu’ils m’indiffèrent, je vais donc poursuivre, avec tout le sérieux scientifique que le sujet requiert, mes études éthologiques. Comme me le suggéra  M. Ygor Yanka, blogueur trop rare, pas plus tard qu’avant-hier, c’est du mouton dont je vais aujourd’hui vous entretenir. 


Ce ruminant se distingue par la variété des termes qui servent à le désigner selon son sexe ou son âge. S’il est mâle et entier c’est un bélier (où en Normandie un belin* (prononcer blin)), s’il est femelle, c’est une brebis et s’il est jeune, c’est un agneau ou une agnelle. N’aurait-il pas pu, à l’instar du lion avoir pour femelle un moutonne et pour petit un moutonceau ? Non, ce serait trop simple pour Môssieur, il faut que Môssieur se distingue !  Vous m’objecterez que l’être humain (homme, eunuque, femme, trans, garçons, fille) fait pire. Que le porc (verrat, truie, porcelet), la chèvre (chèvre, bouc, cabri ou chevreau) que le cheval (cheval, hongre, jument, poulain), la poule (coq, chapon, poule, poussin) et même certaines espèces sauvages comme le lièvre, le cerf ou le sanglier ne font pas mieux. C’est l’argument d’une âme  faible. On n’établit pas sa vertu par comparaison avec le plus grand vice des autres.

Le mouton est répandu un peu partout sur terre. A la différence du chien, du lion, du veau, du léopard ou du vieux loup, il n’en existe pas de variété dite « de mer »*. Admettons qu’entre autres tares il n’ait pas le pied marin. Je crains plutôt qu’il ne soit pleutre.

Domestiqué de longue date, il donne à l’homme son lait (pour les fromages), sa laine pour les chandails, sa peau pour un cuir nommé basane ou pour le parchemin et sa viande pour le ragoût et d’autres plats dont le gigot. Vu comme ça, l’animal paraît généreux mais ce n’est qu’une façon de parler. En fait, si l’homme ne lui prenait pas ces produits il ne lui donnerait rien du tout. Alors que l’homme le nourrit et l’héberge gratuitement. C’est donc un égoïste doublé  d’un ingrat.

Qu’il soit jeune, mâle ou femelle, le mouton bêle. On aurait pu s’attendre à ce que la femelle brèbe et que les petits agnent, mais non, ils bêlent tous car une de leurs caractéristiques principales est le conformisme. Pas étonnant qu’on qualifie de moutonnier tout comportement consistant à imiter sans discernement ce que fait autrui.

La bêtise de l’animal est proverbiale. Il paraîtrait même qu’elle soit contagieuse et se transmette au berger comme à la bergère. Ce qui exprimerait le goût des princes pour ces dernières : une femme pas trop futée leur permettant de se livrer à leur goût inné pour diverses débauches sans qu’elle ne se doute de rien.

Le bon Jean de La Fontaine était un habile versificateur. Hélas, à la différence de votre serviteur, c’était un bien piètre éthologue. Et qu’il fût débauché et corrompu n’arrangeait rien. Ainsi s’explique l’absurde récit de la fable Le Loup et l’agneau qui nous montre un agnelet d’une douceur angélique se faire dévorer par un loup sanguinaire.  Souvenir d’un âge obscur où l’inversion des valeurs était la règle !  Nos amis écologistes nous l’ont clairement montré : il n’est pas animal plus doux et représentant moins de menace pour les ovidés que le loup. La vérité est que lassé de se voir accusé à juste raison de cruauté envers les canidés (des bandes d’agneaux attendaient dissimulés dans les buissons à proximité d’une onde pure qu’on loup vînt s’y désaltérer et, se ruant sur lui, le projetaient d’un coup de tête dans le courant où la pauvre bête se noyait souvent) le puissant lobby ovin paya grassement  le fabuliste pour qu’il écrivit cette histoire que les citadins, peu au fait des choses de la nature, gobèrent sans sourciller.

Une liste exhaustive des vices de cet animal serait interminable. Les quelques traits ci-dessus évoqués suffisent à se faire une idée du personnage : couard, égoïste, ingrat, dépourvu de personnalité, stupide, violent, cruel, menteur et corrupteur**, cette bête ne saurait inspirer à l’honnête homme que le plus profond mépris.  A bon entendeur salut !

*Nom donné au mouton du Roman de Renart, par un auteur paresseux
**Ne venez pas m’objecter que la mer fait des moutons : il s’agit là d’une métaphore et non de mammifères.
***toute ressemblance avec un (ou des) homme(s) d’état existant ou ayant existé serait purement fortuite.

samedi 26 juillet 2014

J’ai honte !



Alors que l’ensemble des Français éprouve un sentiment de profond désespoir suite au crash du vol d’Air Algérie où périrent 54 de nos compatriotes (en comptant les bi-nationaux), j’ai beau faire un examen de conscience approfondi (128 points de contrôle, quand même !) eh bien je ne sens en moi aucun signe particulier de détresse. Je dois être un monstre. Il faut dire qu’aucune des victimes n’étant de ma famille proche, de mes amis ou habitant ma commune, je suis bien moins concerné que les braves gens qui viennent exprimer leur douleur dans le poste. Si M. Hollande réunit une cellule de crise et reçoit les familles endeuillées à l’Élysée, c’est pas pour des prunes, quand même !  Si les trois ministres concernés* tiennent une réunion de presse commune, c’est que l’événement est d’importance nationale ! Eh bien malgré tout ça, et le reste, je demeure de marbre. Cette indifférence est d’autant plus inexplicable que les disparus étaient tous des gens d’exception, de ceux qu’on regrette de n’avoir pas rencontrés. J’en arrive à la triste conclusion qu’il a dû se passer dans mon enfance ou plus tard au cours de ma vie un ou plusieurs événements qui ont eu pour conséquence d’inhiber cette naturelle tendance à l’empathie qui rend l’humain vraiment humain.

A moins bien entendu que les gens dont l’émotion ne dépasse pas, dans le meilleur des cas, une vague pensée de convenance pour le deuil des familles concernées ne constituent une immense majorité des Français et que ceux qui se déclarent choqués ou attristés ne le fassent que parce que se déclarer indifférent est impossible en nos temps de grande compassion. L’unanimisme dans la joie comme dans la peine me paraît aussi ridicule que faux. Après tout, 54 victimes, c’est 7 de moins que n’en font par semaine les accidents de la route en  France et quatre fois moins que n’en font dans le même temps et dans le seul hexagone les accidents domestiques. Est-on supposé pleurer à chaudes larmes sur le sort de ces malheureux défunts (tous probablement personnes d’exception) ?  Il est vrai que pour qu’on s’émeuve, il faut que l’accident routier fasse un nombre minimum de victimes ou que l’électrocuté de la baignoire soit un chanteur populaire.

M . Pangloss, blogueur de talent a ce vendredi dans un billet magistral, dénoncé l’hypocrite compassion des ministres qui s’empressent de se rendre sur les lieux du moindre drame (à condition bien entendu qu’il s’agisse d’un drame « bankable » car si le ministre de l’intérieur honore le lieu de décès d’un policier mort en service d’une visite, celui du logement ne s’est jamais senti obligé d’aller pleurer le moindre ouvrier du bâtiment alors qu’ils sont plus d’une centaine à mourir d’un accident de travail chaque année). Il y fait par ailleurs une suggestion tout à fait intéressante. Je ne reviendrai donc pas sur ce point qui pourtant m’agace au plus haut point…

En fait, quand je déclare une honte supposée, je suis aussi faux-jeton que ceux qui se disent bouleversés. Des morts par accident, il y en aura toujours, elles sont souvent bien tristes, mais qu’y peut-on ?  Cette manie de la compassion sélective n’a même pas le mérite d’être apparu récemment. Il y a plus d’un siècle l’incendie du Bazar de la Charité ou le naufrage du Titanic avaient connu de beaux succès et fait vendre bien du papier. L’être humain aime les catastrophes. Elles lui offrent l’occasion d’afficher une sensibilité affectée  et effacent comme par magie son indifférence coutumière à bien des drames qui, faute d’être spectaculaires, n’en sont pas moins d’une gravité supérieure.
*Pourquoi seulement trois ? Ils sont tous concernés de près ou de loin, non ?