Ces derniers temps, histoire d’exister un peu, on a vu une
ministre de la justice défendre une loi, une agitatrice catho-rigolo la
combattre, des adeptes de la peinture corporelle se dénuder et brailler dans
une cathédrale, un chômeur s’immoler par le feu et un papa grimper sur une grue (Notons
au passage que grimper sur une grue est depuis toujours une activité très
prisée des pères de famille mais qu’auparavant ils le faisait discrètement, que si ça pouvait
se passer dans les ports, les grues en question n’étaient pas d’acier ni toujours
de bois et qu’enfin il se livraient à ce hobby pour leur seul plaisir égoïste
et non pour le salut de leurs enfants).
Or donc, si on veut donner un minimum de visibilité à ses
actions il faut faire dans le spectaculaire et l’original. Seulement, tout le
monde n’a pas sous la main une opposition prête à dégainer des amendements par
milliers. Réunir plusieurs centaines de milliers de personnes afin qu’elles
défilent à Paris pour défendre l’évidence demande du temps et une certaine
logistique. Profaner un site religieux requiert un niveau de connerie et une
impunité qu’on ne rencontre pas chez tous ni partout. S’immoler par le feu est
douloureux et suppose un dégoût de la vie qui n’est pas donné à tout le monde. Grimper
sur une grue (du type appareil de levage en acier) suppose la proximité d’un
port ou d’un chantier.
On s’aperçoit donc que pour réussir son coup, il faut non seulement
trouver une action sortant de l’ordinaire mais que celle-ci se produise dans un
lieu ad hoc (Assemblée Nationale, rues d’une capitale, cathédrale gothique,
agence de Pôle Emploi, port de Nantes, etc.) Mais ce n’est pas suffisant.
Encore faut-il trouver une cause à défendre. Le genre de cause qui rencontrera
soit l’adhésion soit la désapprobation du bon peuple. Que la question concerne
ou non une partie importante de la population n’est pas un critère. Il s’agit
de faire beaucoup de bruit. Que ce soit pour rien n’a aucune importance. Ce qui
compte c’est qu’aux yeux des média et du quidam tout ce bruit paraisse justifié.
Si ces trois conditions ne sont pas réunies, inutile de s’agiter.
Afin que tout le monde comprenne, je prendrai un exemple
personnel : hier, constatant une croissance certaine de ma pelouse, je
décidai, profitant d’une exceptionnelle absence de précipitations, de tondre
icelle. L’affaire fut compliquée par la présence de nombreux monticules de
terre dus à l’action de cet ennemi du genre humain nommée la taupe. J’en fus marri. Je tenais une cause :
comme moi, des millions de Français sont à longueur d’année victimes des ravages
de ces noirs démons. Leur capture est délicate. Des échecs cuisants m’ont
amené, il y a beau temps, à renoncer à les piéger. Je ne suis pas seul a
contempler impuissant leurs déprédations. Une solution serait donc de créer un
corps municipal, départemental, régional, national, européen, voire mondial de
taupiers qualifiés, apte à délivrer l’humanité de ce fléau.
Seulement, comment parvenir à sensibiliser la population à cette
noble et primordiale cause ? Alerter mon député, afin qu’il dépose une proposition de loi ? Organiser une manif monstre ?
Me promener peinturluré et torse nu dans Notre-Dame en criant « Mort à la
taupe ! » ? M’immoler par le feu ? Faute de grues dans le
secteur, grimper sur une taupinière et
refuser d’en descendre tant que le gouvernement n’aura pas promis de mesures
drastiques ?
Je crains que ces
actions ne mènent à rien. Pour bien faire, il me faudrait trouver quelque chose
de plus novateur. La meilleure des causes, défendue de manière banale au
mauvais endroit, est perdue d’avance.