Les turcs ne sont pas contents. Ce qui est curieux car le turc, en général, est plutôt de nature satisfaite. Pour qu'ils soient fâchés, il faut donc qu'ils aient une bonne raison. Il semblerait que ce qui les froisse serait une loi que notre bon parlement, dans sa grande sagesse, s'apprête à voter et qui interdirait sous peine d'amende d'obligation d'écouter en boucle les discours de François Hollande ou d'internement dans un camp de rééducation de nier le génocide arménien. Voilà ce qui défriserait le turc. Car une des choses qui vous met le turc de bonne humeur c'est justement la négation de ce génocide. C'est à qui le niera le avec le plus d'ardeur...
D'un autre côté, nier un génocide, quel qu'il soit, n'est pas bien. Pas bien du tout même. Le tout est de faire la différence entre un de ces massacres de population bon enfant qui émaillent toute guerre civile digne de ce nom et lui donnent un relief de bon aloi et un VRAI génocide. Par exemple, y eut-il génocide ou pas en "Vendée" ? Difficile à dire tant les chiffres varient. 120 000 morts, c'est faible, de bonne guerre, pour tout dire. En revanche, 600 000 victimes, ça devient sérieux, inquiétant même. Ce qu'il faudrait, avant tout, c'est établir une liste officielle des génocides. Objective et incontestable. Ensuite on interdirait de les nier. Et tout le monde serait content.
Il y a tout de même quelque chose qui cloche dans cette interdiction. Pourquoi s'arrêterait-elle aux génocides ? Pourquoi n'interdirait-on pas toute remise en question de ce qu'il est convenu de considérer comme des faits historiques ?
Rien ne m'empêche (si ce n'est ma paresse et un reste de raison) d'écrire de doctes thèses tendant à prouver que les guerre napoléoniennes n'ont fait en tout et pour tout qu'un blessé léger, que le débarquement allié n'a pas eu lieu le 6 juin 1944 mais le 3 décembre 1957, que Louis XIV n'a jamais existé, que le bon roi Henri promouvait le canard laqué plutôt que la poule au pot ou même que Jack Lang n'est plus ministre depuis belle lurette... Tout au plus me prendrait-on pour un crétin total, un sinistre hurluberlu, pour tout dire un piètre historien.
Au lieu de considérer ceux qui questionnent certains faits historiques comme d'irresponsables farfelus libres comme tout un chacun de dire n'importe quoi sur n'importe quel sujet, en faire des coupables tend à leur accorder une importance qu'ils ne méritent pas nécessairement. Comme si leur opposition à la version officielle était de nature à remettre en cause cette dernière, la fragiliserait.
L'interdiction de la remise en question des génocides m'apparaît donc comme un timide premier pas vers l'instauration d'une histoire officielle, incontestable sous peine de poursuites. Une fois l'histoire officielle établie, on pourrait envisager de dresser, dans tous les domaines, la liste des opinions qu'il serait bon de professer si l'on veut éviter des séjours prolongés en prison.
Un certain George Orwell, dans son 1984 avait décrit une société de ce genre. Comme nous avons 27 ans de retard, il serait grand temps de mettre les bouchées doubles.