J'en ai un peu honte, je sais que ça ne se fait pas, il me faut pourtant le reconnaître : j'aime bien les jeunes. Pour des tas de raisons. Ils sont l'avenir, ils ont de l'énergie, des certitudes à revendre. De ces certitudes dont ils riront plus tard, une fois que, comme le disait Romain Gary, "les camions de la vie leur auront roulé sur la gueule". Ou dont ils ne riront pas, car parfois, souvent même, l'homme se fossilise vite. Il reste attaché, ou feint de le rester, aux "valeurs de sa jeunesse". Bien sûr, il les aménage en passant de petits compromis avec la réalité : ainsi le trotskyste se fait socialo et chante encore l'Internationale quand l'occasion se présente tout en sachant pertinemment que ce n'est pas demain que du passé on fera table rase et que "L'internationa-a-a-a-le sera le genre humain" le jour où les poules auront des dents.
J'aime bien les jeunes parce qu'aussi curieux que ça puisse paraître j'ai, il y a longtemps, été jeune moi-même. Ayant encore un rien de mémoire, me reviennent les enthousiasmes, les colères, les mépris, les révoltes, les intransigeances de mes jeunes années voire leurs amours compliquées. Je me les remémore avec un rien d'étonnement, tant leur intensité et leur objet me paraissent curieux. Pourtant ils ont été. Ils sont parties de moi. Je ne vois donc aucune raison de reprocher aux jeunes de maintenant de ressembler au gamin que j'étais.
Bien sûr, il est parfois agaçant de se faire traiter de vieux con par de jeunes coquelets qui vous attaquent tous ergots dehors et semblent croire que leurs assauts vont vous déchiqueter alors qu'au fond ils ne vous mettent pas plus en question qu'une mouche importune qui bourdonne à vos oreilles. Et c'est peut-être ça le pire : quelque part, le jeune agressif réalise qu'il fonce tête baissée contre un mur de certitudes et de morgue qu'il ne risque aucunement d'ébranler. Dans le fond, plutôt que de provoquer une bienveillance un rien paternaliste, le jeune aimerait qu'on le prenne au sérieux, qu'on voit en lui un redoutable adversaire...
Certains se verraient bien "gardes rouges" de je ne sais quelle révolution sans réaliser que les jeunes chinois, alors que dans un bain de sang et par leur ferveur iconoclaste ils pensaient créer un monde nouveau, n'étaient que les pions dont se servait un vieillard sanguinaire pour récupérer un pouvoir qui lui échappait...
Alexandre Sanguinetti répondit un jour qu'on lui parlait des problèmes de la jeunesse que la jeunesse n'était pas un problème, vu qu'on était sûr qu'elle passerait. Ma mère disait qu'il faudrait être vieux avant d'être jeune, histoire d'éviter les erreurs... Tu parles ! Comme si les erreurs ne faisaient pas partie intégrante et indispensable de la construction d'une personne !
Ce qui déséquilibre les rapports inter-générationnels c'est une injustice fondamentale : les vieux ont TOUS été jeunes (même ceux qui refusent de l'admettre) mais les jeunes n'ont JAMAIS été vieux.