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dimanche 12 mars 2023

Peur de manquer…

 


J'ai lu ce matin l’émouvant billet de Fredi M. qui m’amène a réaliser à quel point les expériences enfantines divergent et nous marquent. Il y est question de fins de mois difficiles, de frigo vide. Choses que je n’ai jamais connues. Débarqué de sa Bretagne natale à la fin des années quarante, mon père, ex-sous-officier de la Marine Nationale, dégagé des cadres, arriva le premier à Paris tenter l’aventure. Une fois un emploi trouvé, ma mère et mon frère ainé l’y rejoignirent et ils réalisèrent leur dessein de toujours, investissant leurs économies dans une épicerie à Puteaux. Je survins quelque temps plus tard. L’appartement du commerce étant très exigu, on m’expédia en Bretagne en nourrice chez une amie de ma mère dans son village natal. A deux ans et demi, j’en revins car la situation avait changé grâce à leur travail sept jours sur sept et un sens de l’économie pour le moins développé, le commerce était fini de payer, mis en gérance et ils avaient également pu faire l’achat d’un petit pavillon de banlieue à Sartrouville qu’ils payèrent comptant.

Ma mère, en dehors de celui de l’épicerie qui la plongea dans d’horribles angoisses, n’a jamais fait un crédit de sa vie. Nous n’avons jamais, malgré le salaire, au départ médiocre, de mon père, manqué de rien. Ma mère y veillait. La voiture (une 4 CV), le frigo, la machine à laver, toujours payés avec l’argent d’hier et jamais celui de demain, nous en fûmes vite équipés. Pour la télé, il fallut attendre 1960, vu le peu d’enthousiasme que ressentait ma mère vis-à-vis d’un achat non-essentiel à ses yeux. Le frigo était toujours rempli mais son contenu excluait toute coûteuse fantaisie. Un congélateur vint bientôt compléter nos capacités de stockage.

Dire que l’ambiance familiale était joyeuse serait exagéré. Austère conviendrait mieux mais en dehors de la fantaisie et de la spontanéité, nous ne manquions de rien. J’en sortis bien décidé à vivre autrement.

Entré dans la vie professionnelle à dix-huit ans, mes débuts financiers furent hasardeux. Je rejoignis, par réaction, ceux à qui, selon l’expression maternelle « il manque toujours 20 sous pour faire un franc » mais en cas de coup dur, je pouvais compter sur le parachute parental…

 La vie continua avec des hauts et des bas que j’ai ailleurs narrés. Selon le proverbe que j’ai forgé pas plus tard qu’hier sur Facebook « Radotage et ronchonnage sont les deux mamelles de la sénilité », j’éviterai donc d’en refaire mention.

Toujours est-il que voici bientôt douze ans un héritage vint compléter mes maigres économies. Rien de mirifique mais suffisant pour me mettre à l’abri de toute angoisse du lendemain à condition de se montrer raisonnable. Ayant bazardé ma résidence secondaire et les frais inhérents à la rejoindre et à l’entretenir , les ressources que me procurent mes sept retraites (rançon d'une carrière variée), même si je demeure un « foyer modeste » sont bien supérieures à mes dépenses courantes. Dans cette France où la misère est censée galoper, je dois être un des rares à ne pas se plaindre. Il n’empêche que me reste un soupçon de peur de manquer qui fait que j’ai en permanence un stock de nourriture et de boissons qui conjure toute angoisse du frigo vide tout en oblitérant les petites joies que peut connaître Fredi en revivant un manque que je n’ai de fait jamais connu.

12 commentaires:

  1. Rouvrir son ordi, pour une Nième fois, parce qu'en fait on se trouve coincée à la maison par la force des choses, et découvrir ce billet, à la fois si personnel, et rendant néanmoins son dû à "l'émouvant billet" de Fredi M, voilà qui est une très bonne surprise dont je ne saurais assez vous remercier, Oncle Jacques !
    N'est-ce pas la meilleure façon mise à notre disposition que de nous raconter les uns aux autres nos petites histoires, pour faire reculer les idées noires qui peuvent nous assaillir quand nous essayons d'imaginer notre "avenir" ?
    Nous espérons tous, cher Oncle Jacques, que plus jamais vous n'aurez cette funeste envie de nous quitter, en nous plantant là !
    God bless you my dear !

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    1. Thanks for your blessings, deat Mildred !

      Je ne garantis rien sur la reprise de mon activité blogueuse mais il se peut qu'à l'occasion je reprenne le chemin du clavier. Le problème est que ce qui fait les choux gras de l'"actualité" me laisse indifférent. Les byzantins discutaient du sexe des anges, nous on s'interroge sur celui des enfants. l'âge de départ à la retraite est considéré comme primordial quand honnêtement je m'en fous. S'il avait fallu que je travaille 3 ans de plus après mes quarante-trois de vie active, je n'en serais pas mort. L'Ukraine nous est dit défendre "nos valeurs" mais je ne vois pas en quoi ellesconsistent au juste. ETC.

      Reste la dérision face à une décadence telle qu'on n'a même plus les moyens de la constater.

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  2. Chacun Sa Route / Chacun son chemin / Chacun son rêve / Chacun son destin / Dites-leur que: / Chacun Sa Route ...

    ... chantait un autre Tonton.
    .

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    1. Bien sûr ! Et le partage d'expériences permet de mieux analyser ce qu'on est profondément...

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  3. You're right, dear Uncle Jacques, let's share our experiences !
    Have you heard about Bernie Sanders, who wrote a book he dared to intitle :
    "It's OK to be Angry about Capitalism" ?
    My dauhter promised to bring it with her next time she'll visit me. She says it's against the American oligarchs. Don't you think you could be interested too ?

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    1. Vous savez, j'ai tendance à ne plus lire que des romans légers...

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  4. "... ronchonnage .." : une allusion à Grincheux Grave ?

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  5. Le descriptif de vos stocks me donne envie d'arriver à l'improviste pour tester votre hospitalité ... Dominique

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    1. Mon organisation stricte fait que je n'apprécie guère les surprises ! Dommage !

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  6. Ah la peur de manquer, c'est quelque chose ! Certains, souvent les asthéniques inquiets, sont persuadés de manquer de quelque chose que révélerait une prise de sang salvatrice. Cela n'est évidemment que très rarement le cas, et la peur de manquer me semble soit une réminiscence d'un passé de disette parfois celui de ses ancêtres, soit la crainte de perdre dans une société qui a tout, et ne manque de rien !
    Quand à la sénilité, j'ai le regret de vous dire que vous n'y êtes pas encore, et qu'il vous reste quelques lignes de radotages et de rabâchages.

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