Le monde entier est tout simplement bouleversifié. Et
pourquoi qu’il est bouleversifié, le monde entier ? Parce qu’on lui a
montré une photo. La photo d’un enfant syrien noyé en Turquie. Il faut reconnaître que le monde entier manque d’imagination. Depuis des années, on lui rebat
les oreilles avec l’annonce de centaines, de milliers même, de noyés parmi
lesquels on compte des enfants. Seulement, le monde, il s’en tape le
coquillard, il s’en fout comme de l’an quarante, il irait même jusqu’à s’en battre
les couilles s’il était grossier (Dieu merci, il ne l’est pas). Alors, pour
secouer son apathie, on lui propose une image. Et il en est tout tourneboulé.
Parce que figurez-vous que, sans image, un enfant noyé ça manque bougrement d’épaisseur, de
réalité. Même s'il y en a beaucoup, ça ne reste qu’un chiffre parmi bien d’autres.
Eh bien personnellement, cette photo me laisse de marbre.
Que voulez-vous, j’ai le cœur sec et le fond mauvais. De plus je n’ai jamais
pensé que le spectacle d’un enfant, d’un jeune, d’un adulte ou d’un vieillard
noyés soit de nature à faire naître le
sourire ou à renforcer la peine. Je dois être un être à part. Je n’ai pas la
sensibilité à fleur de peau de Madame Kosciusko-Morizet
qui sur les ondes de la RSC™® étaient émue comme tout politicien se dira quand
on évoquera l’image. Car un politicien qui déclarerait que cette photo ne
change rien au problème qui est à son origine passerait pour un bien triste
sire, un rebut d’humanité, une tache sur la bonne conscience occidentale voire un
monstre comparable à votre serviteur.
Je crains même que le vulgum pecus, toujours prompt à s’émouvoir
quand on l’y enjoint, ne se sente obligé à se déclarer tout chamboulé par cette
vision. C’est d’ailleurs pour ça qu’on la lui met sous les yeux. Car cette
image s’inscrit dans une campagne visant à changer l’attitude des Européens jusqu’ici
moyennement enthousiastes à l’idée d’accueillir les centaines de milliers de
migrants débarquant sur leurs côtes. Il s’agit ni plus ni moins d’un chantage
affectif.
Que le monde soit secoué de conflits barbares (comme s’il y
en avait de sympathiques ou de rigolos comme tout !), nul n’en doute. Que
ces conflits poussent certains à les fuir et à choisir de lointains et rêvés Eldorados
pour s’en abriter est une évidence. Maintenant, la solution est-elle d’ouvrir
grandes nos portes à toute la misère de la terre ? D’accueillir, en les
confondant, tous les « réfugiés » politiques ou économiques de la
planète ? Ne serait-il pas concevable
que l’on préfère à cela une contribution plus importante à l’établissement de
camps dans les pays limitrophes en attendant que les conflits se tassent ? Est-il bien raisonnable que des pays
souffrant de chômage endémique de masse et de stagnation économique accueillent
de nouveaux venus avec les conséquences culturelles et économiques qu’on peut
deviner ?
Je crains, si cette campagne de sensiblerisation (néologisme
Étiennesque et non faute de frappe) porte ses fruits, qu’elle n’entraîne à terme des conséquences
désastreuses. Les « bonnes » intentions sont dites paver l’enfer, non ?
Là-dessus je pars demain passer un mois en Corrèze.