Je vous avais mitonné un billet
ironique sur les GJ qui à force de se promener et d'émeuter dans le
VIIIe avaient fini par devenir une attraction touristique avant de se
transformer en spectacle où des comédiens avaient remplacé GJ et
CRS. On venait du monde entier pour voir chaque samedi le Rioting
Paris Show. Sur les gradins entourant l'immense arène
construite au Champ de Mars, on applaudissait à tout rompre les
barricades enflammées, les plus belles charges de CRS, les lanceurs
de pavés les plus adroits...
Et puis ça m'est tombé sur le coin de
la gueule, comme ça, sans crier gare. Pendant la cérémonie du
petit dèje. Normalement, celle-ci consiste à boire un grand bol de
café au lait accompagné de deux tartines en croisant les mots
tandis que Cnews distille son ronron habituel. Ce matin pas de Cnews.
J'en ai plus que soupé des inepties du GJ de service, des flics
syndicalistes, des spécialistes de la question et des experts en com
qui commentent ce que Tartempion ou Bidule n'auraient pas du dire.
C'est donc dans le silence que les larmes me sont venues aux yeux.
Elles m'ont pris en traître. Y'a que comme ça qu'elles peuvent
m'avoir, ces salopes. Oh, ce ne fut pas le Niagara, juste un voile
humide. Les glandes lacrymales, c'est comme les muscles : si on
ne s'en sert pas, elles s'atrophient.
Il y a plus de quarante ans, sur mon
chemin chaotique d'alors j'ai croisé une fille. Elle était jeune,
très jeune. Je l'étais aussi mais moins au vu de l'état civil. Ce
fut le début d'une histoire de quatorze ans qui, après des débuts
agités se mua en un bonheur rare avant que la vie...
Mariage, enfant, fortune, avec elle
tout devint possible. On vivait en osmose. On finit par vivre
ensemble 24 h sur 24 au grand étonnement de ceux dont on se
demandait comment ils pouvaient se supporter cinq minutes d'affilée.
Elle me voyait Pygmalion, elle était ma source de force. Et puis la merde a atteint le ventilo, tout s'est gâté. Suivirent
bien des années d'amères rancœurs. Seule notre fille permit que
subsistât un lien ténu qui se rompit quand la petite vola de ses
propres ailes. En août 2016, les fiançailles de cette
dernière vinrent mettre un terme au silence. On se reparla. On se
téléphonait. Nous avions chacun notre vie, bien sûr, après 26 ans
d'absence mais j'étais heureux de ces retrouvailles. Et puis il y a
quelques mois elle m'apprit que le crabe l'avait attaquée. Elle
prenait la chose avec sa dignité et sa force coutumière de petit
soldat de la vie. Suivit un traitement qui échoua. Un pronostic sans
appel. Et tout s'est dégradé, organe après organe. Des douleurs
atroces se sont installées que la morphine ne sait calmer. Et je
suis là, comme un con impuissant, n'osant pas l'appeler, de peur de
déranger. Et pour dire quoi ?
Qu'est-ce qu'il vient nous faire chier,
ce con, avec son pathos de merde se demanderont certains. C'est
indécent ! C'est possible, et alors ? Peut-être que
j'écris pour moi, pour endiguer le Niagara. Boys don't cry,
c'est bien connu. Le boy, il a quelques courses à faire, un plafond
à réparer. Sa vie, au boy, jusqu'à nouvel ordre, elle continue !