Je voudrais, mes bien chers frères,
mes bien chères sœurs, évoquer aujourd'hui un des problèmes
majeurs qui se posent à tout homme et à toute femme (quels que
soient leur couleur, leurs convictions, leur orientation sexuelle, le
prénom de leur belle-mère, la couleur de leur voiture, le montant
de leur loyer, leur série américaine préférée, leur degré de
dépendance aux drogues dures, leur consommation annuelle de
charcuterie, leurs gains au loto, leurs talents culinaires, le temps
qu'ils passent à regarder du porno sur leur ordi au bureau, etc.), à
savoir celui de déterminer quelle est la boisson qui comble le mieux
leurs attentes.
Je vois déjà s'élever vos
protestations : une boisson doit être adaptée au moment de la
journée où on la consomme ou aux plats qu'elle accompagne. Loin de
moi l'idée de nier qu'il convient au réveil de tremper ses
croissants dans un bol de whisky et que rien ne se marie mieux avec
les sardines grillées qu'un chocolat bien sucré. Mais là n'est pas
mon propos. Je parlais de LA boisson, capable de procurer à qui la
boit une parfaite satisfaction après qu'il a eu soif.
N'étant pas soiffard de nature (je ne
bois normalement qu'à l'apéro et durant les repas, souvent par pur
vice), il faut que la température s'élève singulièrement pour que
je ressente le besoin de consommer du liquide. C'est donc,
logiquement, lors de mon séjour prolongé au Sénégal, voici plus
de quarante ans que je me suis, en vain, mis en quête du breuvage
susceptible non seulement d'étancher ma soif mais aussi, ce faisant,
de m'en trouver comblé. Aussi est-ce avec conscience et méthode
que je m'attaquai au problème. La bière fut rejetée pour son
amertume et l'état où sa consommation en quantité vous laisse ;
le vin rosé bien frais se montra méritant mis à part qu'il endort
et vous laisse la bouche pâteuse ; le Coca, les sodas, la
limonade offrent une sensation de satiété qui s'avère bien fugace.
Restait l'eau. Quoique ma compagne d'alors l'eût déclarée être
LA boisson, je ne retirai de ce liquide inodore, insipide et incolore
qu'insatisfaction : tout au plus un pis-aller.
Depuis, les rares fois où je
ressentais le besoin d'absorber force liquide (en temps de canicule)
je me résignais à l'eau. Jusque voici un peu plus d'un mois.
Sortant de l’hôpital de Tulle, dûment muni d'une longue
ordonnance, je me mis à ressentir une soif quasi-permanente. C'était
dû à un diurétique qui comptait au nombre des jolis bonbons qu'on
m'avait prescrits. Matin, midi, après-midi, soir et même nuit
j'avais une soif de rat. Allez savoir pourquoi, un jour où
j'arpentais les allées du Super U de Seilhac (viande limousine
ultra-coriace et choix réduit ), me vint l'idée d'acheter un flacon
d'un litre et demi d'un breuvage oublié : le cidre puisqu'il
faut l'appeler par son nom !
Le cidre, j'en avais fait l'expérience,
durant mon enfance quand nous allions en Bretagne. Expérience peu
convaincante. Dans les fermes où nous allions en visite, on en
offrait aux enfants un petit bol. C'était du fait maison :
souvent huileux et d'un goût bien âpre. Infect pour tout dire. Un
peu plus tard, quand, mercenaire, j'aidai le Père Petit dans ses
travaux maraîchers, j'obtenais, en sus de mon maigre salaire, une
bouteille de cidre. On se serait cru en Bretagne ! En
conséquence, je développai une certaine méfiance vis à vis de
cette boisson. Mais revenons à notre Corrèze.
Donc, je fis l'emplette de cidre. Et ce
fut la révélation. J'avais enfin trouvé MA boisson, LA boisson.
Légère en alcool, douce sans excès, agréablement parfumée,
faiblement pétillante, peu coûteuse : parfaite ! Depuis,
je ne bois plus que ça (sauf à l'apéro) ! J'en suis à me
demander si la gourmandise ne motive pas autant ma consommation que
la soif permanente qui fut à son origine. Sans compter qu'une
moindre consommation d'alcool favorise les chances qu'a mon foie de
survivre à mon cœur ou à mes poumons (tous organes que, selon ma
fille, la médecine se dispenserait de prélever sur moi si je lui léguai mon corps ) : que
des avantages, je vous le dis.
VIVE LE CIDRE !