Pour être honnête, je n’attends rien des politiques ni de la politique. J'ai toujours été un individualiste. Le meilleur ami de ma
jeunesse, en bon communiste, m’en
faisait le reproche, même si à l’époque je me croyais de gauche. Ce qui est
paradoxal : s’il est aisé d’être Persan à qui naît et vit en Perse, la
question se pose : comment peut-on à la fois être individualiste et de
gauche ?
Je ne sais si cette tendance profonde vient de mon
éducation, de mon histoire personnelle ou des deux. En fait, plutôt
qu’attendre une amélioration de mon sort financier de je ne sais quelle
mesure gouvernementale, j’ai toujours choisi de travailler plus pour gagner
plus. Ça aura toujours eu le mérite de me procurer les joies enivrantes que
connaissent le peintre en serre, le cueilleur de pomme, le valet de ferme, le
barman, l’ouvrier d’une usine de charcuterie, le facteur, le garçon de courses,
le commerçant non sédentaire, l’employé de bureau ou le formateur en langues
étrangères, toutes professions qu’il m’arriva un temps d’exercer en plus de mon
métier courant ou de mes études. Si
malgré ça, je pus en ma prime jeunesse soutenir des « mouvements sociaux »,
et même militer dans un syndicat, c’était basé sur l’illusion que plutôt que de
promouvoir des revendications catégorielles celui-ci se battait pour « améliorer »
le sort de tous. L’expérience me montra l’erreur d’une telle conception : je
rencontrai plus de corporatisme que d’idéalisme et me détournai bien vite de
tout ce qui de près ou de loin se réclamait du soi-disant « idéal »
de la gauche.
Et plus ça va, moins ça s’arrange. Mon goût des solitudes (et
de la solitude) va grandissant. Je suis heureux d’habiter un village isolé où
le seul équipement public est une salle des fêtes récemment remise à neuf où je
n’ai jamais mis les pieds. Notre maire me paraît, malgré cette extravagance, un
homme de bon sens dont j’ai pu apprécier le profond scepticisme vis-à-vis des
réglementations et de leur pointilleuse mise en œuvre. N’ayant ni les moyens ni
un désir forcené de se lancer dans ces inutiles investissements qui font le
prestige des édiles et forcent l’estime de l’électeur de base, ce maire peut
compter sur ma voix : en faire le moins possible a le double mérite de combler
mes attentes et de maintenir mes impôts locaux à un niveau acceptable.
N’attendant pas grand-chose de la collectivité, on serait
tenté de se demander pourquoi je m’intéresse de temps à autre à la politique.
Je me suis posé la question. Et je suis arrivé à des conclusions. Pour commencer, au risque de me répéter, je n’attends
pas MON bonheur (ni mon malheur) de la société. Quoi qu’il arrive, il me faudra
bien faire avec. Ce que j’ai toujours fait. Si les retraites venaient à baisser,
il me faudrait réduire mes dépenses. Je doute qu’aller marcher dans les rues en
réclamant « justice » crée les richesses nécessaires au renflouement
des caisses. Toute « victoire » en un tel cas ne pourrait qu’amener à
déshabiller Pierre pour habiller Paul et partant ne pourrait être acquise que
sur un gouvernement pusillanime plus apte à faire migrer les « injustices »
qu’à maintenir un cap et gérer le pays.
Le souci du bien être de ma descendance qui, jusqu’à nouvel
ordre, se réduit à une seule personne pourrait m’animer : il n’en est
rien. Parce que ceux qui nous suivent sont nés et ont grandi dans un monde
différent du nôtre et qu’ils y sont mieux adaptés que leurs devanciers. Vouloir
les faire vivre dans un monde d’avant, de plus largement idéalisé, me paraît
ipso facto illusoire.
La vérité est que, si je m’exprime sur tel ou tel sujet (de
préférence plus sociétal que social) c’est que les idées et les projets de la
gauche et de la droite gauchisante semblent à l’individualiste que je suis de
graves atteintes à ce en quoi je crois et promeuvent ce que je déteste le plus
à savoir la primauté du collectif sur l’individuel. De plus en plus de lois, de
règlements, de normes viennent asservir l’individu et visent à en faire un
clone jusque dans ses pensées (politiquement corrigées). Peu tenté par cette
normalisation, j’exprime mes refus. Et ça s’arrête là : point question de
viser à remplacer une norme par une autre. Cette attitude sera, je le crains,
toujours ultra-minoritaire tant le goût de s’intégrer au troupeau est répandu.
Certains me diront que je prêche en faveur de la diversité.
Dans une certaine mesure, oui. Mais pas telle qu’on l’entend de nos jours.
Cette diversité qu’on promeut n’est que la juxtaposition de groupes adhérant à
des normes différentes, voire
incompatibles tandis que celle que je défends est, au sein d’une société
partageant des bases culturelles aussi homogènes que possible, celle de libres
individus.