Rassurez-vous, je ne vais pas vous bassiner avec mes
théories sur les marchés financiers.Ne serait-ce que parce que je n’y connais rien. Non il s’agit des
marchés qu’on voit sur les places de nos villages et villes. Ceux-là je
connais. De l’intérieur.
Or donc, ayant terminé mes chères études je fus affecté au
collège de Montrésor au fin fond de l’Indre-et-Loire. Le nom est joli, le village aussi. Nous trouvâmes une petite maison
au milieu des champs. Notre seul voisin était un charmant célibataire, sous-directeur
de banque et amateur de whisky. Jusque là rien que du bon... Seulement, la
campagne, si c’est joli à la belle saison, quand le temps se fait plus rude, c’est
tout de suite moins riant. Surtout que ma femme ne travaillait que quelques
heures au collège comme surveillante. Et puis elle était de la ville. Les
femmes, du moins celles que j’ai connues, ont tendance à préférer la ville, son
animation, ses boutiques. Très vite, regarder à longueur de journée la pluie
tomber sur le tas de fumier de l’élevage de chevaux voisin sembla l’ennuyer. J'avais eu beau lui trouver un chien ça ne changeait rien. Il
y a des gens comme ça…
De mon côté, je ne peux pas dire qu’enseigner l’anglais et
le français me procurait des joies ineffables. De plus les collègues étaient
bien gentils mais, comment dire ? Un rien chiants. Je me souviendrai
toujours qu’un couple de collègues que nous avions invité en septembre à venir
prendre l’apéro un de ces soirs nous avaient répondu qu’on verrait ça aux beaux
jours. Nous qui étions plutôt bringueurs, ça s’annonçait bien.
Bref, plus les mois passaient plus ma jeune moitié se
faisait mélancolique. Que fait dans ce cas un mari attentionné ? Il essaie
de trouver une solution, voilà ce qu’il fait. Notre première idée fut de monter
un commerce à Loches, ville la plus proche. Je tentai de taper mes parents en
vue de faciliter la mise en œuvre de ce projet mais je reçus de ma mère qui
tenait les phynances un refus aussi net que catégorique. Il faut dire que ses
années de commerce en banlieue parisienne, pourtant fructueuses, ne lui avaient
pas laissé que de bon souvenirs. C’était une anxieuse. Adieu la boutique !
Que faire ? On pensa tout de
suite aux marchés. Bien que n’y connaissant rien, ça paraissait demander un
investissement en rapport avec nos maigres moyens… C’est alors que le hasard fit que ma
belle-mère qui habitait à Tours découvrit un magasin que venait de monter un tout jeune gars. En fait un simple hangar
où il vendait des fringues pas chères. Ça avait l’air de marcher du feu de
Dieu. Bavardant avec lui, la brave femme apprit qu’avant il faisait les marchés
et qu’il vendait en gros. Une rencontre
fut rapidement organisée qui devait décider de notre avenir pour huit années
voire plus si on y inclut certaines conséquences…
Nous rencontrâmes donc
Léon (j’ai changé le nom !) qui nous expliqua les tenants et les
aboutissants de cette activité. Pour faire les marcas(marchés)l fallait un
camion, de quoi étaler la came (marchandise) et des pébroques (parasols l’été,
parapluies à la mauvaise saison). Ce dernier point nous étonna. Nous n’avions jamais remarqué ce détail. Si, pour démarrer,
on se payait une vieille estafette pourrie, des pébroques, des lits de camp (surplus de l’armée
américaine) pour étaler la came et un minimum de stock, avec quelques dizaines
de milliers de francs, c’était jouable. Nous jouâmes donc. J’obtins un prêt
personnel de ma banque, que je prévus large au cas où ça tarderait à
marcher. L’estafette fut bien vite
trouvée. Léon nous procura les lits de camp et se chargea d’acheter pour nous
les fameux pébroques. Nous définîmes un stock minimum et vogue la galère !
Seulement, la galère, elle prit tout de suite l’eau vu que les parapluies n’étaient
pas arrivés. Un premier marché, à Blois, tourna court car dès qu’il commença à
pleuvoir nous dûmes recouvrir la came de bâches en plastique et ce fut la fin
du marché… C’était quand même encourageant : on avait vendu deux trois
bricoles. Le lendemain, il fit beau. C’était un 1er mai. Nous vendîmes
pour plus de2000 francs de came ! Le surlendemain : rebelote. Le soir venu, il ne
nous restait plus grand-chose à vendre… Il n’y a pas à dire ça encourage !
Une ombre planait cependant sur ce départ prometteur :
ma femme n’avait pas le permis ! Pour tout dire, elle ne savait pas conduire. Ce qui ne
facilite pas l’exercice d’une profession itinérante…