Des vendeurs de ci, de ça et du reste, en huit ans de
commerce, j’en ai reçu des paquets. Rares sont ceux qui m’ont laissé le moindre
souvenir. Étant de nature peu spontanée, il est difficile de m’influencer. Seul
l’intérêt de leurs marchandises ou de leurs services déterminaient mes achats.
Il en est pourtant deux dont les méthodes très différentes m’ont marqué. Ils
avaient en commun de vendre rideaux et autres voilages.
Le premier était un jeune homme charmant, élégant et drôle.
Il avait compris que, plutôt que de passer ses soirées en solitaire à lire un
vague journal au restaurant de l’hôtel avant de regagner une chambre anonyme où
s’endormir devant la télé, il était bien plus agréable (et profitable) de les
passer en compagnie d’amis. Aussi s’était-il constitué dans son vaste secteur
un réseau de clients sympathiques qui se faisaient une joie de l’héberger tant
sa compagnie était agréable. Il prévenait de son passage quelques jours à l’avance,
nous allions ensemble acheter victuailles et bons vins qu’il insistait pour
régler en grande partie et nous passions ainsi un agréable moment dans l’attente d’une
prochaine visite. En plus de chasser l’ennui, cette méthode lui permettait d’arrondir
de manière conséquente ses revenus car son employeur lui versait un forfait
hôtelier que ses dépenses alimentaires étaient loin d’atteindre. Il se créa
entre nous une réelle amitié, au point que lorsque naquit notre fille je lui
proposai d’en être le parrain, ce qu’il accepta.
Le second était bien différent. C’était le roi de l’arnaque.
Résultat d’un tripatouillage génétique lors duquel on avait dû lui inoculer des
gènes d’anguille, tout rêve de le coincer pour lui exprimer de manière ferme et
claire ce qu’on pensait de ses dernières magouilles se trouvait réduit à néant.
D’une physionomie avenante, jamais à court de blagues désopilantes, il
engendrait la bonne humeur aussi surement qu’une tonne de mélasse versée sur le
mécanisme d’une montre de précision en perturbe le fonctionnement. Il vous
embobinait, évitait les sujets qui fâchent avec une maestria de matador et
aurait vendu sans problème des tonnes de viagra au plus vertueux et abstinent
des ermites.
Sa méthode était simple, il commençait par vous proposer de
très beaux articles à un prix qui laissait envisager de gras bénéfices à un
prix de revente défiant toute concurrence. Bien entendu, il fallait sauter sur
une occasion qu’il réservait à des clients choisis dont nous étions… Ensuite
venaient d’autres propositions qui n’avaient rien d’extraordinaire mais que,
alléché par les gros profits qu’apporteraient les premiers, on lui commandait.
Malheureusement, lors de la livraison, la plupart des articles-chocs se
trouvaient être soit défectueux, soit épuisés. Quel dommage ! A sa visite
suivante, il s’en montrait un temps désolé mais, recouvrant bien vite sa bonne
humeur, afin de palier notre désillusion et d’obtenir notre pardon, il nous
proposait de nouvelles affaires plus mirobolantes encore et dont la livraison aurait
lieu au plus tôt, promis, juré. Elles n’arrivaient pas plus que les autres…
Ce que je ne suis jamais parvenu à cerner, c’est comment il s’y
prenait pour me retourner comme une crêpe, alors que je n’avais aucune
difficulté à dire son fait à tout fournisseur indélicat et à rompre tout
commerce avec lui. L’homme avait du génie. Un jour que je le vis garer sa
voiture sur le parking, je décidai de lui dire d’aller se faire voir une bonne
fois pour toutes chez les Grecs (ou chez toute autre peuplade de son choix) et
de ne plus remettre les pieds chez moi. Je n’y parvins pas. Au sec bonjour dont
je le saluai, il répliqua, le visage ravagé de tristesse : « Tu es au
courant pour Jacques ? » Bien sûr que j’étais au courant. Mon
ex-associé venait de mourir d’une crise cardiaque. Vu que nous étions brouillés,
je n’en avais conçu qu’une bien relative peine. Il me dit justement revenir de
son magasin où femme et enfants dévastés de chagrin lui avaient appris la triste
nouvelle. Il se trouvait profondément bouleversé par ce décès aussi soudain que
prématuré : « Tu te rends compte ? La quarantaine, solide
comme un roc, et paf, comme ça… ». Il est délicat d’envoyer se faire mettre
un homme accablé de chagrin… De même qu’il est malséant de ne point le
partager. En guise de consolation, sans vraiment croire à la profondeur de son
affliction, je lui passai une petite
commande…
Décidément, vous attirez les personnages pittoresques.
RépondreSupprimerÇa, on peut le dire...
SupprimerEt des vendeuses inattendues, vous en avez côtoyé?
RépondreSupprimerjard
Maintenant que j'ai lu ce que vous racontez sur vos vendeurs, je serais très curieuse de savoir ce que eux, racontaient sur vous. Je pense que ce devait être largement aussi "pittoresque".
RépondreSupprimerJe n'ai jamais envisagé la question mais je suppose que vous avez raison.
SupprimerAh, les gens drôles sont si rares...
RépondreSupprimerVous avez hélas raison.
SupprimerIl y a des types, comme ça, à qui on ne peut rien refuser, j'en ai connu quelques uns mais
RépondreSupprimerle pire c'est les nanas. Là je vous prie de croire qu'avec certaines vous êtes cuit d'avance
même si elles limitent leur offre à des serpillières ou des flacons de parfum à bas prix.
Les vendeurs de tout sexe devraient être interdits!
Amitiés.
"Les vendeurs de tout sexe devraient être interdits!"
SupprimerComme vous y allez ! Un monde sans commerce ?
Pour les vendeuses, je ne me souviens pas en avoir rencontré en dehors d'agents immobiliers dont je n'ai pas eu à me plaindre. J'ai pu cependant constater dans d'autres domaines que certaines femmes sont prêtes à tout pour parvenir à leurs fins.
Votre histoire me rappelle la scène d'anthologie de "Comment réussir dans la vie quand on est con et pleurnichard", dans laquelle Jean Carmet réussit par ses pleurnicheries à vendre deux cartons de Vulcani (un tord-boyaux infâme) à un cafetier (Robert Dalban), avec une horloge moche en prime.
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