..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

mardi 31 janvier 2012

Censure ou paranoïa ?



Étant soumis par mon entrepreneur à un rythme de travail insoutenable, je me retrouve avec peu de temps à consacrer à mon blog. Ce matin, histoire de ne pas laisser mes éventuels lecteurs sans nourriture spirituelle, je me dis que je pourrais recycler une de mes nouvelles parues sur le site "Écrits vains". Je tentai donc de m'y rendre et au lieu d'atteindre la page je tombai sur le message suivant :

"Forbidden

You don't have permission to access /global/auteurs/etienne/chroniques13.htm on this server"

Je crus d'abord qu'il s'agissait d'un bug informatique. J'essayai donc d'accéder au site par d'autres chemins, mais chaque lien me mena au même message. S'agirait-il d'une erreur ou bien aurai-je été interdit d'accès  au site ? Et pourquoi ? Serait-ce la conséquence d'un billet où je critiquais les positions d'un des intervenants ? Le site aurait-il tout bonnement fermé ? J'avoue ma perplexité. Comment pourrait-on m'interdire l'accès à mes propres textes ? J'en suis d'autant plus marri que sachant où les trouver, je n'en avais aucune copie depuis que l'ordinateur qui les abritait fut détruit par un incendie. Toujours est-il que mon recyclage a échoué et qu'en guise de distraction vous n'aurez que mes interrogations.

Si le lien vers le forum fonctionne pour vous, faites-le moi savoir...

lundi 30 janvier 2012

Et v'là qu'il neige, maintenant !



Le bon Charles d'Orléans avait bien raison lorsqu'il écrivait:


Yver, vous n'estes qu'un villain,
Esté est plaisant et gentil,
En tesmoing de May et d'Avril
Qui l'acompaignent soir et main.
Esté revest champs, bois et fleurs,
De sa livrée de verdure
Et de maintes autres couleurs,
Par l'ordonnance de Nature.
Mais vous, Yver, trop estes plain
De nege, vent pluye et grezil;
On vous deust banie en essil.
Sans point flater, je parle plain,
Yver, vous n'estes qu'un villain 

Il était question qu'il neigeât sur l'Orne et Le Calvados. Pas sur la Manche. Vous me direz que ces deux départements se trouvent à moins de 5 kilomètres de ma maison. Et alors. Une limite départementale est une limite, non ? Que vois-je en ouvrant ma porte ? Une légère couche de neige recouvre le sol. Et ça continue.  L'hiver n'a donc point de conscience ? Et ceux qui ont encore quelques dizaines de mètres de lignes électriques à gainer, il s'en moque ? Il faut croire que oui.

Jusqu'ici on n'avait eu que "vent pluye et grezil" il manquait la "nege". Oubli réparé. Quand elle fondra, ça va ajouter à la bouillasse qui règne d'autant plus que les camions de l'entrepreneur ont transformé mon entrée en cloaque.

Dans mon programme, j'avais omis de réclamer l'"essil" de l'"yver". Je le fais maintenant.

dimanche 29 janvier 2012

Les bonne lectures de Tonton Jacquot (2)



Voici la fin du texte de Marcel Aymé sur l'épuration dont je vous ai donné la première partie hier. Bonne lecture ! 


A part ça, le câblage avance bien.

L'originalité des tribunaux de la Résistance c'est que, tout en se débarrassant des personnes, l’État s'emparait de leurs biens. A première vue on ne saisit pas le rapport entre la confiscation des biens et le délit d'opinion, mais il faut se souvenir que nombre de Résistants ou pseudo-résistants s'étaient octroyé des situations dans la politique, dans l'administration, dans le journalisme et même dans les Lettres. Ces situations, ils entendaient en jouir en toute quiétude. Ayant fait condamner à la prison ceux qu'ils avaient supplantés dans leurs emplois, ils voulaient encore que ces malheureux, au jour lointain de leur libération, fussent jetés sur le pavé sans un toit, sans un meuble, sans un sou et dans un tel état de misère qu'il leur fût impossible de rien entreprendre. Supplémentairement, les tribunaux frappaient les gens qui s'étaient rendus coupables du délit d'opinion d'une peine « d'indignité nationale », apparemment anodine, mais interdisant l'accès à la plupart des professions libérales et commerciales. A une époque où les criminologistes se soucient de plus en plus, pour les délinquants, de faciliter leur réadaptation à la vie normale, il est remarquable que le gouvernement de Gaulle ait voué au chômage et au désespoir les « criminels » convaincus du délit d'opinion. Il faut croire que cette préoccupation était d'ordre majeur chez nos maîtres résistants, car ils n'abandonnèrent pas aux seules cours de justice le soin d'empêcher leurs ennemis d'exercer un métier qui pût servir de tremplin à une activité politique. Il y eut des espèces de juridictions professionnelles qui éliminaient les indésirables (en même temps, les syndicats, par exemple dans le journalisme et le cinéma, multipliaient les barrières interdisant l'accès à la profession, si bien qu'aujourd'hui encore on se croirait revenu aux temps d'avant 89, en plein régime corporatif), les condamnant au chômage, à temps ou à vie.
A côté de ces comités d'épuration et les épaulant, il y avait des associations de rabatteurs et de poulets auxiliaires qui se chargeaient de subodorer le délit d'opinion et de livrer les suspects à la police. Par exemple, le C.N.E. (Comité national des écrivains) publia une liste de coupables, dénonçant ainsi des confrères à la justice et réclamant à grand tapage les plus durs châtiments. Puissamment orchestrée, la délation avait à son service d'autres bourriques qui travaillaient dans la presse et il y avait même, suscités par la peur, des initiatives privées, des poètes indicateurs ou des mouches du roman psychologique, qui bavaient spontanément des injures et des calomnies sur leurs confrères en difficulté. C'était comme un grand concours d'ignominie.
La Société des gens de Lettres, sans oser la moindre protestation, se laissait imposer un général qui venait dans ses murs présider une commission d'enquête. L'Académie française se déshonorait fiévreusement en éjectant de son sein les écrivains persécutés qu'elle avait révérencieusement traités sous l'occupation. A l'Académie Goncourt, la peur et la prudence se doublaient d'un empressement servile dans l'accomplissement des basses besognes d'auto-épuration.
Dans le cinéma, il y eut une procédure bien particulière. On fit comparaître devant un tribunal, composé de travailleurs manuels de la profession, tous les metteurs en scène, scénaristes et dialoguistes. Pour ma part, ayant vendu un scénario à la Continental-Films (société allemande), je fus condamné à un « blâme sans affichage », ce dont je fus avisé par un pli de la Préfecture de la Seine, mentionnant expressément que cette sanction m'était infligée « pour avoir favorisé les desseins de l'ennemi ». Or l'année dernière, donc trois ans plus tard, le ministre de l’Éducation nationale me manifestait son désir  de me décorer de la Légion d'honneur et, vers la même époque, M. le Président de la République croyait devoir m'inviter à l’Élisée. Par respect pour l’État et pour la République, il me fallut refuser ces flatteuses distinctions qui seraient allées à un traître ayant « favorisé les desseins de l'ennemi ». Je regrette à présent de n'avoir pas motivé mon refus et dénoncé publiquement, à grands cris de putois, l'inconséquence de ces très hauts personnages dont la main gauche ignore les coups portés par la main droite. Si c'était à refaire, je les mettrais en garde contre l'extrême légèreté avec laquelle ils se jettent à la tête d'un mauvais Français comme moi et pendant que j'y serais, une bonne fois, pour n'avoir plus à y revenir, pour ne plus me trouver dans le cas d'avoir à refuser d'aussi désirables faveurs, ce qui me cause nécessairement une grande peine, je les prierais qu'ils voulussent bien, leur Légion d'honneur, se la carrer dans le train, comme aussi leurs plaisirs élyséens.
Je n'ai rapporté cette histoire personnelle que parce qu'elle témoigne du mépris dans lequel nos gouvernants tenaient eux-mêmes et tiennent encore la Justice qu'ils nous ont fabriquée. J'imagine que chaque fois qu'un tribunal envoyait un homme à la mort pour délit d'opinion, ils devaient échanger des clins d'œil espiègles, car ils savaient ce qu'ils faisaient.
Ils savaient où ils allaient et ils sont arrivés où ils voulaient. Aujourd'hui la notion de délit d'opinion est profondément ancrée dans l'esprit des Français de tous âges. Chacun se montre prudent et personne ne bronche. D'ailleurs, les cadres de la nation ont été, pour une part, fusillés, embastillés, réduits à l'exil, au chômage, au silence. Une autre part a été nantie et, par là, réduite au silence aussi. Reste le troupeau des suiveurs, des indifférents de toujours et des anciens collabos convertis par la peur au gaullisme et au communisme. On ne voit pas, dans ces conditions, d'où viendrait aux Français le goût de s'exprimer librement. En fait, la liberté d'opinion n'existe pas en France, et il n'existe pas non plus de presse indépendante. Nos journaux sont douillettement gouvernementaux et il n'est pas jusqu'aux journaux communistes qui ne se montrent soucieux de respecter nos hommes d’État dans leurs personnes, fussent-ils des coquins avérés, et il n'y a pour ceux-ci rien de plus important. Au moins l'Humanité défend-elle un point de vue et une doctrine. Tous les autres journaux, je veux dire non-conformistes, ne se distinguent les uns des autres que par des nuances exquises que bien souvent les hommes du métier sont seuls à pouvoir apprécier. Voilà pourquoi Le Crapouillot, en dépit de sa prudence, de son souci manifeste de ménager la chèvre et le chou, fait figure de périodique indépendant et même audacieux. Ainsi, grâce à l'épuration, grâce à la très ferme répression du délit d'opinion et à tant de nos grands écrivains qui lui ont prêté leur plume, c'est dans des ténèbres soigneusement entretenues depuis six ans que la France marche par des chemins bordés de précipices où il est miraculeux qu'elle ne soit pas déjà engloutie ».

samedi 28 janvier 2012

Les bonnes lectures de Tonton Jacquot (1)



Tandis que je m'adonnerai sans vergogne aux joies ineffables du câblage, j'aimerais faire découvrir à ceux d'entre vous qui ne le connaîtraient pas et faire relire à ceux qui le connaissaient ce texte que Marcel Aymé écrivit dans le Crapouillot en 1950 sur la liberté d'expression. 


Bien que 62 ans nous en séparent, il me semble que ce qu'il dénonce explique certains aspects de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.


Vue sa longueur, je le publierai en deux fois. Bonne lecture !

« En temps normal, le délit d'opinion n'existe pas en France. Il est permis à quiconque résidant sur notre territoire de proclamer dans ses discours et dans ses écrits son hostilité contre un régime politique, contre des institutions religieuses, contre l'armée, la patrie, les femmes, les faux cols durs, et corollairement de faire éclater sa foi dans une mystique ou dans les destins de l'Empire de Chine. En fait, il arrive régulièrement qu'en temps de guerre, les législateurs suspendent le droit de s'exprimer librement sur toute espèce de sujet. Toutefois, le délit d'opinion, que les tribunaux ont la décence d'habiller d'un autre nom, n'est punissable que s'il appartient à certaines catégories préalablement fixées et délimitées par la loi. On est presque confus de devoir insister sur cette évidence, mais un délit quelconque ne saurait avoir d'existence avant que soit promulguée la loi interdisant de le commettre.
En 1944, lorsque au gouvernement légal du maréchal Pétain succédait un gouvernement de fait, celui du général de Gaulle, il n'y avait pas de loi qui reconnût et réprimandât le délit d'opinion (cela n'empêchait pas les Allemands de le réprimer). Il eût été naturel d'en forger une qui déclarât passibles, désormais, de telle ou telle peine, les professions de foi hitlériennes et antigaullistes. On sait bien que les nécessités d'un gouvernement de fait ne sont pas souvent compatibles avec l'exercice de la liberté et, dans l'euphorie de la Libération, les Français auraient accepté le régime de la trique sans trop rechigner. Ils devaient bientôt comprendre qu'il s'agissait, dans le genre, de quelque chose d'infiniment plus corsé. Ayant instauré la terreur et élevé la délation à la dignité d'une vertu (souvenons-nous des affiches invitant les Parisiens à dénoncer leurs voisins et connaissances), le gouvernement du général de Gaulle chercha un moyen de conférer au pur arbitraire l'apparence de la légalité. Le diable sait où il fit cette trouvaille, car elle était sans précédent dans les annales de la Justice et en opposition avec les principes fondamentaux de toute jurisprudence. On créa donc une loi réprimant le délit d'opinion, mais une loi à effet rétroactif. Ce monument de barbarie, de cynisme, d'hypocrisie, ce crime crapuleux contre l'humanité fut alors unanimement approuvé par tous ceux qui avaient l'autorisation d'écrire dans les journaux. Les grandes voix brevetées de la conscience française se prononcèrent carrément pour le déshonneur. Au moins, la magistrature française, horrifiée par ce barbarisme juridique, allait-elle faire bloc et protester d'un seul cri ? Pas du tout, car les juges, ayant prêté serment au Maréchal, tremblaient de peur dans leurs robes et n'avaient en tête que leur sécurité et leur avancement. Ces misérables auraient pu se contenter d'être les fonctionnaires de l'injustice, mais non. Au lieu d'appliquer la loi avec modération, ils firent infliger les peines les plus dures et rivalisèrent de lâcheté, de cruauté, de bassesse. A cette occasion, le niveau moral de la magistrature se révéla, dans l'ensemble, fort inférieur à celui des prisonniers de droit commun. A vrai dire, on s'en doutait déjà.
Les « délinquants » appartenaient à tous les milieux, à toutes les professions. Il suffisait d'avoir professé plus ou moins ouvertement des opinions collaborationnistes et d'être mal vu de sa concierge pour être jeté en prison où l'on attendait six mois, un an, ou davantage, la faveur de comparaître devant un tribunal. Bien souvent, dans les premiers temps de l'occupation, le prévenu était abattu sans autre forme de procès par des F.F.I. agissant soit dans un élan de fureur patriotique, soit par manière de récréation, mais le plus souvent pour s'emparer de ses dépouilles.
Le délit d'opinion devait être retenu principalement contre les écrivains, les journalistes et les hommes politiques (y compris les conseillers municipaux) qui s'étaient exprimés publiquement à propos des événements politiques durant l'occupation. Les fonctionnaires furent également traqués dans toutes les administrations. Il y avait à ces persécutions des raisons simples, logiques. D'une part les communistes entendaient profiter de l'occasion pour éliminer le plus grand nombre possible de leurs adversaires politiques et, éventuellement, les remplacer par des hommes de leur choix. D'autres part, les chefs de la Résistance ayant décidé de se récompenser de leur patriotisme, s'étaient octroyé le pouvoir en ne consultant que leurs appétits et, peu soucieux d'avoir des rivaux qui leur eussent disputé l'assiette au beurre, redoutant également de voir surgir dans le pays une opposition qui eût dénoncé leur flagrante incapacité, ils trouvèrent commode de tuer et d'emprisonner. A ce gouvernement dont les ministres n'étaient mandatés que par eux-mêmes ou par leurs femmes, il fallait une presse dévouée qui en dissimulât les abus et la médiocrité. A la Libération, des journalistes dont la plupart n'avaient pas plus de compétence professionnelle que les nouveaux hommes d’État, s'emparèrent des journaux, des locaux et du matériel, au mépris du droit des gens, car le comportement de leurs prédécesseurs sous l'occupation, eût-il été criminel, ne saurait être une excuse. Le fait que mon voisin vienne d'assassiner sa grand-mère ne m'autorise pas à m'emparer de son argenterie. Pour légitimer ces spoliations, il devenait nécessaire de couvrir d'opprobre les journalistes du temps de l'occupation et de les faire condamner par les tribunaux avec des attendus infamants .
 Certes, il s'en fallait que tous les écrivains, journalistes et hommes politiques ayant tenu la plume ou le crachoir sous l'occupation eussent obéi à des motifs honorables. Il y en eut qui se montrèrent avec l'occupant d'une platitude écœurante mais c'était leur affaire et les tribunaux ne sont pas faits pour punir les flatteurs et les hypocrites. Pour bien d'autres, il y avait à redire quant à la pureté des intentions, comme à toutes les époques. En revanche, les maréchalistes de bonne foi étaient innombrables et même parmi les fascistes et les militants de l'Europe nouvelle, il ne manquait pas de convaincus. Du reste, quelles qu'eussent été les raisons profondes qui les animaient, tous avaient écrit et discouru dans la stricte légalité.
La répression du délit d'opinion fut organisée de façon impeccable. Les malpensants étaient déférés à des tribunaux d'exception, chargés de les envoyer au poteau, au bagne, en prison. Les jurés de ces tribunaux étaient désignés par des assemblées de conseillers généraux et d'arrondissement ; lesquels, ayant été eux-mêmes épurés, tenaient avant tout à faire preuve d'esprit partisan. Avec des jurés ainsi triés sur le volet, les débats, conduits par un président à la botte, devenaient le plus souvent une formalité pure et simple. On ne refusait rien au commissaire du gouvernement qui réclamait des peines exorbitantes afin de montrer qu'il était un grand résistant. J'ai assisté à une séance de la Cour de Justice, où l'on jugeait trois journalistes qui s'étaient rendus coupables, dans leurs écrits, de délits d'opinion. Deux furent condamnés à mort, le troisième aux travaux forcés à vie et, au cours des débats, comme l'un des avocats faisait observer que certain article reproché à son client n'avait fait que reproduire, aux termes près, les arguments de l'Humanité clandestine de 1940, le commissaire du gouvernement s'éleva avec véhémence contre ce manque d'égards à un parti tout-puissant, et le Président lui-même, craignant qu'en haut lieu on ne le soupçonnât d'impartialité, fit écho à cette protestation. L'effroyable tragédie de ces procès consistait en cela qu'ils étaient des simulacres et que l'accusé, le sachant, ne pouvait s'empêcher de défendre, comme s'il eût vraiment joué sa tête et que ses  prétendus juges ne s'en fussent déjà partagé le prix. Le Maréchal, lui, eut assez de force de caractère pour se refuser à tenir un rôle dans la farce judiciaire et à donner le spectacle d'un espoir absurde à une presse ricanante. Face aux chargés de besogne du général, il resta muet d'un bout à l'autre du procès.
Parmi les condamnations frappant des hommes qui s'étaient rendus coupables du seul délit d'opinion, les plus remarquées furent celles de Béraud, de Brasillach et de Maurras. Béraud fut condamné à mort pour avoir écrit des articles anti-anglais qui, outre-Manche, ne lui auraient pas seulement valu une amende. Il paraît que l'Ambassade de Grande-Bretagne intervint auprès du chef de l’État pour que fût commuée cette sentence idiote qui eût risqué, en des temps plus normaux, de déclencher en France une crise d'anglophobie. L'accusation était si sotte, le déni de justice si manifeste, si provocant par son évidence, que le procès de Béraud, à lui seul, montre dans quelle dépendance honteuse la Résistance tenait les juges.
Brasillach eut à répondre de ses écrits politiques sous l'occupation, que chacun était en droit de trouver déplaisants, mais dont nul ne pouvait, de bonne foi, songer à lui faire un crime. Lui aussi eut la faiblesse de se défendre et avec toutes les ressources de son intelligence et de sa sensibilité, bien qu'il sût certainement à quoi s'en tenir sur ses juges. Il y a des natures généreuses qui ne se résignent pas à désespérer, même en dépit de l'évidence. Le commissaire du gouvernement, en parfaite connaissance de cause, réclama, et bien entendu obtint, la tête d'un innocent. Il paraît que, depuis, il fait une très belle carrière et que la mort de Brasillach lui a valu un bon grade dans la Légion d'honneur. C'était un nommé Rabour ou Raboul. On espéra un moment que le condamné obtiendrait commutation de peine. Une pétition circula en sa faveur et réunit les signatures de nombreux écrivains et artistes. Parmi ceux que je sollicitai personnellement, un seul refusa, ce fut M. Picasso, le peintre. Comme je lui demandais, avec toute la déférence à laquelle il est accoutumé, de signer cette pétition pour le salut d'un condamné à mort, il me répondit qu'il ne voulait pas être mêlé à une affaire qui ne le regardait pas. Sans doute avait-il raison. Ses toiles s'étaient admirablement vendues sous l'occupation et les Allemands les avaient fort recherchées. En quoi la mort d'un poète français pouvait-elle le concerner ?
Jusqu'au dernier jour, on crut que le général de Gaulle n'était pas absolument indifférent à la littérature et qu'il aimerait gracier un écrivain innocent. On ne pouvait se tromper plus lourdement. A lui aussi, la vie d'un poète était peu de chose et importait infiniment moins qu'un témoignage de satisfaction du Parti communiste. Peut-être aussi qu'il avait du goût pour les exécutions (sinon, comment aurait-il, sans une parole de réprobation ou d'apaisement, toléré les massacres des premiers mois de la Libération ?). Durant le temps qu'il fut au pouvoir, on chercherait en vain, dans sa vie publique, la moindre manifestation de générosité, de bonté, le plus petit élan de pitié ou de charité. L'homme est sec.
Pour Maurras, il ne pouvait être question de suspecter son patriotisme et l'on savait qu'aucune considération n'aurait pu l'empêcher de dénoncer publiquement ce qu'il croyait contraire aux intérêts du pays. On le savait même si bien qu'on décida de le réduire au silence par tous les moyens. C'est qu'avant la guerre, Maurras avait en France une situation exceptionnelle qui n'a pas d'équivalent aujourd'hui. Leader du parti monarchiste, ce n'était pas à ce titre qu'il devait son importance. Mais grand maître de l'Action française où il écrivait quotidiennement ses deux ou trois cents lignes, il était le critique officiel de la Troisième république. On comprend que les nouveaux messieurs de la Quatrième aient voulu se débarrasser d'un critique ayant si souvent alerté l'opinion publique. Ils avaient presque tout à cacher : l'inanité de leur politique, la corruption dans les ministères, dans les administrations, les abus de pouvoir, l'abaissement d'un peuple abruti par la terreur et le mensonge. Imagine-t-on, en 1945, Maurras libre d'écrire comme il l'était autrefois ? C'eût été la fin du régime. Le plus simple était de le faire condamner à mort, ce qui ne souffrait du reste aucune difficulté. Comme  son innocence était patente et qu'on redoutait le mépris de nos alliés anglo-saxons dégoûtés par nos kermesses judiciaires, on n'osa pas fusiller un vieillard. La peine de mort fut commuée en celle des travaux forcés à vie. L'essentiel était qu'il se tût. Aujourd'hui encore, nos gouvernants ne sont pas pressés de lui rendre la liberté.

vendredi 27 janvier 2012

Travaux forcés



L'entrepreneur anglais à qui j'ai confié l'isolation de l'étage de ma maison est arrivé hier avec son équipe. Avec la furia inglese qui les caractérise, ils se sont mis à tout casser. En quelques heures, il n'y avait plus de cloisons ni de plafonds. Non contents de cela, ils se sont immédiatement attaqués à l'installation des armatures qui soutiendront l'isolation et les nouvelles cloisons. Questionné sur le temps que prendrait la première phase de ces travaux, le patron me déclara qu'il comptait, si tout se passait bien, finir aujourd'hui. Et là ne s'arrêta pas ma surprise. Je lui demandai combien de temps il me laissait pour installer les conduites d'eau et d'évacuation  et les lignes électriques, il me dit que si je pouvais le faire ce week-end ce serait bien car avec le froid qui s'annonce la maison sera inchauffable avec sa toiture à nu. Me voici donc condamné à effectuer tous ces travaux à marche forcée. Ma journée va être consacrée à acheter tous les matériaux qui me manquent.

De plus il m'a fallu évacuer mon bureau et m'installer tant bien que mal au rez-de-chaussée. Si jamais je me faisais rare, vous saurez pourquoi.

J'ai pourtant regardé le débat Hollande/Juppé. Je comptais en parler mais qu'en dire ? Rien sinon que j'ai eu l'impression très nette d'assister à un combat de technocrates et non d'hommes d'État c'est à dire d'hommes porteurs d'un véritable projet politique. Faire payer les riches c'est aussi beau qu'inefficace. Gérer la pénurie est peu enthousiasmant. Tout cela est bien terne...

jeudi 26 janvier 2012

Rallions-nous !

Non, M. Darmon n'est pas en train de vanter ses qualités viriles, 
il milite, c'est tout ! Belles bagouzes, quand même ! La classe !

Ici, on gagne pas gros, mais on se marre disait-on pour se consoler d’un emploi ingrat.

Si Hollande est élu, on perdra gros, mais qu’est-ce qu’on se sera marrés !

J’en veux pour preuve le clip du signe de ralliement  du PS « Le changement c’est maintenant ». Franchement, comment ne pas  penser que nos braves socialistes  sont tombés dans un piège grossier que leur aurait tendu un infiltré  de l’UMP ?

Qu’y voit-on ?  Des énergumènes qui  déclarent que « Le changement c’est maintenant »  en faisant exécuter à leurs mains un mouvement de translation horizontale. Les mains ne se touchent pas mais passent l’une au dessus de l’autre.  Comment ne pas se souvenir de la blague cruelle (et pas très drôle, reconnaissons-le) du trisomique à qui on avait promis une glace s’il parvenait à faire se toucher l’extrémité des doigts de ses deux mains ?  Si c’est le même but qui est recherché par les pathétiques politiciens, artistes et militants qui  se sont prêtés à l’exercice, visiblement, ils n’y parviennent pas.

On me dira qu’il ne s’agit aucunement d’un défi psychomoteur raté, que ce geste est rempli d’une symbolique profonde, tellement profonde qu’elle n’apparait clairement à personne. Il paraît que les mains et  avant bras formeraient ainsi le signe « égal ». Je veux bien.

Je ne puis adhérer à ce signe pour toutes sortes de raisons, la première étant que je ne veux pas de leur changement, ni maintenant ni plus tard. Ensuite, parce qu’il est anti-français : le monde entier sait que tout bon Français se reconnait à la baguette qu’il tient sous son bras. En faisant ce signe, la baguette tomberait.  Du point de vue de la  sécurité routière, les dangers sont évidents. Imaginons que deux partisans de F H se croisent en voiture et s’adressent mutuellement le signe de ralliement. Combien de collisions frontales, de classes de maternelle fauchées sur le trottoir s’ensuivraient ?

François Hollande, dans son discours historique du Bourget, déclarait refuser la France de la peur. Ses supporters ont décidé de le suivre en montrant que le ridicule ne les effrayait pas.

Je doute cependant que ce signe prenne dans le public, le sens du ridicule étant plus développé chez les gens ordinaires  qu’au sein des « élites ».

mercredi 25 janvier 2012

Demandez le programme !

Ce sémillant vieillard pourrait bénéficier prioritairement de la mesure N°9



Vu le peu d’intérêt que présentent à mes yeux les programmes des candidats aux présidentielles, j’ai décidé de n’apporter ma voix qu’à celui qui s’engagera solennellement à mettre en œuvre les  dix réformes suivantes :

1.    Dans les contrées soumises au climat Atlantique  et plus spécifiquement dans le Sud Manche : la limitation des précipitations à ce qui est strictement nécessaire et leur  interdiction de jour.

2.    L’augmentation de la durée du jour en hiver jusqu’à un minimum de 12 heures.

3.    L’obligation pour les fabricants de lave-vaisselles de produire des modèles qui effectuent eux-mêmes le rangement une fois le cycle terminé.

4.    L’interdiction totale des douleurs articulaires et plus particulièrement celles du genou droit.

5.    La suppression immédiate des taxes sur l’alcool et le tabac et le remboursement de celles injustement perçues depuis 40 ans.

6.     La création d’une amende de 10 à 150 millions d’Euros assortie d’une peine de cinq à dix  ans de prison ferme pour tout politicien  surpris à prendre son envol à partir du Bourget. Avec effet rétroactif.

7.    L’envoi pour dix ans en Corée du Nord avec interdiction d’en sortir de Daniel Mermet  et de ses Auditeurs Modestes et Géniaux afin qu’ils puissent  enfin vivre à l’abri des méfaits du capitalisme.

8.    La taxation à 100% au-delà de trois fois le SMIC de tous les revenus des artistes se déclarant de gauche.

9.    La promulgation d’une loi autorisant l’euthanasie de tous ceux qui ont participé au clip du  signe de ralliement du PS afin de leur éviter une vieillesse de remords et de honte.

10.    L’interdiction absolue faite aux chats persans de perdre leurs poils.




Cette liste n'est pas limitative.

mardi 24 janvier 2012

Grand bal des cocus, venez nombreux !



Cocus, battus, mais contents quand même.

Cette expression populaire me semble bien décrire l’heureux naturel du militant de base. C’est du moins ce que je me disais hier soir  en regardant aux actualités la foule applaudir M. Hollande  à chacune de ses paroles,  comme s’il avait dit quelque chose d’intéressant, d’innovateur, de particulièrement  intelligent. Voire tout simplement quelque chose. Tant de bonheur fait chaud au cœur. Il paraît même que le candidat aurait pris son envol. Ils ne nous l’ont pas montré, mais je veux bien le croire et j’imagine volontiers le bon François, porté par la ferveur populaire voleter entre les poutrelles du hall qui abritait son meeting.

Je suppose que les assistants sont rentrés chez eux gonflés à bloc se retenant avec peine d’entonner sur l’air d’ « En revenant d’la revue »  des paroles du genre :

Gais et contents, nous allions triomphants
En rev’nant du Bourget, le cœur à l'aise,
Sans hésiter, nous venions d'acclamer,
L’idole des Français et des Françaises
Tadadada pom pom pomp pom .
Tadadada pom pom pomp pom  etc.

Chaud au cœur ça fait, forcément. Jusqu’à ce qu’on réfléchisse un peu et qu’on trouve de fortes analogies entre ces braves gens, militants de tout bord, et la femme battue qui pardonne et se réjouit à chaque retour de l’ivrogne volage. Il a beau être de plus en plus décati, il a beau lui avoir fait le coup cent fois, pour elle, il demeure magnifique. Et puis il sait si bien trouver les mots qui l’enflamment, les caresses qui la fond fondre qu’elle en oublie tout et  ne veut plus voir en lui que le  prince charmant de sa jeunesse.

Évidemment, son entourage est plus circonspect. Il a même tendance à la mettre en garde, puis, devant son entêtement, à la plaindre un peu. A la prochaine rouste, à l’infidélité suivante, on sait d’avance qu’elle pleurera, qu’elle le maudira… Et qu’ensuite elle s’en voudra d’avoir provoqué ses coups. Elle attribuera ses incartades à toutes ces salopes qui l’aguichent. Il est un peu faible c’est tout. Qui ne l’est pas ?

Je dis militants de tout bord parce que de ces âmes simples, on en trouve partout. Leur séducteur sait trouver les mots qu’il faut, ceux qu’ils attendent, qui les font  chavirer et oublier que ses promesses il les a faites mille et une fois, qu’il ne les a jamais tenues. Décidément, cette fois-ci, c’est la bonne, il a vraiment changé, il s’est acheté une conduite…

Et la foule, sentimentale comme dit l’autre, malgré ses réticences,ne peut s’empêcher d’écraser un pleur furtif face à tant d’innocente ferveur. Sans se laisser emporter par un flot de passion, elle se dit que, quand même, pour provoquer de tels émois, l’enjôleur doit bien avoir un petit quelque chose que les autres n’ont pas…

Voilà pourquoi on continue d’organiser ces grands bals des cocus où un chanteur sur le retour roucoule ses vieux refrains sirupeux à l'oreille de danseurs enamourés .

lundi 23 janvier 2012

Sacrée baston ou enfumage ?



François Hollande a, hier au Bourget, tombé le masque.

On se demandait pour quoi, pour qui (sinon pour lui) il se battait. Nous le savons maintenant : son adversaire, c'est la finance. Rien moins. Et au nom de quoi la combattrait-il, cette finance ?  Mais de la justice sociale, voyons ! Vous avez de ces questions ! Car figurez-vous qu'il "aime les gens, pas l'argent ". Comme d'autres aiment la moire, pas l'armoire !

Alors là, moi je dis chapeau. Le problème c'est de savoir quelle forme va prendre ce combat. Pas évident. On pourrait imaginer que chaque camp désigne son champion et que ça se passe sur un ring, à la loyale. Le champion auto-proclamé de la "justice sociale", François Hollande, en short rouge, dans son coin s'apprête au choc tandis que,  dans le coin opposé, en short bleu... Personne !  Car de son propre aveu cet adversaire "n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu et pourtant il gouverne".  Il faut vraiment tout le courage de "Super-François", héros normal, pour le défier ! 

Ça rappelle Fantômas, version Hunebelle, non ? D'un côté un insaisissable  criminel masqué, de l'autre, Juve,  flic hystérique et maladroit  et Fandor, journaliste ambigu qui pourrait bien n'être autre que Fantomas... Alors, Hollande ? Juve ou Fandor? Physiquement, on penserait plutôt à Juve... Et pour la duplicité à Fandor...


 Arrêtons-nous là. Tout le monde, et d'abord celui qui a prononcé le discours, sait que tout ça c'est du triste pipeau, de l'amuse-couillon. L'adversaire, le vrai, c'est Sarkozy et non un fumeux ennemi sans visage. Il sait bien que s'il le bat, ce ne sera pas parce que le bon peuple lui fait confiance pour établir je-ne-sais-quelle "justice" mais par rejet du président actuel. Que de ce côté là il y a de l'espoir tandis que face à  la finance c'est une autre paire de manches. Que l'on n'attend pas grand chose, sinon rien, de lui.

Il n'y a guère que les militants, race d'indécrottables cocus, pour croire à de telles balivernes.  Et les journalistes de la Radio de Service Comique et d'ailleurs pour relayer leur enthousiasme dans l'espoir de le communiquer. Ces derniers ont au moins l'excuse d'être payés pour ça.

dimanche 22 janvier 2012

Un dimanche (presque) parfait...



Le temps  était épouvantable. Poussés par le vent des rideaux de pluie passaient, masquant les versants des collines. C’était comme si  tous les nuages de la création s’étaient donné rendez-vous ici  et s’y soulageaient comme autant de buveurs de bière ayant de justesse atteint les toilettes. Les branches dénudées se tordaient ruisselantes dans le vent. Un spectacle à se poser des questions…

Que fait-on dans ces solitudes ? Ne serait-on pas mieux dans moins de boue, de vent et de pluie ? Dans ces villes qui parviennent, d’autant mieux qu’elles sont grandes,  à amortir le choc des saisons ? 

Les réponses, je les ai. J’ai choisi cet isolement. La soumission aux caprices de l’hiver est  le prix à payer pour que le  printemps qui viendra soit fête. Ce dimanche, j’en ferai un heureux moment d’hiver.

En voici la recette : Feu de bois, plat d’hiver, lecture, cigare et Armagnac. Le vent optimisant le tirage, le feu prend, s’élève, ronfle, craque et réchauffe. Il sera mon fond sonore tour à tour ronronnant ou pétaradant. Après avoir affronté les bourrasques pour chercher les légumes dans la resserre, on les épluche, les tranche ; on fait dorer la viande dans une cocotte, assaisonne, saupoudre de farine, ajoute du vin blanc, tourne, y plonge carottes et oignons tranchés et recouvre le tout d’eau. Dans deux heures la blanquette sera prête. Ce sera mon repas du soir…

Après un rapide casse-croûte l’après-midi bien entamé se muera peu à peu en soirée. Bien assis dans mon canapé, j’alterne infimes goulées d’Armagnac et bouffées de cigare. La liqueur et la fumée sucrées se mêlent en ma bouche. Combinaison parfaite. Le feu crépite suivant les caprices du vent. Je lis « Bella Ciao », court roman  D’Eric Holder qui rappelle Philippe Djian. Cigare et Armagnac sont loin déjà quand  je termine sa lecture que seul a interrompu l’ajout de bûches dans l’âtre. Le temps  du repas approche. J’épluche les pommes de terre, les mets à cuire et prépare la sauce à la crème dont je napperai la blanquette.  J’y ajoute, une idée comme ça, une cuillérée de moutade…

Le résultat est parfait. Je me régale avant de regarder  "Échappées belles » qui m’emmène en Jordanie,  Pétra et autres lieux, avant de continuer le tour de la Mer Noire. L’émission terminée, j’entame la lecture d’un roman de Nancy Huston avant de m’endormir…

Rien n’a cloché, alors pourquoi ce « presque » parfait ? Parce que,  pour un dimanche, ce jour avait un défaut rédhibitoire : on était samedi.

samedi 21 janvier 2012

Franchouillard, je vous dis...



Comme disait l’autre, « La vieillesse est un naufrage ». Un naufrage qui laisse des loisirs. 

Ainsi, moi qui ne regarde que très peu le téléviseur, même aux rares moments où il est allumé, pendant que je casse la croûte, charcuterie et fromage arrosés de Côtes du Rhône, me suis-je pris à regarder le journal de 13 heures de TFI. Ce ne sont pas les "déformations" (informations me paraît un terme abusif) qui m’intéressent. J’ai dès le matin entendu causer, d’une oreille distraite, des  petites phrases, polémiques, sondages et faits divers qu’on essaie de nous vendre comme importants. Non,  ce qui m’intéresse ce sont les petits sujets magazine qui les suivent. Je peux ainsi, sans dommage,  rater le début de l’émission.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de s’instruire mais de se distraire agréablement. Ces sujets sont brefs, bien filmés et  rythmés. Grosso-modo, il s’agit de faire découvrir les jolis côtés de notre pays. Et il y en a beaucoup. Paysages,centre- villes historiques, villages, artisanats, personnages cocasses, tout est bon.

Il est de bon ton de mépriser ce journal : les grandes questions n’y sont pas abordées, encore moins traitées. On nous montre une France profonde, rurale,  plutôt heureuse. Quid de la souffrance sociale ? Du chômage ? Du stress au travail ? Des koalas sans papiers réduits à la prostitution ? Des petits commerçants  ou artisans en dépôt de bilan, des agriculteurs en cessation d’activité ? *De ces pauvres immigrés dont la misère nous enrichit ?  De l’insécurité ? Des problèmes de santé ? Des écoles auxquelles manquent désespérément 60 000 enseignants pour assurer notre suprématie mondiale ? RIEN SUR TOUT ÇA ! Que du futile, je vous dis.

Seulement, il se trouve qu’il me montre la France que j’aime. Parce que figurez-vous, j’aime mon pays. Étonnant, non ? Pour moi, ce n’est pas un pays de merde mais le mien, celui où j’aime vivre. Je sais bien que la France rurale est en perte de vitesse, qu’elle ne représente au mieux que 20 à 25 % de la population. Et alors ? Là n’en sont pas moins nos racines, là peut se définir notre identité dans SA diversité. Le monde urbain tend à l’ « universel », la société rurale, elle, est spécifique,  a une forte identité. Les banlieues de nos grandes villes, où qu’elles soient situées, pavillonnaires ou autres, tendent à être identiques tandis que hameaux, villages et bourgs sont partout différents.

Alors, ces sujets « futiles » qui font naître chez l’homme de gauche ce sourire supérieur qui le rend si attachant quand ils ne provoquent pas son ire, je les trouve importants en ce qu’ils montrent de notre pays ce qui fait son attrait et y attire le touriste étranger. Ils montrent le contraire de la nouvelle société que l’on voudrait nous vendre et qui n’a aucun intérêt, ni pour nous ni  pour personne (à l’exception bien entendu de ceux qui n’y voient qu’une oasis de prospérité où fuir leur misère originelle et de ceux qui, abrutis par la propagande, se rêvent « citoyens du monde »).


*Soyons honnêtes, ces catégories tout le monde s’en fout !

vendredi 20 janvier 2012

Vérité sur le naufrage ou naufrage de la vérité ?



Il nous est tous  arrivé de nous dire un jour, suite à une bêtise plus ou moins grave,  qu’on aurait mieux fait de rester couché.

C’est ce que doit penser Francesco Schettino, capitaine du Concordia dont l’immense carcasse est vautrée tout près des côtes de  l’île du Giglio. Il y a des morts, des disparus. Relativement peu d’ailleurs,  vu le nombre de passagers. Le bateau est foutu. On ne sait même pas ce qu’on va pouvoir en faire…

Un jour on est le seul maître à bord après Dieu (quand ce dernier ne tape pas le carton). Le lendemain, on est la pire des merdes. Il ne faudrait quand même pas croire qu’on a confié un tel navire à un triste incapable suite à un entretien du genre :

-    Ah, mon p’tit Francesco, je t’ai fait venir parce que j’avais quelque chose à te demander…
-    Oui, M’sieur Costa ?
-    Est-ce que tu saurais commander un paquebot ?
-    Commander un paquebot ? Je ne sais pas, j’ai jamais essayé…
-    Tu as bien fait un peu de navigation quand même ?
-    Ben, j’ai bien  fait du pédalo avec François Hollande mais c’était lui le commandant…
-    Du pédalo ? Tu as donc une expérience maritime…
-    Et puis mon beau-frère a fait son service dans la marine…
-    Mais c’est très bien tout ça ! Je crois que j’ai trouvé l’homme qu’il me faut. Je t’explique. Je viens d’acheter un nouveau paquebot, le Concordia, un rafiot qui fait quand même ses 280 m de long. Ça m’a coûté une bonne pincée. Je ne te dis pas combien, mais avec ça, j’aurais pu m’en payer des soirées de bunga-bunga ! Et pas qu’un peu !
-    Je n’en doute pas M’sieur Costa.
-    Donc, j’ai déjà le bateau, j’ai recruté l’équipage, mais il me manque le commandant. J’ai pensé à toi parce que depuis quelques  années que je t’observe quand tu nettoies les carreaux de mon bureau, j’ai pu me rendre compte que tu étais un garçon sérieux et consciencieux…
-    Vous me flattez, M’sieur Costa !
-    Pas du tout, Francesco, pas du tout. J’ai vu aussi que tu t’y connaissais à la manœuvre. Quand tu gares ta Fiat 500, c’est du travail d’artiste…
-    On fait ce qu’on peut M’sieur Costa, on fait ce qu’on peut…
-    Tu es trop modeste, Francesco, trop modeste. Allez, tu n’es plus laveur de carreau, te voici commandant de paquebot.
-    C’est ma femme qui va être contente ! Elle qui trouve que je suis toujours dans ses pattes, ça va lui faire des vacances. (à part : Et à moi aussi !)
-   Tope-là, Francesco et cochon qui s’en dédit !  Seulement, je te demanderai  d’y faire bien attention, parce que ces machins-là ça se gare pas comme une Fiat 500 et les rayures sur la coque ça coute bonbon à réparer.
-    J’y ferai  attention comme si c’était à moi, ne vous en faites pas, M’sieur Costa.
-    Voilà une affaire rondement menée ! Tiens, voilà les clés. Ton paquebot est arrimé au môle B. Tu ne peux pas te tromper, c’est le plus gros.  Et pour la tenue, tu devrais trouver ce qu’il te faut chez Kiabi.  Il ne me reste plus qu’à te souhaiter bon vent.
-    Merci M’sieur Costa. Vous n’aurez pas obligé un ingrat.
-    C’est moi qui te remercie, mon petit Francesco, au revoir Capitaine Francesco…
-    Au revoir, M’sieur Costa et bien le bonjour chez vous !

Tout ça paraît grotesque et improbable, non ? Et les commentaires qui sont faits sur le caractère du Commandant Francesco Schettino, ils ne vous paraissent pas également  grotesques  et improbables ? Même pas un tout petit peu ? Vous imaginez vraiment que la compagnie Costa Croisières confie le sort de navires qui coutent je ne sais combien de centaines de millions d’euros, sans compter la vie de milliers de passagers, à des rigolos qui vont faire les marioles avec pour épater leurs potes ?   Le portrait qu'on fait de l'homme et les agissements qu'on lui attribue le laisseraient croire. Sauf que ça ne colle pas tout à fait avec ce qu’on dit de lui dans cet article.

Une fois calmé le raffut médiatique, on aimerait avoir la version du capitaine…

jeudi 19 janvier 2012

Où les vieux cons divergent...




Annie Ernaux avait  su, dans la partie de son « autobiographie impersonnelle et collective » consacrée à l’enfance, faire remonter en moi bien des  nostalgies. Mais ensuite tout s’est mis à cafouiller entre nous. Je crains que, dès le départ, notre « union » n’ait été construite sur un malentendu.  Certes les origines modestes, l’extraction populaire, l’époque (enfin, presque) étaient là pour nous  rassembler. Mais, mais, mais… 

Madame  Ernaux respectait (et respecte probablement encore)  école, diplômes, mérite, ascenseur social et tout le bastringue.  Elle s’engouffra dans le modèle petit-bourgeois,  passa son  CAPES, devint une enseignante « consciente et responsable » selon les critères requis, une mère dévouée.  Un modèle d’intégration sociale. En opposition avec le système comme il sied au teint.  Une  prof de banlieue, calibrée au micron près.  Du bois dont on fait les gôchos. Avec l’illusion que ce conformisme politique est  rébellion. Alors qu’il n’est qu’imaginaire fenêtre azurée dans la grisaille du quotidien.

Enfoncée jusqu’aux narines dans l’ordinaire, mai 68, cette dérisoire pantalonnade, lui paraît oxygène. Fallait-il qu’elle étouffe !  Son récit, ensuite,  devient un  catalogue plus ou moins exhaustif des  « luttes », espoirs, déceptions et tristes constats d’une gôche  qui se cherche sans risquer de jamais se trouver tant ses rêves sont inconsistants. Au niveau personnel on trouve l’habituel divorce, l’éducation permissive des enfants, les liaisons avec ou sans lendemains qu’implique un bovarysme de bon aloi…   Si certaines notations continuent, ici ou là, de réveiller en moi d’obscurs souvenirs, l’essentiel de ses  préoccupations m’échappent comme m’échapperaient les émois d’un copocléphile. 

La mémoire qu’elle tente de réveiller n’est pas celle de la collectivité française mais  celle d’un clan. Je ne m’y retrouve pas du tout. Sa tentative de   recréer une époque échoue : elle n’en retranscrit que  ce qu’ont voulu y voir ceux de son milieu et de son bord à travers le prisme de leur idéologie.

Restent un style épuré, habile, efficace, une lecture agréable. Ce n’est pas rien.

mercredi 18 janvier 2012

Mon mai 68


Il était temps qu'il arrive! On filait un bien mauvais coton. Pour les anniversaires ou sans raison du tout, on s'était mis à picoler sec avec les copains. Je me souviens d'un cours de philo où les comportements étaient bizarres : une bonne moitié de la classe ronde comme autant de queues de pelles. Et alors? Ben, c'était pas normal. On était AVANT mai 68. Du temps où toute chose était à sa place et toute place à sa chose. Un ordre parfait que rien n'aurait dû perturber. Depuis le début de cette année de terminale, les profs, tous communistes ou apparentés, faisaient leur propagande. Ils appelaient ça des cours. C'était curieux parce que Rambouillet, comme bastion rouge, on avait vu mieux. Ils devaient venir de Paris. Comme beaucoup des internes. Car il y avait un internat qui servait de havre aux exclus de Janson de Sailly. Entre les cuites et les cours assommants on était au bord de la catalepsie.

Et il est arrivé ce fameux mai. Progressivement. D'abord des troubles à Paris. Puis la grève au lycée de Rambouillet. Les profs étaient perplexes voire mal à l'aise. Ils s'étaient mis en grève mais si près du bac, ils faisaient des sortes de cours, quand même. Si un d'entre eux nous avait dit que durant l'année nous avions vu la théorie et qu'à présent nous voyions la pratique, d'autres, sentant que le sol se dérobait sous leurs pieds prêchaient en faveur d'un compromis. Attention, pas d'une compromission ! Un retour à l'ordre où ils puissent paisiblement prêcher l'insurrection, en quelque sorte. Tous ces jeunes qui semblaient les avoir pris au mot, ce n'était pas rassurant. Ils cherchaient, bon pédagogues, à cerner ce que nous pouvions bien attendre comme changements. Personnellement, je n’avais rien à suggérer. Les cours étaient ennuyeux à souhait, les profs avaient une capacité enviable à dépouiller leur matière de tout attrait. De quoi se plaignait-on ? J'étais comme un prisonnier à qui on demande ce qui devrait changer dans l’administration de la centrale pour que celle-ci rejoigne son idéal alors qu’il se contrefiche de ses détails vu qu’il ne rêve que d’en sortir. Et puis, à deux mois de la libération…

Un jour, faute de carburant, le ramassage scolaire s’interrompit : plus de lycée. Mon copain Philippe passa me prendre avec sa voiture. Il lui restait un peu d'essence. On a fait un tour au lycée qui était en "révolution". AG et tout. On en entendit de belles. Conquis de fraîche date à l'idéal révolutionnaire, c'était à qui, parmi ces enfants de bourgeois, sortirait les propos les plus enflammés. Dans le genre délirant, on avoisinait le chef-d’œuvre. On est partis écœurés par tant d'âneries. Pas question d’y retourner ! 

Que faire? La situation paraissait assez simple: tout ça allait se tasser. C'est bien joli un mois de mai, seulement après 31 jours, il n'en reste plus. Ce n'était pas les propos ineptes de Cohn-Bendit et consorts, relayés par des adolescents naïfs, qui allaient changer le monde. J'en étais certain. D'autant plus que sur le territoire de la jolie commune où j'habitais se trouvait un camp militaire. Et que sur ce camp militaire, depuis le début du mois, venant de Pau, s'étaient installés de gentils parachutistes. Au cas où. La rumeur disait que nous n'étions pas les seuls aux alentours de Paris à bénéficier de cette rassurante présence.

Bref, il était temps de penser au bac. Il y avait trois ans que je ne foutais rien. Ou pratiquement rien. J'étais passé de seconde scientifique en première littéraire grâce à deux compositions françaises plutôt réussies. Puis de première en terminale parce qu'on ne peut pas faire redoubler un premier prix de français en section littéraire même s'il ne fait strictement rien dans les autres matières. En terminale, c'était en histoire que j'aurais eu le prix. S'il y en avait eu un. Mais avec tous ces événements… Le bac étant inéluctable, je me lançais donc dans des révisions (plutôt des visions) acharnées. Je m'ennuyais tant au lycée que l'idée d'en faire une année de plus m'était insupportable. Comme le fait d'y avoir passé 3 ans de ma vie pour rien m'aurait fortement contrarié.

En huit jours, j'avais fait tout le programme de maths et tous les exercices du livre. Dérivées et intégrales n'avaient plus de secrets pour moi. La géo, la philo, les œuvres de français, je m'ingurgitai tout en un temps record. Le soir, je jouais au ping-pong au foyer communal. Si le tournant vers un rétablissement des choses fut pris le 30 mai, il fallut cependant encore un bon mois pour que tout se tasse et que je peaufine mes savoirs. Le 27 juin on annonçait que le bac serait purement oral. Ça m'arrangeait bien. Les épreuves se passèrent agréablement. Je ne ratai que de peu la mention bien.

C'est ça mon mai (-juin) 68. Vraiment pas de quoi pavoiser.

mardi 17 janvier 2012

La croisière s'amuse...

 C'est curieux, on dirait qu'il y a un rien de gîte

Ces derniers jours, il a beaucoup été question de croisières. Ça m'a rappelé quelque chose.

En 1972, avec ma copine, l'envie nous prit  de nous rendre en Casamance en bateau. L'idée était originale. Une mini-croisière, en quelque sorte. On quittait Dakar dans l'après-midi, et environ 24 heures plus tard, on débarquait sur les quais de Ziguinchor, frais comme des roses. Nous réservâmes donc.

Malheureusement, toutes les cabines étaient prises. Qu'importe, nous nous rabattîmes sur les couchettes qui devaient à nos yeux innocents constituer une sorte de deuxième classe. Le jour et l'heure venus, nous nous présentâmes à l'embarquement. Un panneau indiquant que les passagers "couchettes" devaient se présenter à l'arrière du navire, vers l'arrière nous nous dirigeâmes. L'employé sénégalais qui contrôlait les billets, avant que nous soyons arrivés à sa hauteur tenta de nous faire comprendre par gestes que nous nous égarions. Arrivés près de lui, sans regarder nos billets, il nous expliqua que c'était à l'avant que nous devions aller. Devant nous allâmes. Là, après inspection de nos billets, on nous redirigea vers l'arrière. Devant notre insistance, l'employé qui nous avait d'abord réorientés finit par admettre, qu'aussi incroyable que ça paraisse, c'était bien de son côté que nous devions monter.

Nous rejoignîmes donc nos quartiers, lesquels étaient bien encombrés. Un grand nombre de Noirs s'y trouvaient installés, entourés de volumineux bagages, laissant peu d'espace libre. Un marin à qui nous demandâmes où se trouvaient nos couchettes trouva notre question bizarre. Des couchettes ? J'insistai : nous avions payé pour des couchettes, couchettes nous exigions ! Le ton monta un peu. Le marin finit par se résigner et sans grand enthousiasme demanda à de nombreux installés d'aller le faire ailleurs et installa deux lits de camp pour moi et ma compagne dans un coin. Ça commençait bien...

Maintenant que la question du gîte se trouvait résolue, il fallait penser à celle du couvert. Je demandai donc au brave Sénégalais que j'avais déjà importuné avec mon obsession maniaque des couchettes comment on faisait pour se nourrir. Apparemment, rien n'était prévu à l'arrière et l'accès à l'avant étant totalement interdit aux passagers de la poupe, il ne semblait pas exister de solution. Nouvelle insistance. Nouvelle montée du ton. Nouvelle résignation. Le marin finit par me conduire à un officier, blanc lui, à qui j'expliquai la situation. "Vous êtes à l'arrière ? Avec votre femme ?" Je lui aurais dit que  j'étais un ogre martien et que  j'aurais bien aimé manger quelques enfants avant que le soleil ne se couche, je ne lui aurais pas paru plus étrange. Ému par notre détresse, ou par solidarité raciale, il consentit à soumettre notre cas au commandant. Je le suivis. 

Le commandant fixait la mer et nous tournait donc le dos quand nous pénétrâmes dans la passerelle. L'officier rapporta à son supérieur l'étrange situation. "Des blancs derrière ? Eh ben, ils n'ont pas peur !" Je lui confirmai mon absence de crainte. Ça le fit légèrement sursauter car il ignorait ma présence. Il se retourna, vérifia d'un bref coup d’œil que je n'étais aucunement muni des antennes qui caractérisent le martien et que je ne présentais pas non plus les caractéristiques du hippie drogué qu'on peut laisser crever, puis entama la conversation.  Il en ressortit que nous pourrions, moyennant un prix restant à déterminer,  manger à l'avant avec les passagers des cabines et qu'il nous serait possible de circuler librement, c'est à dire à l'avant,  de profiter du bar et tout.

Riche de ces bonne nouvelles, j'allai les annoncer à Susan qui, contre toute attente, n'avait encore été ni violée ni dévorée par nos compagnons de voyage. Nous pûmes donc dîner de manière très agréable en compagnie des croisiéristes français et du commandant. Nourriture et vins étaient excellents autant qu'abondants et nous furent facturés à un prix symbolique. Nos convives s'étonnèrent un peu que nous n’ayons pas de cabine, mais sinon tout roula bien. Nous rejoignîmes ensuite nos sommaires "appartements".

Je n'ai jamais été très fort en sommeil. La rusticité du couchage n'aidait rien. Au bout d'un moment, alors que tout le monde, y compris Susan, dormait à poings fermés, faute de trouver le repos, je décidai d'aller faire un tour. J'allai, histoire de profiter de mon privilège, me promener à l'avant du navire. Il y avait de la lumière au bar. J'y entrai et vis, installé au comptoir devant une bière, l'officier qui m'avait présenté au commandant et qui se trouvait être le second. Il m'invita à en boire une avec lui et là commença une conversation étonnante. Des propos racistes, j'en avais entendu : des verts et des pas murs. Mais là, je dois dire que c'était un festival. Après s'être étonné que j'ose m'éloigner en pleine nuit de ma compagne, la laissant en telle compagnie, il me dit ce qu'il avait sur le cœur. Ses propos sur les passagers de l'arrière auraient donné au plus raciste de nos actuels contemporains des airs de militant acharné du MRAP ou de "Touche pas à mon pote". Il voyait les choses clairement : le commandant était trop bon, s'il avait son mot à dire, lui, il bouclerait tout ça derrière, avec des cadenas (sauf nous, bien entendu !), que de cette race de putains, c'étaient les plus putains, que si le bateau coulait et qu'ils n'avaient pas  accès aux canots de sauvetage, ça serait plutôt positif... Capables de tout et du reste. Surtout du plus inquiétant des restes. La litanie fut longue, variée, colorée. Au point qu'en j'en pris note de retour à ma couchette. J'avais du mal à voir dans les paisibles dormeurs qui m'entouraient les dangereux monstres dont il m'avait dépeint les multiples tares et vices. Je n'allais tout de même pas le contredire. Après tout, il m'avait rendu service. Et à quoi bon ?

La "croisière" s'acheva le lendemain après la meilleure et plus riche bouillabaisse qu'il m'ait été donné de déguster.

Le 27 septembre 2002, le Joola, bateau qui remplaçait celui que j'avais pris trente ans plus tôt, coulait corps et bien entraînant la mort d'environ deux mille personnes. Il était notoirement surchargé. Je n'ai pu m'empêcher de penser que, quelles qu'aient été les opinions des officiers français que j'avais rencontrés, ils n'auraient jamais permis ces surcharges folles et qu'objectivement, malgré leurs paroles, ils se préoccupaient davantage de la sécurité de leurs passagers que ceux qui les remplacèrent. Comme quoi les choses ne sont pas toujours simples.

lundi 16 janvier 2012

Spécial vieux cons ?





Il y a plus de trois mois déjà j’écrivis un billet constatant  avec un rien de mélancolie  la mystérieuse disparition des chanteurs  lors des repas de famille.  Suzanne, dans un commentaire, nota que mon texte lui faisait penser  au livre d’Annie Ernaux « Les Années ».  Je lui promis de me le procurer. Comme je suis homme de parole, j’en parlai donc à la bibliothécaire du bourg voisin  et cette consciencieuse personne lors de la visite que je lui rendis avant-hier me signala l’avoir reçu de la Bibliothèque Centrale de Prêt.

J’en ai entamé cet après-midi la lecture et, bien que j’aie de plus en plus de difficulté à m’intéresser  aux nouveautés –je relis plus que je ne lis-, j’ai eu bien du mal à m’en arracher.

Quoique l’auteur  soit de dix ans mon aînée, je me suis retrouvé plongé dans mon enfance. Il faut croire qu’en ces temps reculés les choses changeaient lentement. Annie Ernaux le note elle-même quand elle écrit : « La photo pourrait dater de la fin des années quarante ou du début des années soixante ».

Car c’est à partir de photos que se construit, pour reprendre les termes de la quatrième de couverture, cette « autobiographie impersonnelle et collective ».  Au départ  ces photos renvoient évidemment à des souvenirs de l’auteur mais bien vite le champ s’élargit et c’est toute la société du temps qui nous est  dépeinte. Rien n'y manque : la religion, encore prépondérante, les écoles séparées, les marques et leurs slogans, les différences sociales et culturelles, les interminables repas de famille où les parents parlaient guerre, les chansons, les émissions de radio, mille détails font renaître l’époque et plongent le lecteur cacochyme que je suis dans un bain de nostalgie.

Et pourtant des années et le sexe nous séparent…  Là est le talent de l’auteur : par delà des différences minimes ou fondamentales, elle a su extraire l’essence d’une société avant que celle-ci ne disparaisse emportée par le vent nouveau des « swinging sixties » dont le vieux général par son conservatisme un rien guindé  avait su préserver  la France jusqu’à ce que mai 68  emporte tout et lui avec.

Au moment d’en recommander la lecture,  je me demande si pour les générations plus récentes ce livre peut présenter un intérêt autre que purement littéraire ou archéologique…   Ce qui après tout ne serait déjà pas si mal.

dimanche 15 janvier 2012

Curieux "Français"



L’oisiveté est dite mère de tous vices. Mère, sœur, cousine, tante ou belle-sœur, qu’importe, n’empêche que c’est elle qui, hier, m’a poussé à aller faire un tour sur le forum que je hantais voici quelques années, avant que la lassitude ne m’en éloigne. C’était, et c’est toujours,  un lieu hanté par une gauche plutôt radicale.  Enfin, hanté est un bien grand mot, vu que les interventions s’y font de plus en plus rares. Un de ces soubresauts qui indiquent que le lieu n’est pas  totalement déserté fut créé par Sébastien (Sébastien, si tu me lis…)qui lança l’idée d’un quiz sur Jeanne d’Arc.

S’ensuivirent diverses considérations plus ou moins (souvent TRÈS moins) intéressantes sur la pucelle, ses divers aventures et mérites comme sur les légendes et rumeurs qui courent sur elle. Un intervenant habituel écrivit cette phrase qui retint mon attention :
« L'histoire ridicule de jeanne d'arc n'a aucun intérêt. Beaucoup de Français en revanche vibrent aujourd'hui au souvenir d'Abdelkrim, d'Ali la Pointe ou de Fanon.
On y peut rien* ».

C’est pas mal, non ? Qui sont ces « Beaucoup » qui n’ayant rien à battre de la ridicule pucelle d’Orléans s’enflamment à l’évocation du rebelle du Rif, du voyou de la casbah devenu héros du FLN et de cet antillais qui appelait dans ses écrits au meurtre des Français ?  Je doute que ce soient les braves gens que je croise au marché aux veaux de Sourdeval. Je soupçonnerais même ces Français-là de mieux connaître Jeanne d’Arc que les « héros » ci-dessus évoqués. « Héros » qui ont pour point commun d’avoir, dans le cadre de leur combat anticolonialiste, partagé une haine fervente des Français.

Les plus futés d’entre vous auront deviné qui sont ces « Beaucoup ». L’auteur de cette phrase d’anthologie est lui-même un « Beaucoup ». Un de ces « Beaucoup »  qui, bien que devenus Français,  font allégeance à tout ce qui hait la France. Expression de l’aigreur résultant de l’exclusion ? Détrompez-vous : ce « Beaucoup »-là est fonctionnaire de la République, il est même professeur de lettres dans le 9-3 où, je lui fais confiance, il doit transmettre à ses élèves (très souvent "Beaucoup" eux-mêmes) son message d’amour pour le pays qui lui a offert sa nationalité.

Voilà où nous en sommes : des « Beaucoup », français de fraîche date, n’ont que mépris pour l’histoire de « leur » pays et dégoulinent d’admiration pour ses ennemis.  

Après ça, ils s’étonneront que certains jugent qu’être « Beaucoup » c’est déjà « Trop ». Et d'ailleurs, n'y pouvons-nous vraiment RIEN ?


*Notons au passage que notre ami,  s’il ignore les majuscules pour Jeanne en redécouvre par miracle l’usage pour ceux qui peuplent son panthéon personnel.  Maladresse de qui ne domine que partiellement l’usage ou  acte délibéré ?