C'est une évidence : les vieux
sont souvent si cons que traiter quelqu'un de « vieux con »
est un quasi-pléonasme. Vieux suffirait. Et pourquoi sont-ils cons ?
D'abord parce que la réalité du monde d'aujourd'hui leur est
étrangère. Ils vivent en fonction d'un passé largement fantasmé
où tout était mieux. On les envoyait passer leurs vingt ans en
Kabylie, au frais de la princesse ! Ils vivaient souvent dans
des logements dont le relatif inconfort était compensé par une
exiguïté de bon aloi. Ils pouvaient commencer à travailler à
quatorze ans. Seule une minorité connaissait les joies d'un
enseignement secondaire où régnait une certaine discipline. Leur
jeunesse manquait d'embouteillages. Ils n'avaient pas toujours une
voiture et celles qu'ils possédaient parfois tombaient en panne avec
régularité, étaient mal équipées, et un mauvais réseau routier
leur permettait de s'adonner sans retenue aux joies de la collision
frontale. Oh, il y avait bien un peu de violence : les instits
avaient volontiers la main leste, les parents aussi, les bandes de
blousons noirs s'affrontaient à coups de chaînes de vélo, on
cassait les fauteuils à L'Olympia, mais tout ça avec bonhomie. Au
service on touchait des Gauloises Troupes, gratos et on
s'initiait aux cuites à la bière sous l’œil bienveillant de
sous-offs aguerris dans les campagnes coloniales voire lors de la
Deuxième Guerre Mondiale . Pas de Rap, juste un peu de Rock'n
Roll. Pas de net, pas de porno, pas de twits, pas de portables, peu
de téléphones, une seule chaîne de télé. Pas de pilule : on
se mariait souvent pour avoir « fêté Pâques avant les
Rameaux ». Dans ces conditions et bien d'autres, comment
auraient-ils pu devenir autre chose que des cons ?
Curieusement, ces vieux idiots gardent
parfois de leur jeunesse un souvenir agréable et y voient, en dépit
de moult contraintes, un temps de liberté. Si les personnes chargées
de maintenir l'ordre public voire moral avaient alors de l'autorité,
le nombre de règlements qu'elles avaient à faire respecter était
bien moindre. On roulait à la vitesse qu'on voulait, on fumait
partout, on pouvait sortir les conneries qu'on voulait sans tomber
sous le coup de la loi, l'école tentait d'instruire et non
d'éduquer, ce qui évitait que chacun ait un petit flic dans sa
tête. Depuis les années soixante-soixante-dix, les réglementations
ont poussé partout comme champignons sous l'ondée, et cela pour
notre plus grand bien. On vit dans une société sécuritaire où
notre santé, notre comportement, nos idées, notre expression, notre
conduite, notre alimentation, sont surveillés de si près que malgré
toutes les nouvelles libertés récemment acquises on a parfois comme
un sentiment d'oppression. Surtout qu'on constate que parallèlement
à la montée en puissance des moutons civiques on assiste à
l'émergence d'un nombre croissant de déviants qui, par ignorance ou
mépris des innombrables règles qui régissent le comportement dit
citoyen, se comportent en quasi-barbares. D'où une certaine
confusion : tandis qu'apparaissent des libertés se multiplient
les contraintes ; quand tout est fait pour que nos vies se
passent sans à-coups ni dangers l'insécurité monte ; quand la
société est censé tendre à l'apaisement, se répand l'anarchie...
Au nom de généreuses intentions, on voit des moutons voler au
secours des loups et des égorgeurs.
C'est du moins ce que pensent certains
vieux et même certains jeunes, vieux dès la naissance, si on en
croit les dires d'autres jeunes et des vieux qui ont su rester jeunes
d'esprit. Car cette dernière catégorie existe bien. La seule chose
qu'on pourrait lui reprocher serait de ne voir de la réalité
actuelle que ce qui est, à leurs yeux, positif et d'en nier les
déplorables effets secondaires. Ce qui, d'un certain point de vue en
fait une autre espèce de cons.