Robert Boudin (ça ne peut pas s’inventer, un nom pareil !)
et sa fidèle épouse occupaient depuis des temps immémoriaux le troisième étage
du petit immeuble ancien que j’habitais à Tours. Des septuagénaires bien calmes
et ennuyeux comme la pluie qui terminaient une vie de couple qu’on
devinait sans grand relief là où ils l’avaient commencée des lustres
auparavant.
Un jour que nous bavardions de choses et d’autres, le vieux
Robert me conseilla de cesser de fumer comme il l’avait fait à soixante-dix ans
passés. « Quel vieux con remarquai-je in petto ! Arrêter de fumer à pareil
âge ! A quoi bon ? » J’avais vingt-cinq ans alors… Je lui promis
d’y réfléchir…
Et nous voici quarante ans plus tard. En ce début d’année où
il est de bon ton de prendre de « bonnes résolutions » je commence à
comprendre Robert. Comme quoi certains grains, si bon soient-ils, si fertile
soit la terre où on les a semés, mettent quelque temps à germer.
Disons-le tout net, les résolutions, bonnes ou mauvaises, ce
n’est pas mon truc. Je me méfie comme de la peste de ces engagements qui mènent
plus souvent à se constater velléitaire qu’à de concrets résultats. Seulement, l’âge
vous envoie de ces petits signaux qui
sapent vos assurances. Là une légère attaque cardiaque, ici des douleurs
abdominales et une toux qui s’éternisent, des essoufflements qui vous prennent
après deux étages, tout ça est ennuyeux, lassant et même un peu inquiétant.
Alors on prend des médocs, on va voir le bon docteur, il vous prescrit des examens
divers, des radios et le diagnostic tombe : vous n’avez pas plus de cancer
à l’estomac qu’aux poumons. Juste un petit ulcère et une bronchite chronique
qui ne demandent qu’à s’étendre.
Et là on finit par se poser d’étranges questions :
est-il bien raisonnable de continuer de pétuner comme pompier et de se
désinfecter la glotte chaque soir au jus de whisky ? N’existerait-il pas
un lien, même ténu, entre les quintes, les douleurs et ces deux innocentes
habitudes ? L’agrément de leur
poursuite n’est-il pas oblitéré par les inconvénients qu’elles entraînent ?
Si la situation continue d’empirer, ne serait-il
pas sage, avant qu’elle devienne
carrément incapacitante, d’envisager, sinon leur suppression, leur réduction ?
Je suppose que si le vieux Robert s’était résigné à supprimer
les Ninas, c’est que monter les trois étages lui devenait problématique.
Les voies qu’emprunte la « sagesse » pour venir
à l’homme sont tortueuses…