Ce principe est méconnu. Je pense même être le seul à
l’avoir conceptualisé, du moins sous ce vocable, il y a déjà bien longtemps. Il
tire son nom d’une histoire que j’avais entendue dans ma prime jeunesse. Je
vous la livre avant d’en venir à l’énonciation du principe.
Précisons que cette histoire se passe en ces temps reculés
où plutôt que de les obliger à s’ennuyer
au collège on contraignait les jeunes dès leurs tendres années à travailler.
Âmes sensibles s’abstenir (d’ailleurs on se demande ce que pourrait bien faire
une âme sensible dans un lieu si nauséabond).
Or donc, un matin, à l’heure de l’embauche, un gamin d’une
douzaine d’années se tient à côté d’une charrette à bras lourdement chargée. Il
est en bas d’une rude côte. Il semble rassembler ses forces pour attaquer la
montée.
Vient à passer un brave ouvrier (l’ouvrier, en ces temps
barbares était généralement brave et se déplaçait à pied). Il comprend
immédiatement la situation et propose son aide au gamin, lequel accepte. Il
saisit donc les brancards et entreprend
de tirer la voiture à bras, tâche qui s’avère difficile même pour un robuste
travailleur. Essoufflé et suant, l’homme interroge le gamin qui monte à ses
côtés, mains dans les poches et sifflotant.
-
C’est ton patron qui t’a confié cette
charrette ?
-
Oui m’sieur !
-
Donner un tel travail à un gamin de ton
âge ! Il n’a pas honte ?
-
Non m’sieur !
-
C’est vraiment dégueulasse ahane la belle
âme !
-
Non, pas vraiment, lui répond le pauvre gosse.
-
Comment, ça ? Il faut vraiment être une
ordure pour faire faire un tel travail à un enfant !
-
Comme vous y allez ! Une ordure ?
-
Oui, j’appelle ça une ordure dit l’offusqué,
arrivant en nage en haut de la côte là où les marchandises doivent être livrées.
-
En fait, mon patron est très gentil avec moi.
-
Gentil ? Tu appelles ça gentil de confier une tâche qu’un costaud à du mal à
accomplir à un p’tit bout de chou comme toi ?
-
Oui, c’est lui qui avait amené la carriole en bas. Il est parti en me
disant : « Je te laisse maintenant, tu trouveras bien un con pour la
monter à ta place ! »
Enoncé du principe : Qui sait attirer la pitié trouvera
toujours un brave con pour accomplir à sa place les tâches pénibles.
La pitié n’est pas son seul moteur. L’exaspération peut la
remplacer. Ainsi certaines personnes, persuadées d’être efficaces ne supportent
pas de voir la maladresse d’autrui et, plutôt que de le voir crapahuter
laborieusement, elles s’empressent de montrer leur savoir faire. Elles sont
immédiatement récompensées de leurs efforts par le sentiment de supériorité qu’elles en retirent.
Quel que soit le moteur qui met en œuvre le principe de la
charrette, il faut en user avec prudence dans le monde du travail. Sauf à
occuper une position supérieure et en être indéboulonnable, y avoir trop
souvent recours peut entraîner un renvoi pour incompétence, la vanité de
l’aidant ayant ses limites. Dans la vie privée, en revanche, on peut l’utiliser
sans modération.
Cynique ? Peut-être… J’ai tendance à considérer que les
termes cynisme et pessimisme sont pour les idéalistes des mots qui stigmatisent le réalisme. Mais
c’est être bien cynique qu’écrire cela…