Charles De Gaulle, politicien madré, sauveur de la France à
l’occasion, traversait le désert depuis plus de douze ans. « Quand t’es dans le désert, depuis trop
longtemps », je ne sais pas si « tu t'demandes à qui ça sert toutes les règles un peu truquées du jeu
qu'on veut te faire jouer les yeux bandés » comme disait Capdevielle
mais sans pays à sauver, un Général providentiel, ça doit s’emmerder ferme. Sa « certaine idée de la France » ne
correspondait pas bien à la réalité du pays sous la quatrième, livrée aux
combinaisons partisanes entraînant une instabilité ministérielle où régnaient les
Mitterrand (11 fois ministre) et autres politiciens cyniques grâce aux
partis-charnières ; depuis fin 1954 était venu s’ajouter le bourbier
algérien où le régime pataugeait avant d’y sombrer. Suite aux événements d’Alger
en mai 1958, le bon Général rempile comme sauveur. Se faisant une douce
violence, il cède aux impérieuses sollicitations de ses amis et devient le dernier
président du conseil de la IVe, le 1er juin. Trois jours plus tard,
du balcon du Gouvernement Général d’Alger, il lance à une foule qui voit en lui
son sauveur, son célèbre :
JE VOUS AI COMPRIS !
Phrase ambiguë ! Comprendre n’est pas approuver et
encore moins soutenir. Avec effort, je parviens à comprendre le désir de M.
Hollande de rester président en 2017. Je ne l’approuve pas plus que je ne
voterai pour lui…
Toujours est-il que le père Charles, si tant est qu’il l’ait
été en ce beau jour de juin, ne resta pas longtemps partisan de l’Algérie
Française. Ainsi, cette déclaration rapportée par Alain Peyrefitte, en date du
5 mars 1959 et citée par Lebuchard
courroucé laisse planer peu de doutes sur son total scepticisme quant à la
possibilité d’intégrer les populations algériennes à la France. En résumé, pour
le Général, les musulmans d’Algérie ne sauraient se mélanger à une population
française aux racines gréco-romaines et chrétiennes. Du fait de son dynamisme démographique,
et du niveau économique supérieur de la métropole, ces populations
deviendraient vite majoritaires dans l’Hexagone et son village deviendrait
Colombey-les-Deux-Mosquées. Mane, thecel,
phares !
On continua bien la guerre afin de négocier en position de
force… Je passerai sous silence les sanglantes péripéties qui suivirent. Je me
bornerai à évoquer l’attitude de la France vis-à-vis des harkis, ces Algériens
ayant combattu aux côtés des Français. La directive ministérielle du 15 juillet
1962 émanant de Louis Joxe, ministre des affaires algériennes, stipulait :
« Je vous renvoie, au fur et à
mesure, à la documentation que je reçois au sujet des supplétifs. Vous voudrez
bien faire rechercher, tant dans l'armée que dans l'administration, les
promoteurs et les complices de ces entreprises de rapatriement, et faire
prendre les sanctions appropriées. Les supplétifs débarqués en métropole, en
dehors du plan général, seront renvoyés en Algérie, où ils devront rejoindre,
avant qu'il ne soit statué sur leur destination définitive, le personnel déjà
regroupé suivant les directives des 7 et 11 avril. Je n'ignore pas que ce
renvoi peut-être interprété par les propagandistes de la sédition, comme un
refus d'assurer l'avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra
donc d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure ». Ainsi
quiconque favoriserait le « transfert » des harkis serait sanctionné
et ces derniers seraient renvoyés sans pitié vers un possible assassinat. En
gros : « Accroche-toi au
pinceau, je retire l’échelle ! ». On a vu plus chevaleresque. Il y eut bien des
exceptions. Ainsi deux avions militaires permirent au Bachaga Boualam de
rejoindre la France en compagnie de sa famille et d’une partie de sa harka et
de s’installer en Camargue. Il faut dire qu’il était encore vice-président de l’Assemblée
Nationale et héros de la seconde guerre mondiale. L’abandonner à la vengeance
du FLN eût fait désordre. Sans qu’on puisse en donner le nombre avec
exactitude, on estime que 90 000 personnes furent transférées en France et
qu’entre 60 et 70 000 furent massacrés en Algérie.
Tout ça est bien atroce et peu glorieux. Bien qu’ayant
autorisé l’enrôlement massif de harkis, le Général, en les abandonnant en 1962,
se montrait cohérent avec sa position de 1959 évoquée plus haut. Accueillir en tant que réfugiés les
quelque 160 000 harkis, tous les
algériens plus ou moins compromis avec les autorités françaises et leurs
familles eût signifié un afflux soudain de un à deux millions de musulmans alors
que l’intégration des 800 000 pieds noirs ne se faisait déjà pas sans problèmes.
Les harkis furent donc pour certains immolés sur l’autel de la raison d’état et
d’ « une certaine idée de la France »
selon laquelle, pour reprendre les paroles de de Gaulle, « C’est très bien qu’il y
ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent
que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation
universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France
ne serait plus la France ».
M. Giscard d’Estaing et ses successeurs ne se
montrèrent pas aussi soucieux de la conservation de l’identité française. Et nous
voici aujourd’hui avec une France « diverse » parcourue de courants
contradictoires où certains se veulent « pluriels », « ouverts »
tandis que d’autres en gardent une vision plus gaullienne. Qu’on le veuille ou
non, les problèmes d’intégration que prévoyait le Général sont là et bien là.
On nous parle même d’ « apartheid »…
Quelle morale tirer de ce triste épisode ?
A mon sens : aucune. Raison d’État, politique et morale entretiennent peu
de rapports. Quand on tente de les
mêler, il se peut que ce noble dessein entraîne de peu réjouissantes
conséquences…
Excellent article, on en redemande !
RépondreSupprimerMerci !
SupprimerIl n'existerait donc pas d'homme politique digne de ce nom qui n'aurait pas du sang sur les mains.
RépondreSupprimerLes "hommes politiques" n'ont pas nécessairement de sang sur les mains. Pour ce qui est des hommes d'États, ça leur arrive plus souvent.
SupprimerRien que pour avoir parler de Capdevielle, je plussoies a l'ensemble de ce billet !
RépondreSupprimerBon maintenant je vais finir de le lire
On ne peut pas citer Capdevielle à tout bout de billet...
SupprimerJe suis sûr que vous ne saviez pas que Capdevielle, peu de temps avant de sortir son premier disque (qui lui a valu, du jour au lendemain, une incompréhensible célébrité), avait été rewriter à FD.
SupprimerMerci qui ?
Capdevielle ? Personne ne l'a fait chanter avec cette exquise information ?
SupprimerMerci Didier pour cette information capitale. Croyez-vous que le désert dont il parle soit une métaphore de son passage à FD ?
SupprimerJ'en doute. Le rewriting qu'il a connu était le contraire d'un désert, mais au contraire une pépinière d'esprits libres, intelligents et cultivés. J'ai eu l'immense chance d'y atterrir à peu près à la même période (à deux ou trois ans près) et d'y connaître des gens infiniment plus brillants que le jeune con que j'étais alors… dont certains commentent aujourd'hui chez vous et chez moi.
SupprimerJ'en connais certain. Pour les autres, j'ignore...
SupprimerVous auriez aimé les autres, je vous assure ! Atterrir à cet endroit est probablement ce qui m'est arrivé de mieux dans ma vie (à part Catherine…).
SupprimerIl faut parfois faire preuve d'un peu de reconnaissance, ça ne coûte pas grand chose et ça peut
RépondreSupprimerparfois rapporter beaucoup. L'intégration, voire même l'assimilation des Harkis apparaissait tout
à fait envisageable...en laisser massacrer la plupart et abandonner les autres à leur triste sort
après les avoir transplantés ne nous aura rien rapporté de bon. Et accueillir ensuite les transfuges
du FLN et leur famille nous aura conduits à la situation épouvantable que nous connaissons aujourd'hui.
Merci la République!
Amitiés.
Il faut replacer l'événement dans son contexte : entre autres choses, de Gaulle redoutait que les harkis ne viennent renforcer les effectifs de l'OAS (crainte qui ne manquait pas de fondement : le bachaga Boualam avait créé un maquis en faveur de l'Algérie française qui fut combattu et vaincu par l'armée française). L'assimilation des "Pieds noirs" ne fut pas évidente au départ. En rajouter n'aurait rien arrangé.
SupprimerIl est évident que le peu des harkis qui furent transférés en France auraient pu y être accueilli autrement qu'en les parquant dans des camps et peut-être éventuellement assimilés. Encore aurait-il fallu le vouloir. Quant à l'accueil de gens du FLN il n'est pas ultérieur. Ils étaient là durant la guerre et y pratiquaient allégrement le racket auprès de leurs compatriotes.
D'un autre côté, la république n'était pas à un reniement près. En Indochine elle avait déjà abandonné les H'mongs qui durent subir la fureur vengeresse des communistes vietnamiens. Le pli étant pris, elle n'était pas à une indignité près. A chaque fois qu'une saloperie est commise, il y a toujours une bonne raison d'Etat pour forfaire à l'honneur.
SupprimerCette affaire des H'mong poussa Hélie de Saint Marc à rejoindre le putsch des généraux.
SupprimerExcellent billet, et rappel indispensable de l'ignominie gaulliste.
RépondreSupprimerMerci. Ignominie pure ou clairvoyance de l'homme d'état menant à une ignominie ?
SupprimerIgnominieux De Gaulle qui a dit non à la capitulation de 1940.
SupprimerC'est facile le révisionnisme, bien installé dans ses pantoufles.
En 1958, De Gaulle a hérité d'une situation complètement pourrie, il l'a réglée aux mieux des intérêts de la France et des Français. Il lui en a certainement beaucoup coûté.
Les bons sentiments ne font pas forcément une bonne politique. C'est à cela, qu'on reconnait un Homme d' État
J'ai oublié de signer : "Lebreton"
SupprimerMais, cher Lebreton, c'est bien ce que je dis.
Supprimer@Jacques Étienne
SupprimerQuiproquo dont je suis entièrement responsable.
C'est à Michel Desgranges que je répondais !
Lebreton
Il n'a hérité de rien du tout, le coup d'Alger a été monté par le staff de de Gaulle, Soustelle avait été envoyé à Alger pour régler les détails, coordonner le timing.
SupprimerEt on reconnait un homme d'Etat non pas aux ignominies commises au nom d'une supposée raison d'Etat mais à ce qu'il refuse de brader l'honneur de la nation qu'il dirige. Or, l'affaire algérienne a été un déshonneur, à tout point de vue.
@ Koltchak : Que le coup d'Alger ait été organisé en sous-main par les partisans de de Gaulle est une chose. On ne peut cependant pas le blâmer pour toutes les erreurs de la IVe qui menèrent le pays au chaos.
SupprimerCe week end, nos couleurs défendues par les frères Karabatic ont bouté les qatariens conduits par Bertrand Roiné.... Ah cette mondialisation qui fait que les Karabatic sont français mais que Roiné est arabi, y a de quoi perdre son latin.
RépondreSupprimerEt l'équipe de football algérienne est composée essentiellement de binationaux franco-algériens formés en France.
SupprimerSinon, vous pensez que ces arabis là se sont bien intégrés chez nous ?
Supprimerhttp://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/1249675
et je pense qu'il va falloir s'y faire, ils sont installés là depuis un moment et ne devraient pas quitter la Meuse avant longtemps.
Les pieds noirs aussi étaient installés là depuis un moment. Ils ont pas mis longtemps à partir.
Supprimer@ Zbigniew Krasniak : Je ne vois pas très bien le rapport entre les victimes musulmanes des conflits mondiaux qu'on peut supposer avoir été embrigadés dans le cadre de l'empire colonial et des gens qui volontairement ont pris dans LEUR pays parti pour la France. Voudriez-vous m'expliquer pourquoi vous y faites référence ?
SupprimerPeut-être la France ne s'est-elle pas comportée tout à fait comme elle aurait dû dans cette histoire des Harkis, j'avoue avoir du mal à me faire une idée définitive sur la question, mais il convient tout de même de rappeler que, s'il y a eu massacre des Harkis, ce ne sont pas les Français qui en sont responsables, mais bien les Algériens. La faute n'est pas tout à fait la même.
RépondreSupprimerBien entendu, cher Aristide. Il n'empêche qu'en leur interdisant d'être transférés, on savait très bien à quoi on les exposait, les massacres ayant à l'époque déjà commencé.
SupprimerAristide, n'oubliez pas que la France les a désarmés avant de partir. Ils auraient pu au moins partir en combattants, garder leur dernière balle pour ne pas subir des atrocités dignes de celles que les tarés de Daesh commettent, pire même parfois. La république leur a retiré la possibilité de mourir en hommes libres et dignes. Et en matière de saloperie il y a aussi le massacre de plusieurs milliers d'européens à Oran le 5 juillet 1962. Les troupes du général Katz, stationnées à côté auraient pu y mettre fin rapidement, mais elles reçurent de Paris l'ordre de ne pas sortir de la caserne, les accords d'Evian avaient été signés, cela regardait donc les autorités algériennes. Un gouvernement qui laisse ses citoyens se faire massacrer sans bouger, c'est quoi à votre avis ?
SupprimerSi Hollande avait du faire face à la situation de la France en 1958, fruit de l'incurie des gouvernements socialistes.....!!
RépondreSupprimerJe vous laisse imaginer.
André
Des Hollande en 1958, il y en avait autant qu'un curé saurait en bénir. C'est même pour ça que de Gaulle est devenu un recours.
SupprimerOn laisse 70 000 personnes se faire massacrer par crainte d'une non-assimilation alors qu'aujourd'hui vous accueillez 250 000 immigrés et réfugiés par an en refusant de les assimiler. Ils sont vraiment morts pour rien, alors?
RépondreSupprimerjard.
Je crains que, contrairement à ce qu'il est de bon ton d'affirmer, on ne meure souvent pour rien à la guerre (ou suite aux guerres). D'où mon peu de goût pour cette activité.
Supprimer« La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. »
SupprimerPaul Valéry
André
Bien d'accord avec vous et Valéry. D'où mon scepticisme...
Supprimer"les problèmes d’intégration que prévoyait le Général sont là et bien là"
RépondreSupprimerPardonnez cette petite digression, vu que l'essentiel a déjà été dit dans votre billet et ses commentaires:
A peu près à la même époque, Enoch Powell prononçait son discours de Birmingham, rebaptisé "Les fleuves de sang"; discours qui lui coûta la fin de sa carrière politique.
J'attire votre attention sur ce court documentaire (trouvé chez "Guerre civile et yaourt allégé"), dont l'intérêt est de montrer toute la difficulté, même des décennies après un événement, à reconnaître et apprécier la justesse (ou la non-justesse) de certaines prises de position politiques.
Merci pour le lien.
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