Je passe mon temps à vanter le calme, la paix, la sérénité
de mon vallonné coin de campagne. Et puis voici que le Sud-Manche se met à rivaliser
avec la Corse ou Marseille en matière de meurtres. Je m’explique : en un
peu plus d’un mois deux doubles meurtres sont venus ensanglanter les villages nichés au creux des pâturages.
De là à penser que nos campagnes sont à feu et à sang, qu’il
serait prudent de songer à fermer la porte à clé la nuit et de faire l’emplette
d’un molosse et d’un fusil, il n’y a qu’un pas. Qu’il serait inutile de franchir.Si on regarde les choses d’un peu
plus près, ces alarmes s’avèrent vaines.
Le premier des doubles meurtres, qui endeuilla Villedieu-les-Poêles, serait un drame passionnel. L’ex-compagnon de la victime
féminine, une gamine d’une soixantaine d’années bien tassées, n’aurait pas
supporté de la voir s’amouracher d’un godelureau du même âge et aurait buté les
deux tourtereaux à coups de fusil de chasse. Notons que l’idylle entre les deux
victimes avait commencé lors un thé dansant et que c’est en revenant du thé
dansant qu’ils connurent leur triste destin.
Le second drame semblerait plus économique que passionnel. L’auteur
des meurtres, agriculteur ayant connu des déboires financiers, se serait vu
contraint de vendre sa ferme à l’une de ses futures victimes. Celui-ci, dit-on,
aurait continué de loger son vendeur à titre gratuit sur la propriété. Entre l’ex-cultivateur aigri de ses déconvenues et le nouveau propriétaire se développèrent des
relations tendues entraînant des disputes que le maire ou son adjoint venaient apaiser. Jusqu’à ce qu’hier le vieux
paysan, armé d’un fusil vienne abattre son successeur ainsi qu’un ami qui l’aidait
à élaguer des arbres.
Voici les conclusions que j’en tire : On peut continuer
de vivre en paix dans les collines mais ceci à trois conditions.
- Il faut éviter d’aller draguer les sexagénaires au thé dansant. N’ayant aucun goût pour la drague et la danse, préférant le whisky au thé, de ce côté, je suis paré.
- Si on achète une ferme à un cultivateur failli, il ne faut à aucun prix le loger chez soi et s’assurer, même s’il habite au loin, qu’il ne possède pas d’armes.
- Si un de vos voisins ou amis n’a pas eu la prudence de respecter la condition précédente et qu’il vous propose de l’aider à quelque besogne que ce soit, déclinez poliment son offre prétextant qu’une affaire urgente vous appelle à Clermont-Ferrand (ou toute autre excuse plus ou moins convaincante).