Hier comme je rentrai de Vire, avant même que j’aie eu le
temps de descendre de ma berline, je vis le voisin Raymond qui montait l’allée
à vive allure. J’en fus un peu surpris car en dehors de nos transactions
ovines, il est rare qu’il vienne chez moi. Après les salutations d’usage, il me
remémora une précédente conversation durant laquelle je m’étais plaint de ce
que les vaches de la ferme d’à côté avaient la fâcheuse habitude d’arracher des
branches de ma haie à chacun de leur passage
avec pour résultat que cette dernière ne ressemblait plus à grand-chose. Selon lui la solution
consistait à en réduire la largeur. Or, il se trouvait qu’en ce bel après-midi,
un employé du Conseil Général, au volant de son bel engin était en train de débroussailler
talus et fossés en contrebas de la route. Ne serait-ce pas une bonne idée de
lui demander, comme ça, si pendant qu’il était là, il ne pourrait pas s’occuper
de redresser ma haie ? J’en convins, même si je n’étais pas certain que ce
bon serviteur de la voierie départementale accepterait une tâche ne relevant
pas de sa mission. Raymond me dit que nous n’avions qu’à attendre qu’il arrive à notre niveau pour le lui demander.
Ce que nous fîmes.
Le tracteur arrivant, le voisin lui fit signe d’arrêter, le
salua et lui proposa de prendre le café* avant de lui annoncer que j’avais un
problème avec ma haie et lui demanda si ça lui serait possible de le résoudre.
Le gars accepta volontiers, et nous voilà partis pour le café-lichette. Notre hôte, histoire de marquer le coup
sortit même des bières !
J’aperçus alors un
bien bel insert qui n’était pas là lors
de ma dernière visite. Je lui en fis la remarque. Il me dit l’avoir acheté à
ces voleurs de la coopérative. Il était en solde, car le tubage qu’il
nécessitait ne passait pas par les conduits de cheminée qu’on trouvait dans le
coin. Vendu deux fois, il fut ramené deux fois pour cette raison. D’où les dix
pour cent de remise. Notre Raymond prit
les mesures et vit qu’il entrait dans son foyer comme papa dans maman. Il fit
donc venir un fumiste qui démonta les pots du sommet de la cheminée, y introduisit
un tuyau de la dimension voulue par l’insert
et constata qu’il passait sauf à un endroit où un caillou dépassait. Le sort du
caillou fut vite réglé et, fort de ces information, Raymond retourna à la
coopérative acheter l’objet de son désir. Seulement, il fit le gars pas sûr de
lui : est-ce que ça allait convenir ? Que ferait-il si le tube ne
passait pas dans le conduit ? En même temps, l’appareil était bien beau… Seulement, s’il fallait qu’il fasse rectifier son conduit, ça allait coûter…
Finalement, comme tout héros cornélien, il arriva à une décision : « Bon, eh ben, y m’plait ben, j’va te l’prendre quand même, et pis, si ça va
pas tant pis pour moi, je le garde, et je verrai… » On peut imaginer
la joie du vendeur ! Mais elle fut de courte durée. Car notre bon paysan
rajouta bien vite : « Seulement,
j’va pas te le prendre à ce prix-là (pris de départ 950€ moins 10 % égale
855€), tu vois, j’ai pris avec moi un chèque de 600€, si tu me laisses l’insert,
je te le donne, sinon, tant pis !». Ayant fait bien du commerce,
discuté bien des prix, j’avoue que sa proposition me laissa comme deux ronds de
flanc, demander dix, quinze pour cents de rabais, c’est de la politesse mais
trente-six, ça confine à l’insolence ! Eh bien, après quelque hésitation, le vendeur ayant
consulté son chef accepta. Conclusion du Raymond : «C’est vraiment des voleurs à la coopérative ! Si y peuvent faire
des remises, comme ça, c’est vraiment qu’y s’engraissent sur not’ dos ! »
Mais on digressait, on digressait et le temps passait. Le
gars de la voirie s’aperçut que s’il voulait faire le plein du tracteur au
chef-lieu avant de débaucher, il n’avait plus le temps de s’occuper de ma haie.
Il m’assura que ce serait chose faite le lendemain à la première heure. « Vous me direz combien je vous dois »,
lui dis-je. « Mais rien, faut bien
se rendre service ! » fut sa réponse en partant. J’avais dans l’idée
de lui donner dix Euros, mais craignant ce faisant d’avoir l’air pingre, je
demandai à Raymond quelle pièce il conviendrait que je donne. « Oh, vous y donnez cinq Euros et ysera
content ! ». Je décidai dans ma munificence de m’en tenir à mon
idée première. Le matin vint, la haie
fut rognée et bien rectifiée. Café, biscuit, et billet aussi vivement refusé
que prestement empoché conclurent l’affaire.
Après ça on dira que le service public n’est pas efficace et
que le paysan normand n’est pas un fier grigou ! Il ne me restait plus qu’à proposer à Raymond
de passer prendre l’apéro à midi, histoire de lui témoigner ma reconnaissance
ce que je fis, mais vu qu’il devait partir tôt, ce sera pour une autre fois… Il ne faudra pas que j’oublie, mon crédit en
dépend…
*Offrir le café, accompagné de gâteaux secs et
éventuellement d’une petite rincette de calva est le B-A-BA du savoir-vivre campagnard.
Comme me l’a conseillé ma compagne, j’ai donc toujours des biscuits en réserve au
cas où.