Il me semble qu’il existe au sujet du multiculturalisme un
certain malentendu. D’aucuns se proclament « multiculturalistes »
sans avoir bien compris de quoi il s’agit.
Pour eux, le multiculturalisme consisterait à reconnaître que coexistent
sur le sol de la France des gens appartenant à différentes cultures lesquelles procurent à la culture française des apports
enrichissants. Mais le multiculturalisme
c’est bien autre chose…
Qu’il existe une pluralité culturelle sur notre territoire,
qui pourrait le nier ? Cependant est-il vraiment justifié de parler de
multiculturalisme endogène ?
Les cultures occitane, bretonne, alsacienne,
franco-provençale, catalane, basque, etc., alors que leur langue n’est souvent
maintenue à bout de bras que par quelques activistes régionalistes ou
indépendantistes amènent-elles vraiment ceux qui en participent à se trouver en
situation de multiculturalisme ?
L’exemple breton
Traditionnellement, le breton se divisait en 4 dialectes
(Vannetais, Léon, Trégor, et Cornouailles).
J’ai assisté à la mort du dialecte trégorois. Dans mon
enfance, tous les adultes, jeunes ou vieux, le parlaient. A Plounévez-Moëdec,
le village de ma mère, le ver était pourtant déjà dans le fruit : les
discours étaient de plus en plus truffés de mots français faute de mots
traditionnels pour désigner des nouveautés comme la télévision, la radio, la
machine à laver (le linge évidemment : je parle des années 50). Il était
fréquent aussi que sans mettre leur flèche, les locuteurs passent du breton au
français le temps de quelques phrases. A Louannec, pays de mon père, on
demeurait plus bretonnnant. Il faut dire que le recteur, Maodez Glanndour, Louis Augustin Le
Floc'h à l'état-civil, grand érudit bretonnant, disait sa messe entièrement en breton. Ce qui la rendait d’autant plus
passionnantes pour les estivants ou pour les jeunes qui, comme moi, n’y
comprenaient rien.
Pour illustrer cette
mort, j’évoquerai l’enterrement de mes parents. Ma mère mourut en 1984.
A Grâces-lès-Guingamp où eut lieu la cérémonie, l’église était bondée de
« vieux » de son village et s’éleva sous les voûtes un « jesus
pegen braz ve , chant de deuil traditionnel, chanté par l’assemblée
entière dont le souvenir me donne aujourd’hui encore la chair de poule. Mon
père mourut l’an dernier et selon son désir nous l’enterrâmes à Louannec auprès
de ses parents. Bien entendu, j’insistai pour que durant la messe fût chanté ce
cantique. En 27 ans, les choses avaient changé : l’assemblée était
clairsemée, car les amis, cousins et relations de mon père l’attendaient plutôt
sous la terre qu’à l’église et, cette fois, je faisais partie des
« vieux » et parmi ces vieux personne ne parlait la langue ni ne
semblait connaître le cantique. A part mon frère aîné et moi qui le chantâmes
sans rien y comprendre, seuls les membres de la chorale l’entonnèrent. Ainsi
meurt une langue.
Par réaction, se sont développées les écoles Diwan. La
première ouvrit en 1976. D’après
Wikipedia,
en septembre 2011,
3500 élèves étaient
scolarisés dans l’ensemble de ces écoles bilingues. C’est peu, très peu même
par rapport au nombre d’enfants scolarisés en Bretagne ! On y enseigne un
breton non pas dialectal mais littéraire qui, s’ils n’étaient pas presque tous
décédés aurait probablement du mal à être bien saisi par les locuteurs des
dialectes traditionnels. On pourrait aller jusqu’à
parler de « jacobinisme
local » : de même que l’école républicaine a su imposer à l’ensemble
du pays un français standard , Diwan propose un breton « de
synthèse ». Pourquoi ne pas enseigner chaque dialecte ? Et à
l’intérieur du domaine de chacun de ces dialectes les variantes locales ?
On constate donc au niveau de la Basse-Bretagne le même désir de
normalisation
qu’on a constaté au niveau
national. Et c’est inévitable : à quoi servirait, dans une société où l’on
bouge, un dialecte que personne ne comprend à 30 km de chez soi ?
Quid de la culture, du costume ?
Mes deux grands-mères ne seraient jamais sorties sans
leur coiffe bien blanche et amidonnée. Vêtues de noir, leur costume n’avait pas
les chatoyantes couleurs qu’on voit lors des festivals celtiques. Quelle
Bretonne, en dehors de ces défilés folkloriques, porte encore une coiffe ?
Il faut bien le constater l’assimilation s’est faite.
Quasi-totale. On me dira Chouchen (beurk !), on me parlera quign aman
(non, merci !), on évoquera les pardons, les danses, les chants… Il s’agit
là de traces folkloriques. C’est bien
triste, mais peut-on éternellement continuer de porter le deuil de Charlemagne ?
Je n’ai rien contre cette recherche de racines. Après tout, c’est
un loisir comme un autre et ça ne fait de mal à personne. Mais force est de constater que le Breton
d’aujourd’hui est plus Français qu’autre chose. S’il tient à le refuser, libre
à lui mais de rares traces ne sont pas une culture et parler de
multiculturalisme en ce cas me paraît abusif. Tout au plus peut-on parler de variante régionale
de la culture française…
Si on admet que le même phénomène d’acculturation s’est
produit dans les autres provinces à forte identité*, on peut en conclure que
parler de multiculturalisme endogène a quelque chose d’abusif.
*A part en Alsace pour des raisons historiques,
géographiques et économiques