Le vingt-et-un juillet 1969, j'eus une
surprise en arrivant au bureau de poste où je remplaçais un facteur
en congé. Avant d'être d'une ponctualité exemplaire, j'avais une
forte tendance à être en retard. Ce fut le cas ce matin-là. La
receveuse, une femme dont l'extraordinaire laideur pouvait expliquer
le caractère aigri, m'adressa d'agressifs reproches. A ma grande
surprise, une employée prit ma défense, arguant qu'en un tel jour,
un retard était excusable. J'appréciai ce soutien inattendu.
Cependant, je m'interrogeai sur son origine. Qu'est-ce que ce jour
pouvait bien avoir de si spécial pour qu'il justifiât mes
errances ?
Car il se trouve que, si j'avais
entendu parler d'une expédition lunaire des Étasuniens, vu le peu
d'intérêt que j'y trouvai, je ne savais pas que ce grand pas pour
l'humanité s'était produit quelques heures avant que j'embauche. La
personne qui m'avait défendu pensait donc que comme 500 millions de
terriens j'avais passé ma nuit les yeux rivés sur mon écran de
télévision. Ce n'était évidemment pas le cas car même si j'avais
été au courant de l'événement, je ne serais pas resté éveillé
pour y assister. Je dois confesser ma totale indifférence à la
conquête spatiale. Je ne saurais expliquer pourquoi. Toutefois, je
ne vois pas en quoi le petit pas de M. Armstrong a pu changer ma vie.
Sa phrase historique, probablement
aussi spontanée que la récitation d'un écolier, avait de la
gueule. Enfin beaucoup plus que n'en aurait eu l'exclamation « Ah,
putain, encore une merde de chien ! » si son pied
s'était posé sur une de ces déjection qui font l'attrait des
trottoirs de nos cités. Dieu merci, la lune étant aussi dépourvue
de ces canins que de vertes prairies, le risque d’occurrence de
cette phrase était nul.