L'autre soir, j'ai réagi au texte d'un
ami Facebook qui vantait les incroyables possibilités de mobilité
qu'offre notre monde digital. Mobilité non seulement virtuelle mais
aussi spatiale que nous offriraient les technologies modernes. Ainsi
émergerait une nouvelle humanité, plus libre, car affranchie de ces
carcans que sont les peuples, les États et les nations et jusqu'aux
habitudes de vie. Avec pour corollaire le surgissement du « citoyen
du monde », plus adaptable, possesseur d'une largeur de vue
sans cesse stimulée par de nouvelles rencontres, de nouveaux lieux,
de nouvelles situations, de nouvelles occupations, bref un homme
nouveau et pourquoi pas supérieur.
Bien entendu, je n'adhérai pas à
cette vision et je laissai un commentaire rédigé en grande partie
en anglais dans lequel j'opposais l'homme enraciné au soi-disant
« citoyen du monde ». Et puis, au matin jugeant le débat
un brin stérile, je supprimai mon intervention. Toutefois, l'auteur
du post ayant pris connaissance de ma critique disparue y répondit
puis développa son point de vue dans un article
de blog.
Lecture intéressante en ce qu'elle
expose avec enthousiasme le point de vue d'une personne que fascine
la modernité et qui voit en elle une ouverture inouïe sur un monde
riche en variété et en surprises. Mouais. Je veux bien tout ce
qu'on veut, c'est à dire que je conçois que l'on puisse
s'enthousiasmer sur ce qui me laisse de marbre, que l'on puisse
trouver une valeur immense là où je n'en vois pas, bref qu'on ne
partage pas ma vision des choses et du monde.
Mais en y réfléchissant, tout en
reconnaissant la cohérence interne d'un discours ou le nomadisme
n'exclut pas les racines, je me dis « Nihill novi sub sole ».
Certes, les technologies accélèrent et multiplient les occasions
d'être mobile mais de là à considérer qu'elles permettent
l'émergence d'une nouvelle humanité disposant d'une
supra-citoyenneté mondiale il y a un pas que je ne franchis pas.
Opposer l'homme d'hier, sédentaire,
attaché à la glèbe, prisonnier d'une communauté et de sa vision
forcément étriquée du monde parce que bornée par des us, des
convenances à un nouvel homme libre me paraît illusoire. Ne
serait-ce que parce que de tout temps l'homme a été mobile de
manière plus ou moins restreinte, mais mobile. Que ce fût à
l'occasion d'invasions, de pèlerinages, de croisades, de guerres,
nombre ont ressenti le besoin ou se sont vus contraints à la
mobilité. Mon père, connut, au gré des vicissitudes de la guerre
le Canada, l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, l'Afrique du Sud, le
Sénégal et j'en oublie lors de séjours parfois brefs, parfois
durables et cela sept ans durant. Il n'était pas seul dans son cas.
J'ai moi même pas mal vécu à l'étranger et ai vagabondé de ville
en ville, de région en région dans notre beau pays. Seulement il ne
me semble pas que ce « nomadisme » soit de nature à
transformer la nature profonde d'un être. Des séjours prolongés
outre-Manche m'ont même fait prendre une meilleure conscience de mon
appartenance à la France. Pour ce qui est des courts séjours, des
rencontres multiples et variées, je crains qu'ils ne puissent que
permettre d'effleurer la surface des choses et provoquer l'illusion
qu'existe une communauté mondiale sinon uniforme du moins largement
similaire.
En réalité, si on approfondit un peu
il devient évident que nous sommes le fruit d'une culture véhiculée
par une langue qui découpe et décrit le monde de manière
originale. Que l'on pratique d'autres langues n'y change rien sauf
peut-être dans le cas du bilinguisme. Car même le plus érudit des
hellénistes ne saurait rêver de jamais devenir un Grec ancien.
J'opposerai la langue de culture à la langue de communication. Si la
première permet également de communiquer, elle enracine et fonde
l'être et cela d'autant plus qu'on en approfondit le savoir. La
seconde se borne à permettre des échanges quel que soit le niveau
de connaissance qu'on en ait.
Ce constat n'implique pas la fermeture
à autrui ou la sédentarité. Il me paraît simplement qu'il
interdit l'illusion que pourrait apparaître un « citoyen du
monde » chez qui le commun dépasserait le spécifique.