..Toi qui entres ici, abandonne tout espoir de trouver un contenu sérieux. Ici, on dérise, on batifole, on plaisante, on ricane.

lundi 20 octobre 2014

Rendez-vous en terre inconnue



Ce dernier week-end, en compagnie de ma chère Nicole et de l’héroïque Elphy, un voyage épique m’amena au volant de ma puissante berline britannique à m’aventurer en des contrées étranges à la rencontre d’éminents représentants de la tribu des Eurois. Ce peuple rude quoique aimable et injustement méconnu habite  aux confins de la Normandie, un pays nommé « Eure » auquel nous devons le fameux proverbe « Avant l’Eure, c’est pas l’Eure, après l’Eure, c’est plus l’Eure ».

Le voyage fut long mais agréable nous faisant traverser des paysages variés. Au bocage Virois, succéda la plaine de Caen, puis le pays d’Auge. Nous aperçûmes en contournant Lisieux la basilique dédiée à Sainte Thérèse (qui riait en pleine ascèse), avant d’atteindre Évreux, ville peuplée de drôles de zèbres (les zèbres oïciens) et d’atteindre quelques verstes* plus loin le but de notre périple.

Ce qui est frappant, chez l’Eurois, ce sont les rites de bienvenue qui peuvent sembler étranges au non initié. Quand on arrive chez lui, la coutume veut qu’on lui fasse don de plantes potagère ou de baies ainsi que d’un flacon de Chablis et de confitures maison.  Je m’étais donc muni d’œilletons d’artichaut et de plans de fraisiers. Mon don fut agréé par l’aimable Euroise qui nous avait conviés, mais avant d’être admis aux agapes, il me fallut passer les épreuves redoutées du perçage et du sciage. Pour s’y soumettre, il faut s’être préalablement muni  des outils indispensables. J’avais donc apporté perceuse, forêts scie et autres menus outils nécessaires. La tâche de perçage qui me fut assignée consistait à forer des trous dans un  pilier puis, à l’aide de chevilles et de vis à fixer sur ledit pilier une cloche d’or (l’Eurois est riche et aime à le montrer) destinée à avertir les maîtres de maison de l’arrivée de visiteurs (ingénieux dispositif dont on ne saurait trop recommander l’adoption aux Berrichons qui annoncent leur visite d’un claironnant « Y’a-t-y quéqu’un qui cause ? » avec pour effet de passer pour des rustres). Ce premier test réussi, je me vis convié à passer celui du sciage du conduit de 120 en PVC. Ce ne fut qu’une formalité.

Entre-temps était arrivé un jeune Eurois qui en guise de présents avait apporté de quoi se désaltérer ainsi que deux exemplaires de sonouvrage récemment paru dont il eut l’élégance de m’en dédicacer un **. Cadeaux et épreuves acceptés et passées, nous fûmes menés à une salle où, en attendant le repas, nous fûmes invités à quelques libations propitiatoires.  Le choix nous fut donné entre vin blanc pétillant ou non et un breuvage d’origine calédonienne portant le nom d’un célèbre tétraoniné. Je fis le choix de ce dernier. Contrairement à chez nous, après quelques verres, nous passâmes à table et nous  fut servi un excellent repas plus que convenablement arrosé***. Nous repassâmes ensuite dans la salle des libations où l’on parla de choses et d’autres (surtout d’autres) tout en sirotant quelque breuvage jusqu’à ce qu’une saine fatigue nous poussât à prendre congé en vue d’un sommeil réparateur.

Le lendemain matin, après avoir petit déjeuné, alors que nous nous apprêtions à repartir, comme venait de le faire le jeune Eurois, nous nous vîmes proposé de rester à déjeuner. Nous acceptâmes, touchés par la générosité de nos hôtes et peu pressés de quitter une si agréable compagnie. Nous fut servi un plat local, des sortes de longs et fins câbles de pâte blanche accompagnés d’une sauce à base de viande hachée et de légumes sur lesquels on saupoudre du fromage de Parme râpé. Délicieux ! Je crois que ça se nomme des « spagues et tibolos niaises » mais vu que j’ignore tout du patois local, je ne saurais l’affirmer. La conversation glissa entre autres choses sur les rites du don et fut plaisante autant qu’instructive. Aussi fut-ce avec regret que nous prîmes finalement le chemin du retour, nous promettant de renouveler l’expérience et priant nos amis eurois de nous rendre bien vite la politesse.

Au risque de choquer certains, cette excursion en pays d’Eure m’a fait réaliser à quel point la diversité est enrichissante et que l’on ne peut que gagner à se porter ainsi à la rencontre de l’autre, même au prix de longs et hasardeux voyages.

*17,90 verstes pour être précis, ce qui fait tout de même 8952 sagènes.
**Notons au passage que le jeune auteur fut dispensé de tout travail manuel, ce qui montre a quel point l’Eurois tient la culture (et le Chablis) en haute estime.
***Lors d’un précédent passage chez nous, nos amis eurois semblèrent eux aussi surpris de nos coutumes : en effet, ils s’attendaient  à ce que nous mangions bien vite le rôti de l’agneau sacrificiel qui rôtissait au four alors qu’avec les autres victuailles préparées, il était destiné aux dieux locaux tandis que nous, pauvres  mortels, nous contenterions d’un long repas liquide.

jeudi 16 octobre 2014

Pensées d'automne (ou "Merde, il pleut !")



La différence entre moi et le gars Verlaine est frappante et cela pour plusieurs raisons : il est mort à cinquante-deux ans, il a couché avec  Rimbaud et quand il veut évoquer la mélancolie qui l’étreint à l’approche de la mauvaise saison voilà ce que ça donne :

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

C’est peut-être que je suis sourd  ou que dans les collines, en automne ou pas, le violon se fait rare mais de sanglots longs je n’entends point.  Quand à suffoquer, devenir blême et pleurer le souvenir des jours anciens, ce n’est pas encore, Dieu merci, le genre de la maison. Pour finir, ce n’est pas demain la veille que le vent mauvais emportera deçà, delà, des feuilles mortes de 83 kilos.

Quand vient l’automne, je fais plus simple et me dis : « Merde, il pleut ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir foutre de ma peau ? »* et c’est là que je ressens comme le Paulo, une certaine langueur  m’envahir et qu'elle devient vite monotone.

Après une fin de printemps et un été prolongé particulièrement actifs au jardin, se pose la question de ce qui pourrait bien occuper mes journées. D’autant plus qu’il me reste peu de choses à faire dans le domaine du bricolage. Je pourrais lire, mais le bon bouquin se fait rare ou mes gouts trop sélectifs. Je pourrais attaquer au scotch dès potron-minet, mais ce serait dommage, à mon âge, d’en tomber en esclavage. Je pourrais regarder la télé, mais ça m’ennuie. Le macramé ?  Bof ! La pâte à modeler ? Re-bof !  Les mots croisés ?  Pas plus d’une grille par jour m’a conseillé le bon docteur R. que sur ce point j’écoute.

J’avais bien eu l’idée de regrouper un florilège de mes meilleurs billets en une plaquette (ou 2 gros volumes, suivant le degré de sélection). Mais pour cela il faudrait que je me relise et ça m’apparaît plutôt comme une interminable corvée qu'une partie de plaisir…  

Je pourrais devenir blogueur politique, analyste en petites phrases et bévues gouvernementales ou autres mais ma capacité d'indignation est émoussée et tant d'autres le font déjà si bien…

Du coup même si les mauvais jours sont là pour qu’on apprécie mieux  printemps et été, je ne peux m’empêcher d’en déplorer le nombre. Quinze suffiraient largement…

*Mon langage se relâche quand personne n'est là.

mercredi 15 octobre 2014

Service public



Hier comme je rentrai de Vire, avant même que j’aie eu le temps de descendre de ma berline, je vis le voisin Raymond qui montait l’allée à vive allure. J’en fus un peu surpris car en dehors de nos transactions ovines, il est rare qu’il vienne chez moi. Après les salutations d’usage, il me remémora une précédente conversation durant laquelle je m’étais plaint de ce que les vaches de la ferme d’à côté avaient la fâcheuse habitude d’arracher des branches de ma haie à chacun de leur passage  avec pour résultat que cette dernière ne ressemblait  plus à grand-chose. Selon lui la solution consistait à en réduire la largeur. Or, il se trouvait qu’en ce bel après-midi, un employé du Conseil Général, au volant de son bel engin était en train de débroussailler talus et fossés en contrebas de la route. Ne serait-ce pas une bonne idée de lui demander, comme ça, si pendant qu’il était là, il ne pourrait pas s’occuper de redresser ma haie ? J’en convins, même si je n’étais pas certain que ce bon serviteur de la voierie départementale accepterait une tâche ne relevant pas de sa mission. Raymond me dit que nous n’avions qu’à attendre qu’il  arrive à notre niveau pour le lui demander. Ce que nous fîmes.

Le tracteur arrivant, le voisin lui fit signe d’arrêter, le salua et lui proposa de prendre le café* avant de lui annoncer que j’avais un problème avec ma haie et lui demanda si ça lui serait possible de le résoudre. Le gars accepta volontiers, et nous voilà partis pour le café-lichette.  Notre hôte, histoire de marquer le coup sortit même des bières !

 J’aperçus alors un bien bel insert  qui n’était pas là lors de ma dernière visite. Je lui en fis la remarque. Il me dit l’avoir acheté à ces voleurs de la coopérative. Il était en solde, car le tubage qu’il nécessitait ne passait pas par les conduits de cheminée qu’on trouvait dans le coin. Vendu deux fois, il fut ramené deux fois pour cette raison. D’où les dix pour cent de remise.  Notre Raymond prit les mesures et vit qu’il entrait dans son foyer comme papa dans maman. Il fit donc venir un fumiste qui démonta les pots du sommet de la cheminée, y introduisit un tuyau  de la dimension voulue par l’insert et constata qu’il passait sauf à un endroit où un caillou dépassait. Le sort du caillou fut vite réglé et, fort de ces information, Raymond retourna à la coopérative acheter l’objet de son désir. Seulement, il fit le gars pas sûr de lui : est-ce que ça allait convenir ? Que ferait-il si le tube ne passait pas dans le conduit ? En même temps, l’appareil était bien beau…  Seulement, s’il fallait qu’il  fasse rectifier son conduit, ça allait coûter… Finalement, comme tout héros cornélien, il arriva à une décision : « Bon, eh ben, y m’plait ben,  j’va te l’prendre quand même, et pis, si ça va pas tant pis pour moi, je le garde, et je verrai… » On peut imaginer la joie du vendeur ! Mais elle fut de courte durée. Car notre bon paysan rajouta bien vite : « Seulement, j’va pas te le prendre à ce prix-là (pris de départ 950€ moins 10 % égale 855€), tu vois, j’ai pris avec moi un chèque de 600€, si tu me laisses l’insert, je te le donne, sinon, tant pis !». Ayant fait bien du commerce, discuté bien des prix, j’avoue que sa proposition me laissa comme deux ronds de flanc, demander dix, quinze pour cents de rabais, c’est de la politesse mais trente-six, ça confine à l’insolence ! Eh bien,  après quelque hésitation, le vendeur ayant consulté son chef accepta. Conclusion du Raymond : «C’est vraiment des voleurs à la coopérative ! Si y peuvent faire des remises, comme ça, c’est vraiment qu’y s’engraissent sur not’ dos ! »
Mais on digressait, on digressait et le temps passait. Le gars de la voirie s’aperçut que s’il voulait faire le plein du tracteur au chef-lieu avant de débaucher, il n’avait plus le temps de s’occuper de ma haie. Il m’assura que ce serait chose faite le lendemain à la première heure. « Vous me direz combien je vous dois », lui dis-je. « Mais rien, faut bien se rendre service ! » fut sa réponse en partant. J’avais dans l’idée de lui donner dix Euros, mais craignant ce faisant d’avoir l’air pingre, je demandai à Raymond quelle pièce il conviendrait que je donne. « Oh, vous y donnez cinq Euros et ysera content ! ». Je décidai dans ma munificence de m’en tenir à mon idée première.  Le matin vint, la haie fut rognée et bien rectifiée. Café, biscuit, et billet aussi vivement refusé que prestement  empoché conclurent l’affaire.

Après ça on dira que le service public n’est pas efficace et que le paysan normand n’est pas un fier grigou !  Il ne me restait plus qu’à proposer à Raymond de passer prendre l’apéro à midi, histoire de lui témoigner ma reconnaissance ce que je fis, mais vu qu’il devait partir tôt, ce sera pour une autre fois…  Il ne faudra pas que j’oublie, mon crédit en dépend…

*Offrir le café, accompagné de gâteaux secs et éventuellement d’une petite rincette de calva est le B-A-BA du savoir-vivre campagnard. Comme me l’a conseillé ma compagne, j’ai donc toujours des biscuits en réserve au cas où.

mardi 14 octobre 2014

Mesures urgentes !



Hier, dans un excellent billet, Michel Desgranges déplorait la raréfaction de nos libertés concrètes,  celles  « de faire ceci ou cela sans agresser autrui ». On serait tenté de lui donner raison, alors qu’en fait  il existe un domaine où l’État fait preuve d’un coupable laxisme avec les conséquences désastreuses que l’on sait : celui de la sécurité à l’intérieur des logements.  Certes, la prochaine obligation d’y installer des détecteurs de fumée un peu partout est un pas dans la bonne direction. Mais l’ampleur des accidents domestiques est telle que ce n’est pas un pas timide qu’il faudrait pour en endiguer les ravages mais une longue marche.

Songez que l’on ne comptait pas moins de 11500 morts à leur imputer selon une étude de l’INVES de 2011. Et on ne nous dit rien des blessés !  Trois fois et demi le chiffre des morts sur la route ! Il est urgent de mettre fin à l’hécatombe ! Si le chiffre des accidents mortels de la circulation a été drastiquement réduit depuis les années soixante-dix, c’est dû aux effets combinés  de l’amélioration du réseau, d’un meilleur équipement des véhicules et aussi de mesures répressives luttant contre la vitesse, l’alcoolémie et la téléphonie intempestive*.

Il serait judicieux de s’inspirer de ce qui a réussi  sur la route pour l’appliquer au logement bien qu’on ne voit pas bien ce que l’amélioration des systèmes de freinage, l’installation d’airbags frontaux ou latéraux, de glissières de sécurité ou l’obligation du port de la ceinture pourrait apporter à la sécurité domestique.

Avant de s’attaquer à un problème, il est nécessaire de bien l’identifier  et de définir des priorités. Par exemple, la combustion spontanée de la ménagère de moins de cinquante ans, si portée sur la chose soit-elle, est un phénomène  rare. Il serait donc abusif de faire de sa prévention un objectif prioritaire. En revanche, les chutes constituent un problème réel. Deux tiers des morts en question sont âgés de plus de 75 ans et 60% de ces décès sont dus à des chutes.  Une lutte efficace contre lesdites chutes permettrait donc à 4554 septua, octo, nonagénaires et centenaires de vivre plus âgés et de découvrir ou de connaître plus longtemps les joies du Parkinson, de  l’Alzheimer ou de succomber au cancer ou à l’AVC comme il sied.

Certaines  mesures qui ont fait leurs preuves en matière de sécurité routière pourraient se montrer utiles dans le cadre de la lutte contre les chutes : port obligatoire du casque, limitation de la vitesse et lutte contre l’alcoolémie. Le port obligatoire du casque (éventuellement assorti de celui d’une combinaison intégrale rembourrée) limiterait évidemment la gravité des chutes. De même, la limitation de la vitesse de circulation domestique, contrôlée par l’installation de radars dans les couloirs ne serait pas non plus dénuée d’effets. Que ce soit avec ou sans déambulateur, une trop grande célérité lorsque l’on entend qu’on sonne peut en effet entraîner dérapages ou collisions avec les meubles, le chat ou le chien… Quand au contrôle de l’alcoolémie ses bienfaits sont évidents : combien de vieillards tenant, en fin de repas, à montrer à leurs descendants leurs  talents de danseurs (sirtaki, kasatchok ou lambada) ont connu une fin dramatique en chutant de la table ? De même, est-il bien raisonnable de se lancer dans l’ascension de l’escalier quand on dépasse allègrement les trois grammes dans chaque bras** ?

Bien entendu, afin de vérifier que ces réglementations sont respectées, il faudrait que soit créé un corps de police du logement chargé d’infliger aux contrevenants de fortes amendes. 

Certains anarchistes  ou autres asociaux verront dans ces mesures d’urgence on-ne-sait-quelle limitation de leur liberté. Dieu merci, l’immense majorité des Français en verront tout l’intérêt et ne manqueront pas de réclamer que d’autres règlementations soient instaurées afin de sauver encore plus de vies***.

*censée déconcentrer le conducteur. Toutefois une étude américaine a mis en évidence que bâillonner les belles-mères hargneuses et les enfants braillards (et, dans certains cas paroxystiques, les ligoter) serait également  bénéfique pour la concentration des conducteurs (trices).
**L’installation d’éthylotests connectés au système d’ouverture de la porte de la cage d’escalier  serait hautement recommandable.
***A ce propos, lorsqu’on déclare que grâce à telle ou telle mesure N vies ont été épargnées, il serait judicieux qu’une liste nominative desdits épargnés accompagnât ladite déclaration : cette dernière n’en serait que plus convaincante.

lundi 13 octobre 2014

Jock, chien de choc (2)



Jock était affectueux de nature et le manifestait avec sa fougue habituelle. Ainsi,  bien qu’il ne l’ait jamais rencontré, la vue de Peter, un ami anglais venu nous rendre visite, provoqua en lui le  désir irrépressible de lui exprimer son affection naissante. Bondissant  sur lui,  il lui appliqua les pattes sur la poitrine avec pour conséquence de le faire tomber sur le dos du haut de son mètre quatre-vingt-dix. Dieu merci, sans qu’il en fût blessé…

Un jour ensoleillé, l’assureur vint nous rendre une de ces visites de courtoisie qui entretiennent l’amitié. Le temps était beau et le brave homme avait revêtu un costume de lin blanc du plus bel effet. Jock se rua vers lui pour lui faire la fête. Hélas, il venait de traverser une flaque de purin qui s’écoulait d’un tas de fumier  voisin. On ne peut pas dire que le costume de l’assureur fut amélioré par les traces brunes qui maculèrent  ses beaux vêtements.

Le facteur paraissait l’apprécier. Sous  prétexte de lui caresser  la tête, il le maintenait à distance afin d’éviter qu’il ne lui témoignât son amitié de trop près en s’écriait avec son fort accent campagnard, « Oh, c’est un bon chien ça, il est joueur, hein, il est joueur ! ». Hélas, je pus constater  sa duplicité un jour qu’ayant exceptionnellement rentré ma voiture au garage il me crut absent  et en guise de mamours il lui décocha un coup de pied accompagné d’un « Fous le camp sale bête ! », dévoilant la vraie nature de ses sentiments mais me rassurant quant au manque d’agressivité du chien qui, d’un coup de dent, eût été en mesure d’améliorer son ordinaire d’un mollet de facteur bien gras.

Enfin, et c’est ce qui provoqua la fin de notre histoire, Jock était fugueur. Tant que nous restâmes à la campagne ça ne portait pas à conséquences.  Les fermiers chez qui il tentait de s’installer se contentaient de me téléphoner pour me demander de venir chercher mon chien ou me le ramenaient. A Amboise, comme je le narrai hier, il fut recueilli par de brave gens qui le nourrirent et qui, ayant des amis en mal de chien le leur proposèrent. Ainsi s’expliqua que pendant quelques jours ni la SPA ni la mairie ne purent nous donner de nouvelles de notre animal. Nous patrouillâmes les rues de la ville jusqu’à pas d’heures  la première nuit. Nous mîmes des affichettes dans les commerces, en vain. Et puis la mairie nous contacta pour nous annoncer que notre chien était retrouvé ! Ses adoptants étaient revenus à de meilleurs sentiments, suite aux deux fugues qu’avait faites Jock durant son bref séjour chez eux…

Nous quittâmes Amboise pour Châteauroux afin d’y monter un magasin. Le bâtiment possédant une cour fermée d’un portail, nous y laissions le chien la nuit après avoir fini nos travaux d’aménagement quotidiens. Il y bénéficiait d’un abri et de plus d’espace que ne lui en aurait offert le petit studio que nous avions provisoirement loué.  Un soir que j’ouvrais le portail afin de quitter le futur magasin, je fis remarquer à ma femme que Jock semblait s’y plaire, vu que ses velléités de fuite avaient disparu. C’est alors que, nous bousculant, il s’enfuit dans la nuit.  Nous bondîmes dans la voiture et passâmes une bonne partie de la nuit à sillonner la ville en tout sens sans en trouver trace.  Ma femme téléphona à la SPA le lendemain, puis le jour d’après et là on lui annonça qu’en effet, un chien correspondant à sa description leur avait été signalé comme ayant été recueilli par des gens possédant une  grande propriété dans la Brenne et qui étaient désireux de le garder si personne ne le réclamait.  Femme de décisions rapides, elle raccrocha sans plus attendre. Ainsi, Jock disparut-il de notre vie…

Bien sûr, ma femme regretta  son compagnon. Mais peut-être qu’à courir bois et étangs il mènerait une vie qui lui conviendrait… Ces regrets se mêlaient,  pourquoi le taire, d’un certain soulagement.  Car autant évoquer, plus de trente ans après, ses multiples incartades, et les dommages  à autrui qu’elles entraînaient peut divertir, autant elles étaient parfois difficiles à vivre au jour le jour le jour.


Ne possédant plus aucune photo de l'animal, j'en ai trouvé une d'un chien qui lui ressemble :