Une grande vague de paresse m'ayant
récemment submergé suite à de petits ennuis de santé, plutôt que
de faire un ménage depuis trop longtemps délaissé ou mettre en
ordre le jardin , je me contente du minimum syndical. Je cueille des
haricots, je cuisine, je fais mes courses et la vaisselle (c'est à
dire que je remplis puis vide tour à tour le lave-vaisselle). Cela
me laisse des loisirs que j'occupe à croiser les mots, lire ou
regarder la télé. Ainsi, cet après-midi ai-je regardé deux
Maigret avec dans le rôle principal M. Cremer. Il y avait bien
longtemps que je ne m'étais pas replongé dans le monde de
Simenon...
Dès la sixième, j'avais commencé à
lire ses romans. Je me demande ce que je pouvais à cet âge y
comprendre mais il faut croire que j'y trouvais mon compte. Je l'ai
dit et redit, mes lectures ne me laissent peu voire aucun souvenir.
Pourtant j'ai beaucoup lu. Simenon fut un de mes auteurs favoris.
J'ai usé et abusé de ses œuvres. J'ai lu des tas de Maigret mais
aussi d'autres romans, ses derniers ouvrages autobiographique ainsi
que des livres à lui consacrés. Jusqu'à l’indigestion. Ça m'est
souvent arrivé : je m'entiche d'un auteur, je lis parfois des
dizaines de ses livres et puis, allez savoir pour quoi, je n'en peux
plus et l'idée même de les relire un jour m'apparaît improbable.
La liste de ces désamours est longue, elle comprend Balzac, Zola,
Mauriac, Modiano, Faulkner, Caldwell, Dickens, Pratchett, Rankin,
Vaugh, Wodehouse, et bien d'autres dont le nom a rejoint leurs œuvres
dans mon total oubli.
Simenon est un cas spécial. Disons
qu'il y avait une raison à mon désamour. Plus que la lassitude,
c'est l’écœurement, qui m'a fait le quitter. Je n'en pouvais plus
de son univers glauque, étouffant presque désespérant. Avec un
talent indéniable, il a su décrire un monde disparu, celui des
années trente à cinquante voire soixante. Seulement, il nous en a
donné une image terrible : quel que soit le milieu où se
déroulent ses intrigues y règne une atmosphère pesante, ça sent
le renfermé et la tristesse. Les familles y ont tant de secrets
qu'on se demande si ce ne sont pas plutôt les secrets qui y ont
des familles. De tous les éléments qui participent à
l'établissement d'un climat délétère, le sexe est probablement
le plus actif. Il n'est pas source de joie ou de plaisir. On le
subit. Il est compulsif ou passif. Les femmes n'ont souvent le choix
qu'entre la frigidité et la nymphomanie (ce qui, selon Gary, ne sont
que deux symptômes du même mal être). Les hommes n'y trouvent
qu'un soulagement à leurs pulsions.
Un autre élément récurrent est
l'alcool. Pas festif non plus. On boit pour oublier problèmes,
échecs et malheurs. On boit histoire de boire comme dans certains
Maigret où on se demande dans quel état le commissaire va finir la
journée.
A cela rien d'étonnant quand on
connaît un peu la vie de l'auteur, son penchant pour la boisson, sa
sexualité envahissante (n'a-t-il pas déclaré avoir « honoré »
10 000 femmes, en général prostituées ?) comme la constance
avec laquelle le malheur frappait les siens. La description à peine
masquée que fait de lui et de son entourage Alphonse Boudard dans
Cinoche en 1974 est
édifiante à cet égard. On pourrait même se demander comment les
intéressés ne l'ont pas poursuivi pour diffamation si on oubliait
que déclarer se reconnaître dans ces tristes clowns eût été peu
glorieux.
Tout cela dit, il n'en reste pas moins
que Simenon est un grand, un très grand écrivain. Dont il ne faut
peut-être pas abuser...