Didier Goux me disait que le grand défaut de Wodehouse était qu’il avait toujours écrit le même roman. Critique fondée mais en rien rédhibitoire à mes yeux dans la mesure où ce roman sempiternellement réécrit avec quelques menues variantes me plaît. En fait, depuis un an, en dehors de quelque sept livres d’Evelyn Waugh je n’ai lu que cet auteur. La profonde insignifiance de ses intrigues, son irrésistible humour comblent parfaitement mes attentes en matière de lecture, activité que je considère de plus en plus comme une simple distraction et surtout pas comme l’occasion de me pencher sur les abîmes que recèle l’âme humaine. D’une part je suis sujet au vertige et d’autre part, les replis secrets des consciences m’indifférent de plus en plus. Pour paraphraser Aragon, « je lis pour passer le temps, petit, qu’il me reste de vivre, comme on dessine sur le givre comme on se fait le cœur content à lancer cailloux sur l’étang… »
Toutefois, la première nouvelle de Carry on
Jeeves me laissa une impression de « déjà lu » plus forte que
l’agréable sensation d’être en terrain familier générée par les dix-sept romans
ou recueils précédents. A la deuxième, je me dis que le brave P G (Pelham
Grenville pour les intimes) attigeait un peu : il me semblait qu’il avait
déjà utilisé exactement la même intrigue dans un autre de ses ouvrages. La
troisième nouvelle renforça cette impression au point de m’amener à inspecter
la pile de ses livres et d’y faire la découverte que cette photo illustre mieux
que tout discours :
J’avais acheté un livre déjà acquis et lu. Il n’y
a rien de particulièrement étonnant à cela : j’ai une telle capacité à
oublier titre, intrigue et personnages de tout livre, si génial fût-il, que des
esprits suspicieux seraient tentés de penser que je n’ai jamais rien lu de ma
vie. Erreur concevable et que j’aurais bien du mal à corriger. Des centaines et
peut-être des milliers de livres lus, il ne me reste pratiquement aucun
souvenir. Si la culture est ce qui reste quand on a tout oublié, je me trouve
doté d’une culture quasi encyclopédique ! Mettre cela sur le
compte du gâtisme serait admettre qu’à vingt ans j’étais déjà gâteux, vu qu’il
m’arrivait déjà de relire des livres sans même me rendre compte de leur absence
de nouveauté. Je me console de ce travers en me disant que faute de pouvoir
briller dans les salons en disséquant les états d’âme du prince Machintrucchine
dans La Guerre et la Paix me restera le plaisir de multiples découvertes
de l’univers Tolstoïen. Ce qui n’est pas rien.