On a beau être bavard à faire verdir une pie, il y a des
moments où mener une conversation devient particulièrement délicat.
Quelques jours après avoir été embauché comme prof de
français dans une école de l’East End, non loin du lieu des derniers jeux
olympiques, on m’apprit qu’avait lieu une réunion parents-professeurs. Je
pensais, pour cause de récent recrutement, être dispensé de cette redoutable corvée
mais il n’en fut rien. Ces rencontres, quel qu’en soit le lieu, sont toujours
passionnantes et l’occasion d’échanges particulièrement fructueux. Tous les enseignants vous le
confirmeront. Quand vous ne connaissez
pas encore les noms de vos élèves et que vous êtes encore moins capable de
relier ceux-ci au moindre visage, que de plus vous n’avez pas eu le temps de
vous faire une idée quelconque de leur niveau
ni de leur comportement, l’exercice devient fascinant. Je passai donc
une agréable soirée émaillée de conversations du genre qui suit :
-
Bonsoir Mister Iti-in (C’est ainsi que tout le
monde prononçait mon nom, indiqué par un carton sur la table)
-
Bonsoir Mrs …
-
Je suis Mrs Smith, la maman de X (avec les
bruits de conversations, je ne saisis pas le prénom)
-
Oui… Il est en quel classe (il y a tant de Smith !) ?
-
Quatrième B
-
(Je consulte ma liste d’inconnus et constate
avec horreur qu’il y a deux Smith! Tant pis, je me lance…) Ah, eh bien, Mrs Smith,
Andy est…
-
Désolée, le mien, c’est John.
-
Excusez-moi, Mrs Smith. Donc, John est un garçon
ma foi très agréable…
-
Et son niveau en français ?
-
(Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise du
niveau de français de quelqu’un que je n’ai fait qu’apercevoir deux ou trois
fois, dont je n’ai peut-être entendu le
son de la voix que lors de l’appel et que je ne reconnaîtrais pas dans la rue ?)
Eh bien… Ce n’est pas si mal… (observons
la première réaction : pas si mal a l’air insuffisant) C’est même plutôt
bien… (Ça va déjà mieux…). John s’intéresse beaucoup au cours…
-
Pourtant, avec
celle que vous remplacez (La pauvre avait quitté le poste suite à une
dépression nerveuse), ça ne se passait pas très bien…
-
Tout nouveau tout beau, Mrs Smith. Espérons qu’il
conservera ces bonnes dispositions…
-
Espérons, Mister Iti-in ! Et son
comportement ?
-
Eh bien, il n’y a rien à dire (comme sur le
reste d’ailleurs), comme je vous le disais, John est un charmant garçon…
-
Pourtant certains profs se sont plaints d’un
relâchement de sa conduite le trimestre dernier…
-
Entendons nous bien, Mrs Smith, John est un
charmant garçon, mais, comme tous les enfants de son âge, il lui arrive de se
laisser entraîner par ses camarades… Vous savez ce que c’est… Nous avons tous été jeunes (ajouterai « Et vous l’êtes
encore » ? Non, ne mélangeons pas tout, surtout que ce n’est pas
frappant)…
-
C’est vrai, Mister Iti-in, comme vous avez
raison (Pour ce qui est d’avoir raison, je ne crains personne)!
Après m’avoir assuré du bonheur éprouvé à la rencontre de mon aimable personne,
Mrs Smith, Mrs Jones, les époux Walker, Brown et tous les autres me quittèrent,
rassurés d’avoir un enfant zélé et de commerce agréable (quoiqu’à l’occasion facétieux).
Les meilleures choses (comme les pires) ayant une fin, ce n’est pas sans
plaisir que je vis les derniers parents sortir de la salle.