Un
conseil de cabinet fut réuni d’urgence afin de faire le point sur
la situation et d’envisager la manière d’y faire face.
Exceptionnellement, l’Archevêque de Canterbury et Charles y fut
conviés, bien que l’on hésitât sur la titulature à accorder à
ce dernier, vu qu’il n’était plus de facto roi et qu’il avait
eu l’imprudence de céder son titre de prince de Galles à son fils
aîné. Il n’en demeurait pas moins Altesse royale aussi est-ce
ainsi qu’on le dénomma.
-
Votre Altesse Royale, Monseigneur,
Ladies
et Gentlemen, nous faisons face à une situation totalement inédite,
commença Liz
Trust. Le temps nous est compté. Demain, nous devrons
en informer
une grosse centaine de chefs d’état et de gouvernement, dont
certains sont déjà arrivés. La BBC va devoir annoncer au monde
entier qu’il peut cesser de sangloter. A l’heure qu’il est, des
milliers de personnels civils et
militaires mettent la dernière main aux préparatifs d’une
cérémonie pour laquelle des milliers de media ont envoyé leurs
équipes. Malgré
l’immense joie que nous inspire ce non-décès, le moins que l’on
puisse dire est que tout cela est extrêmement embarrassant.
Quelqu’un aurait-il une idée sur la manière dont nous pourrions y
faire face ?
Le
Secrétaire d’État aux affaires Étrangères, James Cleverly, prit
la parole :
-
Une solution possible serait de… mais je n’ose la formuler…
Bien qu’elle soir en mesure de résoudre le problème…
-
Dites toujours , s’empressa Mrs Trust
-
Eh bien, si l’on considère
les frais engagés, le ridicule qui risque d’affecter le pays, le
mieux serait, peut-être, qu’une petite dose d’arsenic
judicieusement ajoutée au gin-tonic matinal de Sa Majesté vienne
rétablir les choses in statum priorem…
Suite
à cette déclaration, un silence pesant s’installa quelque
secondes durant.
-
Je perçois,
cher James, dans vos
propos les qualités qui font que vous nommer à votre poste actuel
était une sage décision reprit
Mrs Trust. Cependant, votre
solution si elle est en accord avec la raison d’État, est
moralement discutable et
pose d’autres
menus problèmes : quid des gardes, d’Abercromby, de ceux à
qui ils ont pu parler et de leurs familles ? A
l’heure qu’il est plusieurs milliers de personnes doivent être
au courant .Faudra-t-il les
éliminer tous ? Ça
pourrait éveiller les suspicions… Certes,
Les frais engagés sont considérables mais
ne pourrait-on pas les utiliser utilement ? Saisissant la balle
au bond, l’Archevêque prit la parole :
-
Et si nous parlions de miracle ? Le Seigneur, touché par la
peine universelle que cette disparition avait provoqué, aura voulu y
mettre fin en rendant vie à Notre Majesté la reine ! Ne
pourrait-on pas transformer ce jour de deuil en jour de liesse où
les flots de Champagne remplaceraient ceux
des larmes ?
De
toute part, les applaudissements retentirent.
On
avertit les media du MIRACLE. Il fit les grands titres
du
Times, du Guardian, du Mirror, du Dayly Mail, du
Telegraph, une
photo de la reine âgée
remplaça
celle de la fille de la page 3 du Sun et
les télés du
Monde entier s’en firent l’écho.
Une foule déchaînée se massa pour
applaudir
la
miraculée. Un
carrosse
d’apparat
la mena de
Buckingham à Westminster Hall
où se tint le dîner d’État dont les dirigeants mondiaux
revinrent plus que joyeux. Bref,
ce
que l’on appela la
« Cérémonie du Miracle » fut un succès éblouissant,
le prestige touristique de Londres ne
s’en
trouva que
renforcé
et
les bancs des églises anglicanes repeuplés..
ÉPILOGUE :
« Aucune
omelette ne se faisant sans qu’œufs ne soient cassés »
comme disait Lao Tseu, à moins que ce ne soit ma charcutière, en
dépit de ce succès, il y eut des perdants. Charles
dut rendre la
couronne à
sa mère. Privé
de ses revenus de Cornouailles, il dut faire
valoir ses droits à une
maigre retraite
à
laquelle
s’ajoutèrent quelques rares subsides de sa mère et se résigna à
vivre dans une chambre meublée dont le papier peint déplaisait à
Camillia.
Le
professeur Gregor Mac Donald de
la faculté de médecine d’Édimbourg qui
avait délivré le permis d’inhumer
fut rétrogradé au statut d’assistant aide-soignant et muté aux
îles
Falkland
Un
peu moins de deux ans plus tard, la reine décéda pour de bon. On
fit venir à son chevet tout ce que le Monde comptait d’experts en
décès . Leur avis fut
clair et net : Elisabeth était aussi morte qu’un dodo*. On
attendit par précaution
deux semaines avant
d’annoncer la nouvelle. Celle-ci engendra une tristesse bien plus
modérée que lors de son précédent « décès » et son
enterrement fut nettement moins médiatisé.
Que
voulez vous, ce
qu’on a déjà donné ne peut plus être donné,
comme dit ma charcutière, à moins que ce ne soit Lao Tseu, je
confonds toujours les deux.
Charles
lui succéda. Enfin.
*
traduction
littérale de « as dead as a dodo » oiseau aptère
d’une espèce totalement éteinte qui vivait à l’Île Maurice.