Un jour Ciceron dit à Catilina :
« le voisin est un loup pour l'homme». Plus sociable
que ce vieux birbe de Cicéron et jamais à cours de répartie, le
brave Catilina, un peu agacé, lui répondit dans son langage fleuri
« Et ta sœur, elle pisse bleu ? ». Or
Cicéron, comme M. Zinedine Zidane, supportait mal que l'on
plaisantât au sujet des siens. Vexé comme un rat mais n'étant pas
très porté sur le coup de boule, le consul préféra répandre sa
haine en quatre véhéments discours prononcés devant le sénat
romain contre son offenseur que l'on réunit sous le titre des
Catilinaires lesquels
constituent une lecture de plage fort distrayante. Je ne saurais
cependant vous les conseiller maintenant, vu que nous approchons de
la rentrée et que l'heure n'est plus à la rigolade. Le premier
discours, prononcé en latin (Cicéron aimait à étaler sa culture)
commença comme suit «Quo
usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? »
que
l'on pourrait traduire par « Tu
comptes nous faire chier longtemps avec ta femme et vos promenades en
tandem ? »
Tout ça pour dire que les débats vigoureux ne datent pas des
réseaux sociaux... Mais je digresse. Revenons à nos voisins.
Je
me sens plus proche de Catilina que de Cicéron. En effet si le
voisin n'existait pas personne n'habiterait près de chez nous et ce
serait d'une tristesse infinie. D'autre part, le voisin (et son
équivalent féminin la voisine) constitue une source infinie de
distraction. Sa proximité nous permet de connaître ses moindres
faits et gestes, ses bonheurs comme ses malheurs. Quoi de plus
réjouissant que ces derniers ? Vous me direz que certains
voisins sont désagréables et cela de multiples manières. Et
alors ? N'est-il pas réconfortant de trouver un objet à sa
haine ? Quoi de plus désespérant qu'une haine sans objet et
que l'on finit souvent par tourner contre soi-même ?
J'ai
la chance d'avoir des voisins. Vivant en deux endroits je les
multiplie. Du côté normand, hormis la vieille peau qui me réjouit
de ses disputes conjugales, c'est plutôt calme. La vieille voisine à
qui j'avais offert du bois a calanché. Le cœur a lâché. On n'y
peut rien.
En
revanche, la Corrèze est plus riche en voisinage. Vivant à flanc de
colline, au-dessus de moi, réside de juin à septembre, le Parisien.
Il occupe temporairement la maison héritée de sa grand-mère. Quand
son dragon d'épouse, d'une vulgarité à faire rougir de honte les
poissonnières de la halle, ne vient pas bassiner le quartier de ses
interminables et véhémentes conversations téléphoniques, il est
plutôt communicatif. Dans le genre gnan-gnan. Il me conte les potins
du village. Ses informations sont parfois inexactes. Il m'a annoncé,
un an et demi auparavant, la faillite de la supérette qui s'acharne
depuis à rester ouverte. Selon lui, le boulanger aurait déposé le
bilan alors qu'une affiche annonce qu'il serait en congés. La même
source m'apprend que le pompier pyromane d'en face (brûlant des
branchages, il avait mis le feu aux grands arbres de sa propriété
provoquant, à sa courte honte, l'urgente intervention de ses
collègues) après un premier divorce suivi d'un rabibochage
matrimonial, connaîtrait la souffrance d'un nouveau divorce (en
attendant un remariage?).
Près
du fond de mon jardin, résidait une vieille dame. L'éleveur de
Limousines qui passe par Goulmy m'a dit qu'après trois tentatives de
suicide, on l'avait placée en EHPAD. Il semble qu'en nos jours de
grande sollicitude la mort en mouroir soit préférable à la mort
voulue.
Plus
joyeusement ; j'ai pu constater que le Niçois (qui en fait est
du pays mais passe ses hivers dans un appartement acquis à
Villeneuve-Loubet) n'a pas connu, comme je le redoutais dans un
précédent article, les affres du veuvage. Les deux octogénaires se
traînent ensemble de leur pas laborieux et s'engueulent comme aux
plus beaux jours.
La
(relativement) jeune voisine d'en bas, depuis qu'elle s'est trouvé
un coquin, a cessé d'animer le quartier des longues conférences
vespérales qu'elle tenait avec d'autres voisins. Aurait-elle trouvé
mieux à faire ?
Un
autre voisin, probablement d'origine normande (il ne dit jamais
bonjour), anime le quartier par les aboiements de ses deux chiens et
leurs hurlements à la mort.
La
Blonde, une presque jeune, et dont un psychiatre suit l'évolution de
la dépression, semble, depuis sa brouille avec le Parisien, avoir
trouvé en moi une nouvelle victime.
Un
nouvel arrivant a acheté, plus haut sur le chemin, une maison, ou
une grange, enfin un quelconque bâtiment, qu'il a entrepris de
rénover. Vu ses premières modifications, je doute fortement du
résultat final. J'ai comme l'impression que la cabane va tomber sur
le chien...
Pourtant,
demain matin, il me faudra quitter tous ces braves gens pour
rejoindre l'austère Normandie. N'est-ce pas là un crève- cœur ?