Avant qu’ils ne découvrent les joies du labourage et du
pastourage qui, comme Maximilien de Béthune, duc de Sully, l’avait si justement
souligné étaient devenus les deux
mamelles de la France de son temps, nos lointains ancêtres vivaient de chasse, de
cueillette et de pêche.
Les temps ont bien changé : cueillir de ci-de là expose
aux coups de fusil, chasser est devenu un crime et pêcher s’est mué en passe-temps, voire en sport. Compter sur ces
activités pour subsister a perdu de sa pertinence au temps des restaus du cœur et
de la banque alimentaire.
Le dernier cri en matière de pêche consiste à relâcher les
poissons qu’on vient d’attraper. Personnellement voir à la télé un pêcheur remettre
avec tendresse à la rivière la truite, la perche ou le brochet qu’il s’est
donné tant de mal à amener à la rive me laisse pantois. Je me demande quel peuvent
être alors les pensées du poisson quand il s’éloigne de celui qui, de longues
minutes durant, après lui avoir enfoncé dans la gueule un crochet d’acier l’a,
en dépit de ses efforts désespérés fournis au prix d’une douleur intense, ramené
vers lui, capturé dans une épuisette et extrait brutalement de son milieu
naturel avec les conséquences fatales qu’on peut en attendre, l’a remis à l’eau.
Peut-être ne pense-t-il pas, mais s’il
avait deux sous de jugeote, il se dirait certainement : « Tout ça
pour ça ! Quel sale con ! ». En ce cas, il se montrerait
ignorant du mode de pensée de l’homme moderne et la place primordiale que tient
chez lui la notion de sport.
Car qu’est-ce que le sport, en dehors d’une source de
revenus parfois importants pour quelques professionnels, sinon un effort pour l’effort ? Le sportif court alors
qu’aucune créature menaçante n’est à ses trousses, il saute des obstacles qu’il
a lui-même dressés sur son passage, il pédale sur des dizaines de kilomètres
dans le seul but de revenir chez lui, etc. Le seul avantage qu’il tire de ces
exercices, c’est qu’ils le maintiennent suffisamment en forme pour continuer de
s’y livrer. Je n’ai rien contre l’effort physique à condition qu’il ait un but,
qu’il ne soit qu’un moyen d’obtenir un résultat concret. Je bêche pour préparer
la terre qui me fournira des légumes et non pour pouvoir bêcher avec plus d’ardeur
ou pour maintenir ma capacité à la faire.
Pour en revenir à nos pêcheurs qui relâchent, on pourrait
extrapoler leur démarche à d’autres domaines.
Par exemple la drague. Paulo rencontrerait Gwendoline,
attirerait son attention d’une manière quelconque, l’enthousiasmerait par son
habileté à manier le bilboquet ou en la faisant rire aux citations les plus
hilarantes d’Emmanuel Kant ou de Martin Heidegger, la couvrirait de fleurs, l’inviterait
à quelque bonne table, lui proposerait de prendre un dernier verre chez lui et
quand la jeune femme, sentant son intimité se muer en marécage après quelques
attouchement lui murmurerait la voix rauque : « Fous-la moi
toute, mon gros salaud » le séducteur lui répondrait « Mais vous n’y
pensez pas Gwendoline ! Je fais ça pour le sport ! Rentrez bien vite
chez vous ! »
De même pour la recherche d’emploi. Kévin répondrait à des
annonces, se verrait convoqué pour un premier entretien, un second où le poste
lui serait offert, arracherait après d’âpres tractations un salaire élevé,
déterminerait la date du début de son activité et, au moment de signer son CDI
déclarerait au DRH : « Signer ? Il n’en est pas question, vous
pouvez le garder votre boulot de merde, je suis très bien où je suis ! Je
fais ça pour le sport !»
Ainsi bien des aspects de la vie pourraient-ils prendre un
caractère ludique et pour tout dire moderne…