L’autre jour, alors que je lisais le Journal
de Didier Goux, un passage m’a donné à penser : celui où il évoquait
la difficulté que rencontrent parents et enfants à parler ensemble. Comme
souvent je suis en partie d’accord avec pour corollaire évident que je n’adhère
pas à tout.
La difficulté de communiquer avec les parents est certaine.
Surtout dans le cas où ces derniers se sentent porteurs de vérités immuables ou
pensent de leur devoir d’imposer leurs valeurs à leurs enfants même quand
celles-ci les conduisent eux-mêmes au naufrage. Cette tendance était
probablement plus fréquente parmi les
générations anciennes.
Mais cet obstacle n’est pas insurmontable : avec le
temps, j’ai fini par parler librement avec mon père. Peut-être parce que je
devenais trop vieux pour adopter l’attitude du fils soumis (que je n’ai
jamais été) et qu’il réalisait que, la
fin approchant, il ne lui était plus nécessaire d’affecter un rôle de
prescripteur. Nous en sommes ainsi venus à aborder des sujets délicats, des
problèmes ou des moments de sa vie personnelle qu’il n’avait JAMAIS évoqués et
que, jeune, j’eusse craint d’aborder. Je ne pense pas que mes frères aient eu avec
lui cette « intimité ». La souhaitaient-ils même ? Car pour
ne pas se parler, il faut être (au moins) deux…
Il se trouve que, malgré mes réticences à me perpétuer,
j’ai eu une enfant. A un moment où la femme avec qui je vivais avait su
m’insuffler suffisamment de confiance en moi et en la vie pour sauter ce pas
délicat. Si une enfant a été désirée, c’est bien elle. Les circonstances ont fait que quelques
années plus tard nous nous sommes séparés.
Et au plus profond des difficultés
c’est ce petit bout de chou qui m’a donné la force de continuer. J’étais
responsable de cette vie que j’avais donnée.
Elle m’a, sans le savoir, puissamment aidé.
Ce ne fut pas toujours facile. Elle est adulte maintenant.
28 ans déjà. Elle vit sa vie. A sa manière.
Didier posait une question : puisque les enfants
«appartiennent, dès le départ, à un monde qui ne sera pas le vôtre […] quoi
leur apprendre ? »
J’ai une réponse à cela : leur apprendre ce qu’on a
été. Avec nos hauts, nos bas. Leur
donner une confiance dans la vie quoi qu’il arrive. Nous avons survécu aux
petites anicroches du destin. Les encourager à faire de même. Leur affirmer
notre amour, aussi, surtout. Faire en sorte que la Promesse de l’aube soit plus ou moins tenue. Leur faire confiance :
ils sont plus aptes que nous à faire face aux changements bons ou mauvais qui
affecteront notre société.
Et puis certaines valeurs demeurent valables quels que
soient l’époque et le contexte. On peut en faire état sans exiger qu’on les
adopte.
Nous parlons. Sans trop entrer dans les détails. Mais nous
parlons. Comme un vieux de 62 ans peut parler à une jeune femme. Comme un père
à sa fille et une fille à son père. Pas comme des copains. Il y en a d’autres
pour ça. Ça vaut ce que ça vaut mais c’est plein d’amour tendre. Parfois même
exprimé.
Nous restons parfois des semaines sans nous parler.
N’empêche, le lien est fort. Elle a été, est et sera ma plus grande fidélité.
Je lui souhaite de
connaître ce bonheur !