Je ne me souviens pas plus de ce que
j’écris que de ce que je lis. Ce qui me permet de découvrir avec
le même plaisir des livres naguère ou jadis lus. Ayant entamé la
relecture des Mangeurs d’étoiles de Romain Gary, j’ai,
afin de vérifier si je n’avais pas consacré à ce roman un
précédent article, effectué une recherche dans le dossier
qui regroupe mes bavardages et constaté qu’à douze reprises
j’avais cité ou fait mention du double lauréat du prix Goncourt.
Il faut dire que, si j’étais tenté d’établir un palmarès de
mes écrivains favoris, il y occuperait la première place et que
L’Angoisse du roi Salomon est, de loin mon roman favori. Je
l’ai lu, relu, j’y ai surligné ou souligné tant de passages, corné tant de pages, que mon exemplaire Folio, acheté en 87, menace
ruine.
Dire
que je placerais Les Mangeurs d’étoiles au rang de mes
favoris serait exagéré. Il ne manque cependant, malgré des
longueurs, pas d’intérêt. N’étant qu’à la moitié de sa
lecture, je ne saurais vous en narrer le dénouement.
Tout
commence lorsqu’un cortège de Cadillac vient chercher à
l’aéroport quelques
invités du dictateur José Almayo. Le moins qu’on puisse dire,
c’est qu’ils forment un groupe
disparate : le composent un télévangéliste
américain de renom, un
« virtuose » du violon qui, vêtu en clown joue d’un
minuscule instrument debout sur la tête, un agent artistique, un
jongleur dévoré par l’ambition de réussir
l’exploit qu’aucun de ses collègue n’a pu
réaliser, un ventriloque et sa marionnette, un
« virtuose » des spectacles porno et la « fiancée »
d’Amayo, jeune américaine aussi alcoolique qu’idéaliste. Sur
son chemin, le convoi s’arrête pour que se
joigne à
eux une vieille indienne,
abrutie par la mastication de feuilles feuilles hallucinogènes (une
mangeuse d’étoiles)
qui s’avère être la mère du dictateur. On est en bonne
compagnie ! Soudain des militaires viennent bloquer le convoi.
Le responsable de la sécurité
du groupe apprend par un entretien téléphonique qu’Almayo lui
donne l’ordre d’immédiatement fusiller tout ce joli monde et de
transporter les cadavres à l’écart de la route dans un endroit où
il sera facile de les retrouver. Le capitaine n’en croit pas ses
oreilles. Il finit par avoir confirmation de l’ordre par le
dictateur lui-même et s’apprête à exécuter l’ordre quand il
apprend par radio que l’armée s’est soulevée contre l’autocrate
et que son trône risque de vaciller. Cela explique l’ordre donné
: Almayo compte faire porter la responsabilité de
ce crime barbare sur les insurgés afin que les Américains volent à
son secours et écrasent la rébellion. Seulement, au cas où ce plan
échouerait, l’homme de la sécurité redoute d’avoir à porter
le chapeau pour ce massacre et décide d’annuler l’exécution et
d’aller cacher les « otages » dans la montagne…
Au
fil des pages, nous en apprenons davantage sur le dictateur
et sa fiancée. Almayo, jeune indien misérable (pléonasme), a,
depuis toujours, ambitionné de devenir un personnage important.
D’abord apprenti torero subventionné par son riche amant, il
réalise qu’il manque de talent. Or, sans talent, point d’avenir.
Comment l’obtenir sans l’aide de Satan ? Car son manichéisme
simpliste le pousse à penser que la terre est dominée par ce
dernier, Dieu régnant sur le ciel sans s’occuper des hommes. Pour
réussir, il faut donc séduire le diable en se montrant digne, par
des crimes odieux, de bénéficier de ses faveurs. D’abord petit
voyou,trafiquant de drogue, il organise ensuite des milices
sanguinaires qui défendent « l’ordre » et ainsi finira
par arriver au pouvoir.
Sa
« fiancée » est tout autre : idéaliste invétérée,
elle cherche à faire le bien, voudrait sortir le peuple de la misère
crasse où il survit « en mangeant des étoiles ». Sous
son influence, Almayo sans croire un instant à leur utilité, dote
le pays, grâce à l’aide américaine, d’une université, d’un
très bon réseau téléphonique et d’autres foutaises censées
sortir la plèbe de sa terrible condition. De manière à peine
dissimulée, Gary dresse un portrait physique et mental de Jean
Seberg son épouse d’alors que son idéalisme ingénu conduira à
la déchéance et à la triste fin que l’on sait. Il reviendra
d’ailleurs sur ce thème quelques années plus tard dans Chien
blanc. Sa première rencontre avec Almayo plante d’ailleurs le
décor : alors qu’elle vient de se faire violer par un
chauffeur de taxi qui prétendait lui faire découvrir la beauté des
ruines d’une pyramide sous la lune, elle se réfugie dans la boîte
de nuit qu’il possède. « Elle parlait d’ailleurs sans
cesse d’une grand-mère qu’elle avait dans l’Iowa et d’un
diplôme de langues qu’elle avait obtenu dans une Université
là-bas, en le regardant d’un air pitoyable et en pleurant dans son
mouchoir. Elle voulait probablement dire que ce n’était pas elle
que le chauffeur de taxi aurait dû violer, mais quelqu’un
d’autre qui n’avait ni grand-mère ni diplôme. José et le
barman se regardaient en rigolant. ».
Du
Gary pur sucre,mélange de cynisme,
d’humour et de dérision qui me fait l’aimer. Je sens que je vais
en relire beaucoup d’autres .