Après une longue absence, me voici revenu avec une de ces chroniques éthologiques qui ont fait de ce blog le rendez-vous des amis des animaux comme celui de tout personne avide de connaissances.
Ce magnifique oiseau a malheureusement
disparu, tellement disparu que c'est en vain que vous en chercheriez
la trace dans la plus documentée des encyclopédies ornithologiques.
Le seul souvenir que l'on garde de lui, c'est un nom commun passé de
mode désignant, selon M. Larousse (le frère de cette Julie que
chanta avec talent René-Louis Lafforgue dont quelques vieillards
chenus gardent encore un vague souvenir), un « Jeune homme
qui fait le joli cœur auprès des femmes. ». Ce distingué
lexicographe donne d'ailleurs pour étymologie à ce vocable l'Ancien
Français Galureau signifiant « Galant » et
qu'on peut rapprocher du galurin (ou galure) que portaient sans doute
les jeunes gens avides de charmer.
Mais
revenons à notre emplumé. Cet oiseau dont le plumage faisait
paraître terne celui des plus colorés aras était animé d'un tel
appétit de séduire que cela l'amenait à ne pas se contenter des
femelles de son espèce et à chercher les faveurs de tout ce qui, du
sexe opposé, portait plume. Il est évident que cela ne lui faisait
pas que des amis parmi la gent ailée. Les pères mettaient leurs
oisillonnes en garde contre les godelureaux tandis qu'à ces discours
les yeux des mères s'embuaient. Combien d'entre-elles avaient été
séduites puis abandonnées par un godelureau ? Et ce n'est pas
pour rien qu'on lui avait attribué l'épithète de « pêchu »
car le gaillard était d'une vigueur inouïe. Seulement les mises en
garde des géniteurs avaient à peu près le même effet que celles
de M. Seguin eurent sur Blanchette : celui d'un pet dans la
toundra par un jour de grand vent.
Le
godelureau continuait de faire le joli cœur avec, ce qui pis est, un
immense succès. Les mâles des autres espèces de volatiles et
jusqu 'aux émeus et autres autruches en concevaient une haine
sourde à l'égard de ce redouté rival. Quand ils l'apercevaient,
ils s'unissaient pour le chasser mais dans le meilleur des cas ça ne
faisait que déplacer le problème. Sans compter que le bougre était
doué de mimétisme et que ses riches couleurs se transformaient à
volonté en vert-feuillage en forêt ou se faisaient glauque en bord
de mer ce qui rendait sa poursuite malaisée et donnait au hibou
comme au cormoran l'impression de l'avoir éloigné tandis que le
rascal, ayant retrouvé ses couleurs, honorait avec fougue leur
légitime.
A
force de couver, la colère éclata. Elle n'est pas toujours mauvaise
conseillère. Puisque chasser l'intrus s'avérait inutile, il fallait
trouver une solution drastique au problème. Et on la trouva. Plutôt
que d'agresser ce prédateur sexuel, ne valait-il pas mieux prétendre
s'en faire un ami ? Ainsi, tous les mâles conseillèrent-ils à
leurs compagnes de recevoir le godelureau à draps ouverts. Ils
allèrent jusqu'à lui payer des canons après les séances. Le
misérable, peu à peu, vit sa méfiance naturelle autant que
justifiée s'estomper puis se transformer en amitié. Mal lui en
prit, car le but final de ses nouveaux « amis » était
son éradication. Un jour où l'on fêtait Barthélémy (pure
coïncidence), on passa à l'attaque. La quasi-totalité des
godelureaux fut éliminée. Le peu qui resta était en nombre
insuffisant pour assurer la pérennité de l'espèce. Ainsi disparut
ce diable de volatile.
Cette
triste histoire fut transmise dans ma famille de génération en
génération des siècles durant, faisant de nous les seuls à garder
le souvenir de cette espèce. A l'adolescence, les pères la
contaient à leurs fils, leur faisant jurer de ne jamais se comporter
en godelureau. Ce à quoi je me tins.