Nos contemporains sont souvent
persuadés de la disparition des saisons. Afin d'en avoir le cœur
net, nous avons consulté une personne dont les compétences,
l'honnêteté et la sincérité ne sauraient être mises en cause, je
veux parler de Tonton Jacquot, qui au cours d'une longue vie
d'oisiveté et d'ivrognerie a eu tout le temps d'observer les
phénomènes météorologiques et leur évolution dans le canton de
Mézidon-Canon, le bien nommé, dont il n'est sorti que pour faire
son service militaire à Châteauroux.
Nous transcrivons ci-dessous l'interview qu'il a bien voulu nous accorder qui est de
nature à conforter les partisans de la disparition des saisons dans
leurs convictions. Nous n'en avons omis que les "A la tienne, mon gars" "C'est pas de refus !" et autres "On s'reprend un tit'goutte" qui n'apportent rien au débat.
Tonton Jacquot, pensez-vous que nous
ayons progressivement vu disparaître les saisons ?
Un peu qu'j'y crois mon gars !
Dans ma jeunesse, y'en avait des saisons ! Pas des comm'
maintenant, des vraies saisons : des hivers glacials, des
printemps doux et fleuris, des étés brûlants, et des automnes
pluvieux. Vlà c'qu'y avait comme saisons !
Il ne me semble pas que ça ait
beaucoup changé...
Malheureux ! Tu sais pas c'que tu
dis ! Quand j'te parle de froid, c'est d'vrai froid que j'te
parle ! Tiens, par exemple, à Noël, y neigeait, tous les ans,
au moins un mètre ! Quand on allait à la messe de minuit,
chacun amenait sa pelle pour dégager le chemin de retour, c'est fou
c'qu'y pouvait tomber en une heure ! On emportait une topette de
calva pour se réchauffer pasqu'à l'église, y'avait pas plus d'chauffage qu'à la maison. On avait beau faire du feu dans l'âtre,
ça chauffait pas grand chose. Quand en janvier ou février, on était
au-dessus de -15 -10 degrés à l'intérieur on disait « Merci
mon Dieu ! ». Pas b'soin d'te dire que d'congélateur, on
n'en avait pas b'soin ! Enfin, en hiver...
Comment faisiez-vous pour résister ?
Ben, on était costaud, à l'époque !
Tiens, par exemple en janvier 63, il a fait tell'ment froid, qu'une
nuit, je m'suis l'vé pour aller pisser. Je m'suis dégagé un ch'min
à la pelle jusqu'à la cabane. Eh ben, arrivé là, rien à faire :
l'urine avait gelé dans ma vessie !
Impressionnant, en effet ! Vous
deviez attendre le printemps avec impatience !
Tu l'as dit bouffi ! Mais on
n'était pas déçus : arrivé mi-mars, la neige fondait et bien
vite ça dev'nait doux. T'aurais vu les fleurs qui poussaient
d'partout ! C'était joli comm' tout. Et ça embaumait, j'te dis
pas ! Seulement , on avait aut' chose à faire que de
r'garder les fleurettes et d'humer l'lilas : c'était l'époque
du r'piquage des ananas et des bananiers !
Des ananas et des bananes en
Normandie ?
Ben oui, mon gars, c'était même avec
ça qu'on f'sait not' beurre ! Pasque faut dire que pour
c'qu'était d'êt' chauds, y zétaient chauds nos été :
tropicaux, v'là c'qui zétaient ! Bien sûr, y'avait des
pluies torrentielles, de temps en temps, mais fallait bien ça pour
les bananes et les ananas...
Et l'automne, ça donnait quoi ?
Ben l'automne, qu'est-ce tu veux que
j'te dise, c'était l'automne... Arrivé fin septembre, c'était la
pluie, l'brouillard mais pas d' vrai froid. On allait aux
champignons, on ramassait les châtaignes, ah, c'était la belle vie, pas
comme maintenant !
Eh bien Merci pour votre témoignage,
Tonton Jacquot. Il ne manquera pas de rassurer nos lecteurs !
Comment ça, tu t'en vas déjà ?
On n'a même pas fini not' deuxième lit' ed'Calva ! Décidément,
y'a pas qu'les saisons qu'ont changé !