Ce matin, on frappe à ma porte.
J'étais à l'étage, encore en pyjama. Comme je ne reçois que très
peu de visites, lorsqu'on toque à ma porte (je n'ai pas de
sonnette), j'en ressens toujours un certain désagrément, car pour savoir qui se trouve sur mon seuil,, il me faudrait ouvrir ma fenêtre, m'y pencher
et, ce faisant, révéler ma présence, je me résigne donc à descendre.
Surtout qu'on ne sait jamais : peut-être est-ce le destin ?
Une créature divine ayant développé une attirance irrépressible
pour les bricoleurs chenus ? Un Ivoirien, qui lassé de ne pas
me voir répondre à ses mails, viendrait me livrer en mains propres
les millions de dollars qu'il a dans sa musette ?
Hélas, tels ne sont jamais mes
visiteurs. A part Raymond qui, exceptionnellement, vient me voir en
quête d'un service ou pour me proposer un demi-agneau qui sans mon
secours lui resterait sur les bras, ce sont, au moins au départ, des
inconnus en quête de quelques sous : le cacochyme vendeur de
billets de la loterie paroissiale qui a tant de mal à se traîner
que je n'aurais pas le cœur de lui refuser l'achat d'un carnet dont
je ne saurai jamais si les billets étaient gagnants ou, en novembre, les
valeureux soldats du feu dont j'achète le calendrier avant de le
classer verticalement. Il arrive aussi que quelque personne perdu
dans le bocage vienne me demander de l'aider à trouver des gens que
je ne connais pas. Et puis, il y a, comme ce matin, les Témoins de
Jéhovah.
Nul besoin qu'ils se présentent :
je les renifle à distance et, après un rapide bonjour, je leurs
dis, tout en sourire, sans qu'ils aient le temps de placer le moindre
mot, que je ne suis pas intéressé. Certains insistent un peu,
d'autres, comme ceux de ce matin comprennent qu'ils perdraient leur
temps, me souhaitent une bonne journée et, d'un pas alerte, partent
déranger le voisin.
Je m'en veux un peu de ne pas mieux les
recevoir. Je me console en me disant qu'étant fermé à toute
aspiration religieuse, le temps qu'ils perdraient avec moi serait,
peut-être, plus fructueusement employé auprès de personnes plus
perméables à leur discours. Mais en existe-t-il beaucoup ?
Combien de refus d'ouvrir, de portes qui claquent à leur nez, de
rebuffades mal aimables et peut-être même parfois d'insultes pour
une brebis « sauvée » ? Et pourtant ils continuent,
sacrifiant leur temps libre à leur apostolat.
Je ne peux m'empêcher d'admirer leur
abnégation. Je sais les critiques auxquelles ils sont en butte.
Sectarisme, refus de soins, endoctrinement de leurs enfants, etc.
N'empêche que leur prosélytisme est compréhensible : comment,
quand on est porteur d'une vérité, se résigner qu'au péril de
leur salut éternel les autres restent dans l'erreur ?
Seulement, des porteurs de vérités
intangibles, on tape dans un réverbère, il en tombe cent... Et
parallèlement à cette admiration, je me félicite qu'ils soient les
seuls avec les Mormons, à sillonner villes et campagnes en vue
d'âmes à sauver. Si les Marxistes de la dernière heure, les
Adorateurs du Saint Caméléon, les Dévorateurs de Bidoche et tous
ceux qu'habite une virulente foi en faisaient autant, on n'aurait
plus une minute à soi le week-end.