Nos chers (à tous les sens du terme)
syndicats défendent les salariés. Quoi de plus estimable, de plus
noble, de plus magnifique ? Et le bon peuple de les suivre. Car
défendre le salarié c'est maintenir ses droits si chèrement
acquis. Tout le monde vous le dira. Qu'est-ce qu'il veut le salarié ?
DE LA SÉ-CU-RI-TÉ ! Il lui faut donc un emploi pérenne. Grâce
à ce dernier, il pourra croquer la vie à belles dents :
s'endetter sur des décennies afin d'acquérir l'appartement ou la
maison sinon de ses rêves du moins de ses moyens, s'offrir le
dernier modèle de chez Peunault, assurer l'avenir de ses
chèreux-têteux-blondeux et tous les ingrédients d'un bonheur
parfait (à condition cependant qu'un divorce ne vienne pas le
contraindre à vendre son nid d'amour, à devoir se contenter d'une
Regeot pourrie et à voir ses chers enfants le considérer comme un
moins que rien. Car force est de constater que la précarité
familiale, elle, connaît une expansion remarquable*.).
Donc, on défend le salarié. C'est à
dire qu'on fait en sorte qu'il puisse justement rester salarié avec
un maximum de garde-fous même s'il s'avère incapable d'assumer ses
tâches (Être traîné aux prud'hommes par un employé si
incompétent soit-il donne des sueurs froides à bien des employeurs
dont le rêve secret, rappelons-le, est toute de même de
se défaire de ses employés sans raison valable). Seulement, cette
défense d'un salariat indéboulonnable présente de menus
désavantages pour qui n'en participent pas et même pour ses
bénéficiaires.
Dans une société « flexible »
trouver un emploi est un peu comme jouer aux chaises musicales. On
quitte son siège au risque de le voir pris par un autre et de n'en
retrouver aucun. Mais ce n'est pas grave car au prochain tour on
pourra s'asseoir sur un autre. Dans une société sclérosée, comme
en Doulce France, un maximum de « joueurs » a le cul
vissé à sa chaise et ceux qui tournent ont bien du mal, de ce fait,
à trouver siège au leur. Ainsi la stabilité de l'emploi a-t-elle
pour conséquence la stabilité du chômage. Ce que sachant, celui ou
celle qui auront eu l'heur d'obtenir un CDI s'y cramponneront comme
un naufragé à son épave quel que soit le mal-être qu'il retire
d'une fonction qui a fini par lui sortir par les yeux. Dès lors
comment s'étonner que le fameux « Modèle Français »
que le monde entier nous envie sans pour autant aller jusqu'à le
copier, ait pour résultat de faire de notre beau pays le recordman
mondial du pessimisme ?
Notre bon gouvernement dont la
compétence n'a d'égale que le courage a récemment sorti une
réformette visant à instiller une dose de flexibilité dans le
marché du travail. Aussitôt, les syndicats des élèves de
maternelle, du primaire, du collège, du lycée, des étudiants et
des salariés se sont fâchés tout rouge et le cabinet a battu en
retraite sans pour autant les satisfaire. Car contrairement à
l'opinion du héros de Tomasi de Lampedusa, aux yeux de nos
progressistes, « Il faut que rien ne change pour que tout
change ».
Mais, me direz-vous, dans cette société
flexible, voire précaire, que vous semblez prôner, comment
fera-t-on pour s'offrir le logement, la voiture, le bonheur familial
et les frais de divorce de ses rêves ? Mais rien de plus
simple, cher contradicteur : il faudra que le système bancaire
s'adapte et accepte de financer ceux à qui leur adaptabilité et
leur courage permettra de trouver des emplois sinon pérennes du
moins quasi-constants. Cela demanderait, bien sûr, un profond
changement des mentalités qui ne semble pas à l'ordre du jour tant
l'adage selon lequel « On ne change pas un système qui perd »
connaît d'adeptes en notre patrie...
* A ce propos il m'arrive de me
demander pourquoi la rupture d'un contrat matrimonial n'implique pas
de la part de la partie demanderesse le versement d'une forte
indemnité en plus de l'éventuelle pension alimentaire. Ce ne serait
que justice, non ? Comme le CDI refrène l'embauche, ça
risquerait de rendre certains rétifs à l'engagement matrimonial
mais si on veut de la sécurité...