« Vous tuez le commerce de proximité ! » c’est
ainsi que le bon garagiste réagit lorsque je lui annonçai que j’avais fait
affaire sur Internet et que je ne prenais pas sa magnifique tondeuse pour cause
de prix bien trop élevé par rapport à des articles similaires vendus en ligne.
Il est vrai que toutes ces vitrines abandonnées déparent les
rues de nos villages. Je suis le premier à le regretter. Cependant, s’il n’y
avait que des acheteurs de mon genre, leur nombre grossirait encore. Car je
dois l’avouer à ma courte honte : je suis atteint de bouticophobie. Entrer
dans le moindre petit commerce, quand il ne s’agit pas d’un salon de coiffure
ou d’un garage, m’est une épreuve. En
revanche, je me sens à l’aise dans la
grande distribution où personne ne vient m’agresser, où l’on me laisserait, si
tel était mon bon plaisir (mais il l’est rarement, contempler les biens que je
guigne tout mon soûl sans qu’on vienne me proposer de l’aide ou des
renseignements que, n’étant ni aveugle ni illettré, je suis capable de lire sur
les étiquettes informatives. Pour ce qui est du bricolage, quand le doute me
taraude, je me mets à la recherche d’un vendeur qui se fait un devoir de m’offrir
les précisions requises. Sinon, j’adore la paix royale qu’offre le self-service.
On m’objectera que le petit commerce crée du lien social.
Mouais. Personnellement, les échanges sur le temps qu’il fait ne sont pas
indispensables à mon intégration. De plus, certaines manies petites-commerçantes
m’agacent au plus haut point. Le « Et avec ça, ça sera ? » de la
boulangère ou de la charcutière après que je leur ai demandé une baguette ou
deux tranches de jambon m’irrite. Qu’attendent-elles ? Que me revienne
soudain à l’esprit qu’en plus de ces menus achats j’avais un besoin
irrépressible de 457 pains au chocolat, de 34 pains de quatre livres, de 95
babas au rhum, de 64 croissants, de 40 kilos de levure ou encore de 20 mètres de
boudin, de trois tonnes de lard maigre, d’un demi-porc, de 45 kilos de pâté, de
36 000 andouilles (ce qui expliquerait au passage la présence du poids
lourd réfrigéré de location que j’aurais garé devant la boutique) ?
L’e-commerce, présente en plus d’éviter d’oiseuses
bavasseries au bavard impénitent que je suis les considérables avantages de ne pas m’astreindre à
observer les horaires d’ouverture et de n’avoir pas à me déplacer vers de
grandes surfaces spécialisées situées en périphérie des villes (j’ai en sainte
horreur tout ce qui ressemble à un environnement urbain).
Il est vrai qu’ainsi je tue le commerce de proximité mais,
vu l’usage que j’en ai, il me faudrait être bien hypocrite pour prétendre
pleurer sa disparition. Tout le mal que je lui souhaite c’est que demeure un
nombre suffisant d’amateurs de « lien social », de discuteurs-de-bout-de-gras-avec-la-charcutière
et de clients avides de conseils et de sourires commerciaux pour qu’il se
maintienne.