« Laurent, serrez
ma haire avec ma discipline » ordonnait l’hypocrite Tartuffe. Ce n’est
pas de ce fouet dont les dévots fustigeaient leur chair que je veux parler mais
de l’ensemble des règles de conduite destinées à faire régler l’ordre dans une
communauté et dont peu semblent déplorer ou simplement constater la progressive
disparition dans notre système scolaire. Pourtant, lorsqu’on lit cet
article il est facile de déduire que l’absence de discipline est largement
responsable de l’effondrement du niveau de l’enseignement.
On pourra faire toutes les réformes du monde, adopter des
programmes et des méthodes susceptibles de favoriser les apprentissages ça ne
changera rien s’il ne règne pas dans les classes l’ordre indispensable. Le plus
qualifié des professeurs utilisant des méthodes pédagogiques raisonnables, si ses cours ont lieu dans le brouhaha
permanent, pourrait aussi bien leur chanter La
Grosse bite à Dudule en latin, en grec ancien ou en serbo-croate sans que
pour autant les résultats de ses élèves ne s’en trouvent notablement affectés.
C’est une évidence que personne ne souhaite prendre en
compte et cela depuis des décennies. Je me souviens d’une visite d’un
inspecteur dans le collège de l’East End de Londres où j’étais assistant de
français en 1973 durant laquelle ce bon hiérarque, alors qu’il parlait
pédagogie et autres foutaises se vit poser la question suivante par un collègue : « Et
que faites-vous quand un élève vous dit : « Va te faire enculer, grosse tafiole » ? ». Le
brave homme surpris par la question, après s’être enquis de la réalité de
telles « incivilités » ne trouva rien à répondre et se borna à
déplorer que de telles incongruités fussent énoncées.
Comment expliquer cette quasi-omerta sur un sujet crucial ?
Les responsabilités sont multiples. Les seuls qui puissent en être excusés sont
les élèves eux-mêmes. La tendance à l’irrespect et à la turbulence étant
naturelle chez l’enfant ou l’adolescent, le processus éducatif a, entre autres, pour but de la canaliser. Si on
se refuse à les éduquer on ne saurait leur tenir rigueur de leurs mauvaises
manières.
En revanche, ceux qui sont censé œuvrer à l’édification de
la jeunesse, eux, ne sauraient être excusés. Sans établir de hiérarchie dans
les responsabilités, disons que les pédagogues hors-sol, les parents et les
enseignants en portent chacun une part.
Les Inspecteurs Généraux et leurs conseillers, éminent
pédagogues, n’ont que peu de rapports directs avec la réalité concrète des
classes et des élèves qui les peuplent. Cela les aide grandement à se forger
une image idéale de ces derniers et partant à élaborer des approches théoriques
en accord avec leur idéalisation. Si les
élèves n’ont pour seul but dans la vie
que d’orner leurs esprits avides de nouveaux savoirs et qu’ils n’y
parviennent pas , c’est qu’on s’y prend mal et qu’on leur propose des
programmes et des méthodes inadaptés. S’ils condescendent à reconnaître qu’il
existe des problèmes dans les classes, ils les expliquent de la même manière.
Les parents ont souvent bien d’autres problèmes que l’éducation
de leurs enfants. Ça tombe bien, vu que l’ÉDUCATION Nationale est, comme son nom l’indique, là
pour pallier leurs déficiences. Mais dans une certaine mesure seulement. Car,
comme j’ai pu le constater lors des dernières années de ma carrière, nous
assistons à l’éclosion d’une génération de « surdoués innocents ». De
plus en plus d’enfants ne réussissent pas à cause de leurs dons insignes (qui
souvent ne sont constatés que par leurs géniteurs). De même lorsqu’un chahut a
lieu, leur petit(e) chéri(e) n’y est jamais pour rien. A côté de cela, sans se
voir attribuer de facultés particulières, d’autres enfants sont sacrés rois par
leurs parents avec tous les droits afférents à leur statut. On ne saurait donc les
sanctionner. D’ailleurs quand on voit le ton sur lequel certains angelots
géniaux ou royaux s’adressent à leurs parents on réalise combien il est
difficile à ces derniers de cerner la différence entre comportement acceptable
et « incivilité ».
Les enseignants, eux, pris entre les feux croisés des
pédagogues et des parents ne sont pas à la noce. S’ils ne parviennent pas à
transmettre leur savoir c’est soit dû à leurs incapacités (et on les encourage
à le penser) soit à une société inégalitaire qui rend impossible l’accomplissement
de leur mission (et cette vision est partagée en haut-lieu). Malheureusement
culpabiliser ou externaliser les responsabilités ne résout pas leur problème et
encore moins ceux des élèves qu’on leur confie.
Le plus navrant dans l’histoire, c’est que ceux qui souffrent
le plus du désordre occasionné par ce déni de réalité sont ceux qui auraient le
plus besoin de l’école pour s’intégrer à la société à savoir les enfants des
quartiers « défavorisés ».