J’apprends qu’en ce jour sort un nouveau numéro de Charlie,
le célèbre hebdomadaire que nous serions tous supposés être suite à la
fusillade du 8 janvier dernier. Cette nouvelle livraison serait tirée à 2
millions d’exemplaires. Ce qui est peu comparé aux 8 millions de celui qui l’a
précédé. A croire que le Charlie s’évapore
bien vite même à basse température. Il n’empêche que comparé à sa diffusion pré-massacre
d’une quarantaine de milliers c’est quand même pas mal. Si l’Express ou l’Obs voyaient,
même exceptionnellement, leur diffusion connaître de tels progrès, ils en
seraient ravis. Et pourtant…
Il semblerait que certains collaborateurs sont inquiets. Ils
craignent de ne pas réussir à produire le Charlie
d’avant. Parce que les morts ne reviendront pas. Parce qu’il est difficile de
recruter de nouveaux dessinateurs tant peu de gens, si contestataires
soient-ils, se sentent attiré par la
perspective de se voir métamorphosés en passoires suite à quelque hilarante
finesse. Ces inquiétudes sont donc justifiées. Si le but est de renouer avec un
lectorat évanescent qui menait la publication à une faillite certaine, ce n’est
pas gagné d’avance. Seulement, il existerait une autre solution.
Si on y réfléchit un bref instant, cet afflux de nouveaux
lecteurs est pain béni, à condition de savoir le conserver. Il y a fort à
parier que la plupart d’entre eux n’ont qu’une idée très imprécise de la ligne
éditoriale qui pouvait être celle du quasi-défunt hebdomadaire avant les événements
qui le placèrent sous les feux de l’actualité. Si on excepte une certaine « impertinence »,
une « liberté de ton », d’un « esprit frondeur » qu’en
a-t-on révélé au public ? Et c’est là que s’ouvrent des opportunités
commerciales inouïes ! Ces deux millions d’acheteurs, afin de faire une
rapide fortune, ne s’agit-il pas de les retenir ? Et comment mieux y
parvenir qu’en leur offrant ce qui les intéresse vraiment ? Ce n’est pas en dessinant des prêtres catholiques
qui s’enculent, en proférant des blasphèmes gratuits, en insultant bassement
quelques têtes de turcs, en écrivant des pensums écolos ou bobo-gaucho qu’on y parvient ! A part quelques dizaines de
milliers de soixante-huitards attardés et de boutonneux ravis qu’on leur
décrive un monde bien glauque, vous n’intéressez personne.
Ce qu’il faut à cette masse, c’est du people, du sport, des
recettes de cuisine, des astuces en vue d’une vie sexuelle épanouie, des
conseils de déco. Ce qui les retiendra, c’est de faire tout ça sur un ton coquinou,
libre-bricoleur, franc-niqueur, concilier préoccupations vulgaires et esprit
frondeur… De quoi requinquer la cerise du néo-bobo en mal de rebellitude, quoi !
Mais encore une fois, je prêche en plein Gobi. Nos provocateurs
professionnels, comme nos politiques et nos amis des média cherchent
désespérément à retrouver les bonnes vieilles recettes qui les ont si
efficacement menés dans le mur. Je fais entièrement confiance aux gens de Charlie pour
renouer dès que possible avec la cessation de paiement.