Eh oui, me voici réduit depuis une bonne heure déjà au
triste état de «sans-dents» terme dont, selon Madame T., Monsieur H. flétrirait
les pauvres. La dentiste m’a en effet extrait une incisive, m’offrant ce
faisant un de ces sourires si populaire chez les vieillards impécunieux. L’affaire
s’est très bien passée. L’arracheur n’a plus besoin de mentir quand à l’absence
de douleur qu’engendrera l’extraction : à part les quelques secondes de
léger désagrément qu’occasionne la
piqûre anesthétique, c’est sans mal que se passe la chose. Mais faute d’être
menteur, l’arracheur n’en demeure pas moins malhonnête. Car cette partie de
moi-même qui plus de cinquante années durant a joué un rôle non négligeable
dans l’attrait de mon sourire, cette friponne se l’est appropriée ! De
quel droit, je vous le demande ?
Ce n’est pas la première fois, hélas, que je constate un tel
méfait. Je ne dois pas être le seul à en être victime mais peut-être serai-je
le premier à dénoncer ce scandale. Combien de millions de Français se font
arracher une ou plusieurs dents tous les ans ? Quel qu’en soit le nombre exact on peut gager
que les chirurgiens-dentistes s’approprient annuellement des millions voire des
dizaines de millions de dents. Et qu’en font-ils ? La réponse passe par
celle à une autre question : « Et vous qu’en feriez-vous ? ».
Comme toute personne bien élevée, vous la placeriez sous votre oreiller le soir
et, surprise attendue, au matin elle aurait laissé place à une pièce qu’y
aurait déposée en échange la petite souris. Quels sont les tarifs que pratique actuellement
cette dernière ? Je ne saurais le
dire vu que depuis belle lurette, comme vous, molaires, dents de sagesse,
prémolaires m’ont été confisquées par divers praticiens. Vous voyez où je veux en venir ?
Il me paraît évident qu’a été passé entre la profession
dentaire et la petite souris un contrat de rachat des dents. Vu que les
dentistes sont en mesure de fournir à leur partenaire commercial des quantités
importantes, la transaction doit se faire à un prix de gros inférieur à celui des
particuliers. C’est du gagnant-gagnant ! Il n’en reste pas moins qu’ainsi, au niveau
national, ce sont des millions d’Euros qui passent sous le nez de la population
ET, c’est bien plus grave, DU FISC. Car je vous mets au défi de trouver, sur le
bilan annuel de votre dentiste une ligne « Transactions avec la petite
souris ». Demandez-lui de vous le
montrer, pour voir… Je serais bien surpris que vous puissiez ensuite me prouver
que j’ai tort.
En un temps où la maîtrise des déficits budgétaire s’avère
impossible, où on va chercher des poux dans la tête à de braves gens qui ont
omis de déclarer quelques (parfois dizaines de) milliers d’Euros de revenus,
peu-on continuer à tolérer pareil scandale ?