Je viens de finir Price, roman de Steve Tesich, l’auteur
de Karoo dont j’ai parlé ici. Comme
diraient l’infatigable nymphomane ou le quasi impuissant quand ils aperçoivent
le bout du tunnel menant à l’orgasme : « Ça vient quand on n’y
croyait plus ! »
J’ai exprimé mon peu d’appétence pour la lecture ces temps
derniers. J’ai été incapable d’apprécier quoi que ce soit, mises à part
leurs vertus soporifiques, dans les
derniers ouvrages que j’ai tenté de lire
et bien vite abandonnés. J’hésitais à faire l’emplette de Price, le roman nouvellement
paru de Steve Tesich aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Et puis,
ma fille se demandant quoi m’offrir pour mon récent anniversaire, je me suis dit :
Pourquoi pas Price ?
Le livre m’est arrivé voilà trois jours et je l’ai dévoré.
Alors que je peinais à lire plus de quelques pages avant qu’un livre ne me
tombe des mains, j’en lus avec ravissement près de cent-cinquante par jour anxieux
que j’étais d’en connaître la suite et effrayé du vide où sa fin me laisserait.
De quoi s’agit-il ? De l’été 1961 que traverse Daniel
Price, adolescent de 18 ans (le titre original est Summer crossing) qui, emporté par une passion folle pour l’énigmatique,
belle et déroutante Rachel, abandonnera un monde fait de copains « inséparables »,
de sport, d’une famille rongée de sourdes rancœurs avant de finalement quitter
sa banlieue de Chicago pour Dieu sait où. La recette est simple : Vous prenez un
père mourant hanté par le sourire qu’il n’a pas su faire naître aux lèvres de
sa femme, vous y ajoutez une fille fantasque qui souffle le chaud et le froid
sur les braises d’un amour qui se rêve fusionnel, une mère monténégrine belle
et sage, un supposé père que sa fille soutiendrait à bout de bras, des copains
qui évoluent chacun à leur manière et qu’obtenez-vous ? Une bouse infâme si vous n’avez le talent diabolique
de Steve Tesich.
Parce qu’ici, comme dans toute œuvre littéraire, l’intrigue
n’est rien. Tout est dans le talent de l’auteur à nous entraîner dans le monde
qu’il crée, à nous faire partager les émotions et sentiments de personnages que
son art parvient à faire quitter le monde de la fiction pour leur donner, l’espace
d’une lecture, une existence tangible, émouvante, sinon vraie du moins
vraisemblable. De ça je donnerai un exemple. Au tout début du roman, Daniel
Price, alors qu’il vient de perdre une compétition de lutte voit s’éloigner la
voiture de son entraîneur qui l’a déposé à un carrefour ou aboutit la rue où sa
vie basculera. Tesich précise : « Son feu arrière gauche était
cassé ». Détail superfétatoire : nous ne sommes pas dans un polar :
que le feu arrière gauche soit cassé n’a
aucune importance. On n’en parlera jamais plus. Seulement, en le mentionnant, Tesich
ancre son récit dans le vraisemblable, nous entraîne, illusionniste qu’il est,
à croire en la réalité de sa fiction. Ça, c’est de l’art et du beau !
Alors, chef-d’œuvre ? Pas Chef-d’œuvre ? Je n’en
sais rien et je m’en fous. Ce livre a su faire naître en moi une foule d’émotions.
N’étant amateur ni de tableaux d’honneur ni de hit parades, je dirai simplement que j’ai passé à sa
lecture d’excellentes heures et que je ne saurais trop encourager ceux qui m’accordent
un peu de jugement et de goût à le lire.