Peut-être vous
inquiétâtes-vous de mon silence d’hier. En ce cas vous ne seriez pas seuls car
m’est parvenu du district de Jinst (province de Bayankhongor), ce matin même, un mail s’enquérant des raisons de mon
mutisme. Je me contenterai donc de
retranscrire ce message et ma réponse.
A vous, illustrissime
maître dont la pensée illumine le Monde, respectueux salut !*
Les ténèbres ont
envahi mon âme, mon samedi fut triste comme des funérailles de belle-mère sans
lait de jument fermenté : tout au long du jour, j’ai, faisant les cent pas
dans la yourte, attendu vos paroles de sagesse. En vain ! L’angoisse m’étreint
et, comme la saïga tartarica ivre qui bondit en tous sens dans les steppes
mongoles, mon esprit s’est perdu en tristes conjectures : seriez-vous malade ?
Un accident vous aurait-il ôté la vie ? Le dictateur Hollande vous retiendrait-il
en ses geôles ? Rassurez-moi vite si vous le pouvez !
Bisous enfiévrés** de votre
féal Nambaryn
*Le Mongol est de jugement très sûr.
**Il se montre parfois un peu trop affectueux et
familier!
Mon Cher Nambaryn,
Rassurez-vous : rien de ce que vous craigniez ne s’est
produit. Si je me suis trouvé éloigné de mon clavier, c’est qu’un incident
domestique, de ceux qu’heureux nomades vous ignorez, m’est advenu. Dimanche
dernier, après que j’y eus nettoyé pinceaux et rouleau, les bacs de mon évier refusèrent
avec un entêtement de mazaalai* de se vider. Suspectant le syphon d’être bouché, j’entrepris de le
démonter, provoquant ce faisant un début d’inondation de la cuisine. Hélas, tel
n’était pas le problème ! Le
blocage venait de plus loin. Un flacon de déboucheur acheté le matin suivant se
montra inopérant. Je me résolus donc à acheter
un furet et en fis l’emplette sur
Internet. Entendons nous bien avant qu’on ne m’accuse de cruauté envers les
animaux : il ne s’agissait pas de l’adorable mustélidé domestique mais d’un
câble d’acier torsadé qui, introduit dans une canalisation, s’y faufile avec la
souplesse du mammifère éponyme et en
expulse les matériaux qui l’obstruent. Du moins en théorie. Ce vendredi, la zélée
préposée des postes déposa l’outil convoité dans ma boîte à lettres. N’ayant relevé ladite boîte qu’au soir, je
remis donc l’opération au matin suivant. Armé de mâle décision et de mon furet,
le lendemain je m’attelai à ce que je pensais devoir être une simple formalité.
Et c’est là qu’un destin cruel m’infligea une première désillusion. La
souplesse du câble se montra incapable de passer avec succès le troisième coude
du conduit de 40 mm. Une âme forte ne se laisse pas ainsi décourager ! Je
décidai de prendre l’ennemi à revers en démarrant du regard ou les différents
conduits convergent avant que leurs flots ne rejoignent la fosse. Les conduits
étant alors de 100 mm, l’introduction du furet en fut facilitée. Comme vous
dites à Jinst, ça rentra comme papa dans maman. Sauf qu’en l’occurrence, maman
s’avéra après quelques mètres complètement bouchée. Ajoutant un crochet au bout de mon furet, je
le fis tournicoter en tous sens
arrachant des morceaux d’une
matière gluante et putride propre à faire vomir un rat des steppes mort. Mais l’évier
continua de refuser de se vider. De nouvelles tentatives firent naître un fol
espoir : de gros blocs de matière innommable se détachèrent d’un coup me
faisant croire à la disparition du bouchon maudit. Hélas, il n’en était rien. C’est
alors qu’une idée me vint : et si au lieu du furet, j’introduisant le
tuyau d’arrosage dans le conduit et y faisais couler de l’eau ? Ce qui fut
fait mais malgré un relatif succès, l’eau
ne s’écoulait toujours qu’à regret. Je
pris alors une décision héroïque : si c’était à un coude que se trouvait l’obstacle, pourquoi ne pas
creuser à l’endroit où était censé se
trouver ledit coude, couper le conduit, et en extirper l’immonde masse gluante.
Aidé de ma fidèle compagne, nous creusâmes. Une heure d’efforts nous permit de dégager
un conduit. Hélas, après vérification, nous dûmes constater qu’il s’agissait de
celui qui évacue l’eau des gouttières. C’est
alors que du fond de ma mémoire surgit une vision : celle du fils de mon plombier
forant avec force plaintes et ahans, à l’aide
d’une énorme chignole le mur de la maison afin qu’y passe le conduit d’évacuation
de l’évier. Il y avait donc un autre accès pour prendre l’ennemi en traître. Après
le repas, je me mis à creuser à l’endroit supposé et mis bien vite à nu le
raccordement. Un saut au magasin de bricolage me permit d’acquérir le matériel
nécessaire à la subséquente réparation du conduit et, une fois le raccord
coupé, nous attaquâmes le félon par derrière. Furet, tuyau furent des heures
durant mis en œuvre. Le succès se fit attendre. Et puis, finalement lors d’une énième
tentative de vidage d’évier d’inquiétants borborygmes s’échappèrent du regard avant qu’un flot liquide ne l’atteigne, charriant d’énormes masses de nauséabonde matière. L’évier s’était vidé bien
vite. De nouveaux essais confirmèrent le désengorgement.
Il était tard mais nous avions vaincu. N’est-ce pas là l’essentiel ?
Ainsi s’explique mon silence.
Vous espérant rassuré, je vous prie d’agréer, Cher Nambaryn,
avec mes remerciements pour votre bienveillante sollicitude, l’assurance de mes
sentiments dévoués**.
*Ours de Gobi
**Gardons nos distances !