M. Baudis est mort hier. De lui, je me souviens surtout de
ce jour de 2003 où, accusé de proxénétisme, viol, meurtre et actes de barbarie
par des prostituées toulousaines, il apparut à la télévision, le visage inondé
de sueur, visiblement dévasté par ces accusations. Je me fis alors une
réflexion qui peut paraître curieuse à savoir que j’espérais qu’il était
coupable. Pourquoi ? Eh bien parce que se trouver en butte à de telles
calomnies, voir que celles-ci peuvent être reprises par des organes de presse
qui, pour telle ou telle raison, ne seront pas présentées pour ce qu’elles sont,
à savoir d’invraisemblables mensonges, est une épreuve que je ne pouvais
concevoir que l’on puisse imposer à quiconque. Parce que relayer de pareilles
rumeurs avant que leur véracité ou au moins leur probabilité ne soit étayée est
purement inadmissible et injustifiable. Le fait que l’accusé soit un personnage
éminent, donne un retentissement inouï à l’affaire. Après tout, si on calomniait
de la même façon une postière de Romorantin ou un charcutier de Nevers, les dommages
subis par ces personnes seraient aussi
dévastateurs même si, que ce soit au moment de l’accusation ou de la
disculpation, l’écho qu’on leur
donnerait serait bien moindre.
Sur la RSC ™, j’ai
entendu lors de l’annonce de son décès, dire qu’il s’était, lors de cette prestation
télévisuelle, «défendu maladroitement » ou « comme un coupable ».
Les auteurs de ces commentaires sont bien
mignons. Ils font de plus preuve d’une pénétration, d’une perspicacité et d’une
connaissance profonde de l’âme humaine. A ceci près qu’ils confondent la vraie
vie et la vision qu’en donne Walt Disney. Il est vrai que s’ils ne vivaient pas
dans un monde de féérie on ne les garderait pas dans cette station où « La
voix est libre » (du moins pour certains). Dans leur monde rêvé, le visage
du coupable démasqué se couvre de sueur, il balbutie. L’innocent, lui, garde une attitude sereine
face à des accusations qu’il sait infondées, tout au plus exprime-t-il une
juste colère (et encore…). Je n’ai pas la naïveté de ces âmes candides. J’aurais
même tendance à penser qu’il se passe tout le contraire.
Supposons que je me sois rendu coupable de proxénétisme,
viol, meurtre et actes de barbarie. Il se peut donc que de ce fait ma candeur
ne soit que très relative. Il est même concevable que ma moralité soit
imparfaite. Tout bien pesé, qu’est-ce qu’un petit mensonge pour qui n’hésite
pas à violer, tuer et agir en barbare ? D’autre part, ayant commis ces
actes, j’ai eu tout loisir de penser à organiser ma défense au cas où une
justice vétilleuse se risquerait à évoquer ces peccadilles.
Au contraire, si j’étais un innocent pourvu d’un certain sens moral, le fait de me
voir accusé de crimes horribles, sans que rien ne m’ait préparé à cette
éventualité, me pousserait à me montrer démuni, à « mal »
réagir, à ne pas bien appréhender ce qui m’arrive. Mon comportement risquerait
donc de paraître suspect aux
spécialistes de l’école disneyenne…
C’est pourquoi l’innocent fait souvent un coupable tout à
fait convenable tandis que le criminel endurci paraît d’autant plus innocent
que sa perversité et sa rouerie sont
profondes.
Au delà du cas particulier de l’ « affaire Baudis »,
ce qui me paraît grave c’est que la presse puisse relayer des accusations non étayées qu’elles émanent de « fuites »
dues à des magistrats aux motivations douteuses ou de sources éminemment
contestables. Combien d’ « affaires » n’ont pour origine que l’absence
de déontologie et l’esprit partisan de qui les « révèle » ? Mais
le but de certains n’est-il pas avant tout de détruire leur victime? Comme
le dit si bien l’air du Barbier de Séville, d’abord vent léger, la calomnie, si
tout se passe bien, amène le calomnié à en crever.
Pour parodier le nègre de Surinam de Voltaire, « c’est
à ce prix que vous vendez du papier en Europe » (et ailleurs.).