Cette anecdote, dont l’intérêt est contestable*, m’est
revenue suite à un court échange sur le
blog de Didier Goux concernant les accents provinciaux. Elle démontre qu’il
suffit parfois d’une variation infime pour qu’un énoncé devienne inintelligible.
Je venais, pour les marchés, d’acheter un beau camion tout neuf
à Saint-Aignan-sur-Cher, charmante petite ville aux confins du Berry, de l’Orléanais
et de la Touraine. C’était il y a plus de trente ans, avant qu’elle ne devienne
mondialement célèbre en tant que centre d’accueil du panda géant en France. Or donc, j’y avais fait l’emplette d’un
fourgon Daily Iveco qui comblait mes
désirs et exaltait ma fierté. Sauf que (aucun bonheur n’est sans nuage !) il
avait un petit défaut : les bougies de préchauffage de son moteur diesel
avaient une fâcheuse tendance à rendre l’âme très rapidement. Le camion étant
sous garantie, les gens du garage les changeaient sans rechigner, seulement il
me fallait tous les trois-quatre matin parcourir 30 kilomètres aller-retour
pour ce faire et à l’époque j’étais très
occupé. Il fallait trouver une solution.
Lors d’une visite au garage pour un Nième remplacement de
bougies, j’exigeai de voir le chef d’atelier et lui exprimai mes griefs. Il
comprit d’autant mieux mon problème que cette anomalie finissait par faire
exploser le budget bougies du garage. C’est alors que, envisageant les diverses
causes possibles du phénomène, il me posa cette question qui me plongea dans
une perplexité sans fond : « Vous l’avez augé ? »
Croyant avoir mal entendu, je le priai de répéter. J’entendis de nouveau « Vous l’avez augé ? ».
Mon visage dut prendre cette expression de
stupidité perplexe qui caractérise l’idiot
confronté à un problème qui le dépasse
tandis qu’une foule de questions se bousculait dans mon esprit : Qu’est-ce
que ça veut dire « auger » ? Eût-il été sage, utile, voire
essentiel que je l’augeasse ?
Peut-on auger soi-même ou l’augeage est-il œuvre de spécialiste ?
Mon interlocuteur perturbé à son tour par mon mutisme effaré face à une question si simple renouvela
sa requête sans plus de succès. Il prit alors ce ton que l’on adopte face à un
arriéré profond. Et, tout en mimant l’action, il la reformula : «
Quand vous lavez votre camion (le pauvre ignorait ma répugnance quasi-maladive à
ce genre d’activité), vous le passez au jé ? ». Euréka, m’écriai-je
in petto ! En fait, sa question était « Vous lavez au jet ? » !
Je répondis bien entendu que non, recouvrant illico l’expression d’une personne plus ou
moins normale et dirigeant ipso facto l’enquête vers de nouvelles conjectures.
Contrairement au « parisien »
(en fait, banlieusard) que je suis, dans bien des provinces, les locuteurs négligent l’opposition « e
ouvert »/ « e fermé », n’utilisant que ce dernier. Ça ne
pose généralement aucun problème vu que le contexte permet de lever toute ambigüité :
quand on vous dit que les vaches donnent du lé, il ne vous vient que rarement à
l’idée qu’elles produisent des largeurs de papier peint ou d’étoffe. Quand le
contexte n’est pas éclairant, cette opposition phonémique peut révéler toute sa pertinence…
Voilà, c’était notre petite parenthèse linguistique du
dimanche, jour que je vous souhaite agréable et riche en aventures et exploits
divers.
*J’anticipe ainsi l’éventuelle critique de M. Léon, mon troll
en résidence, qui se fait rare ces derniers temps.