Les périodes de fêtes sont particulièrement favorables à la
réflexion. En effet, foie gras, escargots, huitres, saumon fumé, chapons,
fromages et bûches sont des aliments qui, consommés sans modération, stimulent
les neurones. Les vins blancs, liquoreux ou secs, les bordeaux, les bourgognes,
les vins de Loire, le Champagne (quoiqu’en apéritif je reste quoi qu’il arrive
fidèle au whisky) ne font qu’accentuer les effets bénéfiques de ces aliments.
Après deux jours de ce régime stimulant, une idée s’est donc
imposée à mon esprit dont la clairvoyance déjà élevée en temps ordinaires a atteint
des degrés rarement égalés : la plupart des crimes dont souffre notre
société sont le fait d’INDIVIDUS. Écoutez les infos : il n’y est, quand il
s’agit de méfaits, question que d’individus. L’individu s’introduit chez les
braves gens pour les déposséder de leurs biens, il assassine, viole, frappe,
torture, escroque, écrase (en état d’ivresse de préférence) les enfants, muni d’armes
de guerre il exécute froidement de
paisibles dealers. Je ne serais qu’à moitié étonné si l’on parvenait à établir
que ces féroces soldats qui naguère venaient jusque dans nos bras égorger nos
fils et nos compagnes étaient en fait des individus qui ne mugissaient dans nos
campagnes que pour donner le change.
Or donc, comment expliquer qu’alors que ces êtres sans aveu
se livrent chaque jour à des exactions sans nombre rien ne soit fait pour éviter
qu’ils ne nuisent ? Ne faut-il pas voir là une preuve supplémentaire du laxisme de
gouvernements qui plutôt que de s’attaquer aux véritables problèmes choisissent
d’en distraire notre attention avec des
questions sociétales aussi futiles que le mariage pour les étrangers ou le vote
des homosexuels ?
Il serait tentant de le croire. Le problème c’est qu’il est
souvent difficile d’identifier un individu avant qu’il ne passe à l’acte.
Ainsi, M. Chombier, jusqu’à ce qu’il massacre l’équipe du service de comptabilité analytique de son entreprise à
coups d’agrafeuse est un être « normal ». Rien en lui n’annonce l’individu.
Interrogez ses voisins, les commerçants de son quartier et ses collègues
survivants : rares seront ceux qui déclareront avoir eu le moindre soupçon
sur sa capacité à commettre cet affreux carnage. Ils iront même jusqu’à dire
qu’il n’avait pas la tête à ça. Ce qui me laisse un rien rêveur : quelle tête
devrait avoir quelqu’un susceptible de défoncer le crâne de ses collègues à
coups d’agrafeuse ?
Bref, l’individu est soit indiscernable soit dissimulateur ou
sournois. En fait, j’en viens à me demander si ce n’est pas le crime qui fait l’individu
plutôt que l’individu qui commet le crime. Pour ceux qui auraient réveillonné léger je m’explique :
il se pourrait bien que police et journalistes nomment « individus »
des gens auxquels ils n’auraient pas attribué cette qualité s’ils n’avaient
commis aucun méfait. Ainsi M. Chombier ne quitte sa qualité de comptable pour celle
d’individu qu’après ce regrettable massacre.