Pour filer la métaphore météorologique esquissée
précédemment, l’orage n’éclate pas en plein ciel bleu. Ce dernier se voile puis
se couvre avant les premiers éclairs.
Dès le début 85, ça devient moins lumineux : après un
bon départ, Bourges stagne. Des concurrents ouvrent. Rien de catastrophique,
mais quand même. Bien que sachant que, du fait du surcroît de charge de
personnel, nos revenus vont forcément baisser, nous faisons un pari. Fort de
notre excellent bilan de juin 84, nous décidons au printemps d’emprunter pour
d’acheter une belle maison avec un grand parc. Pour en payer les traites, il
faudra bien se manier un peu le cul : ça nous boostera !
Comme prévu, le bilan de juin 85 est moins bon : nos
revenus sont divisés par deux. Fin 85 M. Bérégovoy nous envoie sa
« petite » note : il n’y va pas avec le dos de la cuiller, le
vilain petit binoclard. C’est quand même
un peu plus de 36 % du total de nos revenus de 84 qu’il nous réclame ! A
payer avant le 15 mars 86 ! Le plus gênant, c’est comme je l’ai dit que
notre bel argent de 84, on l’a réinvesti. Et que la somme réclamée représente
pas loin de 75 % de nos revenus de 85 !
Je vais expliquer tout ça à la dame de la perception. Elle
est gentille et compréhensive comme tout. Elle m’accorde de payer ça en dix
mensualités…
Seulement, rien ne s’arrange. A Bourges comme à Châteauroux
la concurrence s’accentue. Les chiffres se maintiennent mais pour y parvenir il
faut faire de plus en plus de promos et qui dit promos dit plus de pub pour les
faire connaître. Marges en baisse pour causes de promos, frais en hausse pour
cause de pub, on finit par ne plus rien gagner. Il devient de plus en plus
difficile de faire face aux échéances…
Le paiement des
impôts s’avère impossible à assurer. Surtout que ceux sur 85 sont venus s'y ajouter. Les pénalités tombent, s’accumulent.
Désormais on ne fait que courir après la trésorerie. Ça va durer deux ans et
demi .
Je vous épargnerai les détails. On fermera Bourges, on
licenciera, on vendra la maison, la belle auto… Tout foutra le camp,
inexorablement… Nos fournisseurs principaux, connaissant eux-mêmes de gros
problèmes bradent leurs marchandises aux concurrents. Commencera la ronde des
huissiers, des traites impayées, des négociations dont on sait à l’avance qu’on
ne pourra tenir les termes, des montages financiers douteux.
Ça c’est pour
l’objectif. Seulement le bonhomme, à force de voir s’écrouler tout ce qu’il
avait cru construire, il est en bien piètre état. Il déprime, ce con. Idées
noires et tout. Heureusement qu’il a une fille ! La dame, elle va
beaucoup mieux. D’aciers qu’ils sont ses
nerfs. Elle s’en fout de laisser un trou de 500 000 ou d’un million de
francs. « On ne nous donnera pas une médaille pour avoir limité les
dégâts » qu’elle dit. Mais le
monsieur, ne voit pas ça comme ça. Il voudrait qu’on arrête le cirque, après
avoir planqué un peu de sous en vue d’un autre départ. Elle ne veut rien savoir
et le commerce est à son nom… Du coup, celle qu’il avait pendant plus de dix
ans considérée comme sa planche de
salut, une source de force et de bonheur devient à ses yeux une ennemie qui
l’entraîne irrémédiablement vers des profondeurs dont il ne voit pas comment il
pourra s’extraire.
En janvier 89, ça s’arrêtera. Enfin et bien tard. Je suis en
miettes, voire en purée. Quelques mois après ce sera la séparation. Plus de
boulot, plus de femme, plus de logement, plus un rond. Un stage de commerce international à Brive, puis le départ pour Londres seront
les premières étapes d’une longue et lente reconstruction.
Bon, c'est pas bien gai tout ça. Pour détendre l'atmosphère, en guise de conclusion, je citerai quelques vers du joyeux Louis Aragon :
Bon, c'est pas bien gai tout ça. Pour détendre l'atmosphère, en guise de conclusion, je citerai quelques vers du joyeux Louis Aragon :
Rien n'est
jamais acquis à l'homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux