Jeudi dernier, en compagnie de ma
fille, nous allâmes visiter la collégiale Saint-Évroult de Mortain
avant de visiter, à Gers, le musée régional de la poterie. Visites
intéressantes s'il en fut. La collégiale est magnifique. Fondée en
1082 par Robert, Comte de Mortain et frère de Guillaume qui cessa
d'être surnommé le Bâtard en conquérant l'Angleterre. Tout en
visitant l'église, nous extasier sur sa beauté ne nous empêcha pas
de deviser. C'est alors, que, me trompant de Robert, je dis à ma
fille que ce brave homme avait combattu son frère à la bataille de
Tinchebray. Colossale erreur !
Notre Comte de Mortain ne fut vaincu
par aucun de ses frères, c'est son neveu, fils de Guillaume et
surnommé Courteheuse (courte botte car, petit il portait des bottes
à sa taille) que son frère, roi d'Angleterre, Henri 1er Beauclerc
défit dans cette bourgade voisine d'où je vis avant de le garder
prisonnier jusqu'à son trépas survenu à l'âge canonique de 8o ans
passés.
Il faut dire que ce Robert était un
peu turbulent. Très jeune il se révolta contre son papa et aurait
même blessé Guillaume lors d'une bataille. Peut-être est-ce pour
cela que le Conquérant, préféra que son frère cadet Guillaume le
Roux lui succédât. Mais Robert ne se résigna pas à n'être que
Duc de Normandie, occupation pourtant prenante vu qu'à la mort de
son père, les barons normands eurent le front de contester son
autorité et qu'il lui fut pour le moins difficile de la rétablir et
d'empêcher les guerres privées. Il se trouve que Guillaume le Roux
convoitait autant le duché de son frère que ce dernier désirait
son royaume.
Une révolte de barons échoua à
renverser Guillaume II et, mauvais coucheur, il débarqua avec son
armée en Normandie. Mais parce qu'une bonne alliance vaut mieux
qu'une mauvaise guerre, les frères se réconcilièrent, se
désignèrent héritier l'un de l'autre par le traité de Caen et
s'entendirent pour tenter de récupérer les terres que leur benjamin
Henri Beauclerc possédait en Normandie. L'alliance ne dura pas.
Robert dénonça le traité. La guerre reprit. Nous étions en 1096.
Un légat du pape parvint à calmer le jeu : moyennant une forte
somme lui permettant de lever une armée pour aller délivrer le
tombeau du Christ, Robert partit pour la Palestine, laissant
l'usufruit du duché à Guillaume. Ce n'est qu'en 1100 que le duc
revint.
Un mois auparavant, Guillaume avait
cessé de vivre, ne laissant aucun héritier. Henri, en fourbe qu'il
était, s'était empressé de se faire couronner. Cela n'eut pas
l'heur de plaire à Robert qui débarqua à Portsmouth avec son
armée. Henri se porta à sa rencontre mais la bataille n'eut pas
lieu. On lui préféra un traité par lequel Henri abandonna à son
frère ses terres normandes, lui concéda une rente annuelle de 3
000 mille livres moyennant quoi Robert renonça à la couronne.
Évidemment, ce traité ne fut pas respecté, les actes belliqueux
alternèrent avec des réconciliations sans lendemain jusqu'en 1105
où Henri Beauclerc, débarqua en Normandie avant de livrer le 28
septembre1106 la bataille décisive de Tinchebray qui lui permit de
s'approprier le duché et, accessoirement de capturer son frère
qu'il garda prisonnier 28 ans durant avant que la mort ne le délivre.
J'ai pris un vif plaisir à me promener
dans la vie de ces trois frères. Je ne vous en livre qu'un résumé.
L'existence de chacun d'eux est passionnante, riche en
rebondissements. Y apparaissent une foule de personnages
secondaires, cupides, intrigants ou débauchés (quand ils ne sont
pas les trois) qui montrent si nécessaire que la politique
d'aujourd'hui est bien terne comparée à celle des XIe et XIIe
siècles et que les conflits familiaux ne datent pas d'hier.