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mardi 25 février 2014

La vente (Fable moderne)



Gilbert  était amoureux. Pas juste un petit peu, non : amoureux fou. Il ne pensait qu’à elle, lui trouvait toutes les qualités, doutait qu’il put en exister de plus belles, de plus tendres, de plus douces, de plus fines, de plus gaies, de plus tout ça… Et évidemment elle ne l’aimait pas. Sinon où eût été le problème ? Ils se fussent livrés dans un premier temps à d’effrénées  galipettes, les premiers feux passés, ils eussent envisagé un avenir radieux à base de pavillon de banlieue et de Renault Clio, un ou deux rejetons seraient plus tard venus parfaire leur félicité avant qu’ils ne divorçassent ou ne poursuivissent ensemble leur chemin dans un bien être mou teinté d’ennui. La vie, quoi.

Hélas, Marguerite, car tel était le délicieusement suranné prénom de son  aimée, si elle le considérait comme un agréable compagnon avec qui partager sorties et confidences, lui avait d’emblée signifié qu’elle n’envisageait rien de plus avec lui qu’une douce amitié. Loin  de doucher ses ardeurs, cet aveu ne fit que le consumer davantage de ce genre de feu qui brûle d’autant mieux que les frustrations l’alimentent. Il avait tout essayé pour qu’elle en vienne à  partager sa passion. Il pouvait se montrer prévenant, généreux, humble, soumis, enthousiaste, serviable, attentionné à son endroit, ça ne changeait rien. Tout au plus se félicitait-elle que la vie lui eut offert un tel ami à qui conter ses turpitudes autour d’un bon repas.

Un jour qu’il cherchait des informations sur Fausto Coppi (car il s’intéressait à l’histoire du cyclisme, c’est vous dire a quel point sa personnalité était fascinante), suite à une erreur de frappe, il se retrouva sur une page de résultats de recherches consacrée à Faust. Il lut la partie de l’article de Wikipedia consacré à la version qu’en donna Goethe. L’histoire du vieux savant et de Marguerite (quel hasard !) malgré son côté grandguignolesque (ces allemands, tout de même !) lui apparut comme un signe du destin. Et si, afin de séduire sa Marguerite, il vendait son âme au diable ?

Seulement, encore faudrait-il qu’il ait un contact. Car les Méphistophélès se font rares de nos jours et ne semblent plus venir proposer leurs services à grand monde. Nullement découragé, il se dit que si le diable était aussi malin qu’on le dit, il aurait probablement aujourd’hui un site Internet. De ses doigts fiévreux, il tapa dans google les mots clés Méphistophélès+achat+âmes. 192 000 pages furent trouvées en 0.36 secondes. Ecarter celles qui parlaient de l’œuvre de Goethe ou qui n’avaient aucun rapport avec sa quête lui prit beaucoup de temps. Mais Gilbert était patient. Il finit par dénicher au milieu de tout ce fatras ce qu’il cherchait : le site « Méphisto’s France SA.fr, achats en tous genres, Gros, Demi-Gros, Détail (le Diable s’y trouve, comme chacun sait) ». Cliquant sur « Nous contacter », il envoya un mail demandant un rendez-vous avec M. Méphisto afin de l’entretenir d’une affaire importantissime et sur lequel il indiqua son numéro de portable et son adresse. Il reçut presqu’immédiatement un mail. La célérité de la réponse lui parut de bon augure. Hélas, ce n’était qu’un simple accusé de réception lui signifiant que le service commercial de Méphisto’s SA prendrait au plus tôt contact avec lui.

Dès lors, la vie de Gilbert ne fut qu’une longue attente. Jour et nuit il espérait un appel, un mail, une lettre. Après quelques spams, quelques pubs, quelques appels de Marguerite, le moment tant attendu arriva  sous la forme d’un coup de téléphone.

-          Bonjour, pourrais-je parler à M. X (il s’agit d’un pseudo !), s’il vous plait ?
-          Lui-même.
-          Ici  Isabelle Y (encore un pseudo), je suis l’assistante commerciale de M. Méphisto, vous nous avez contacté au sujet d’une transaction. Pourriez-vous nous préciser ce que vous désireriez nous vendre ?
-          Eh bien, Mme Y, c’est un peu délicat, répondit Gilbert embarrassé, j’aimerais vendre mon âme au diable en échange de l’amour d’une jeune femme de ma connaissance…
-          Vous voudriez nous vendre votre âme ? Êtes-vous un leader d’opinion,M. X ?
-          Un leader d’opinion, non pourquoi, interrogea Gilbert, intrigué ?
-          Eh bien, cher Monsieur, parce que nous n’achetons plus qu’une catégories d’âme : celles des leaders d’opinions, politiciens, hommes de média, intellectuels influents, car ils mènent les foules sur des chemins qui conduisent à coup sûr à l’enfer. Le tout venant, grâce à eux,  est suffisamment perverti  pour que nous les obtenions suite à une décision de justice, je veux parler du jugement dernier,  sans bourse délier. Paieriez-vous pour obtenir ce que vous avez pour rien, M. X ?
-          Bien sûr que non, Mme Y, bien sûr que non.  Mais si j’étais un saint, une âme pure, une exception, mon âme vous intéresserait-elle, s’enquit x, s’accrochant à ce mince espoir ?
-          Voyons, M. X, soyez un peu logique : si vous étiez un saint, il ne vous viendrait pas à l’idée d’échanger votre salut éternel contre quelques parties de jambes en l’air, c’est plutôt le fait de porcs libidineux ça,non ?
-           
X en convint, exprima à  Mme Y ses regrets de l’avoir inutilement dérangée avant de tomber dans des abîmes de réflexion. Et il arriva à la conclusion que, dans le fond, une âme, c’est un peu comme un cul : il ne suffit pas d’être prêt à les vendre, encore faut-il trouver preneur. Ce qui n’est pas gagné d’avance quand on en trouve autant qu’on veut gratuitement.

Quelque temps plus tard, Marguerite convola en justes noces avec un voyou qui la rendit malheureuse mais qu’elle n’aurait quitté à aucun prix. Se trouvant ainsi délaissé, Gilbert se consola en fréquentant davantage Robert, le jeune frère de son amour perdu. Il avait le même charme, la même grâce, le même allant, la même gaité, le même tout ça... Quand Robert le couvait de ses yeux de biche enamourée, Gilbert se sentait fondre. Ce qui devait arriver arriva. Ils se marièrent et, grâce à la GPA, eurent beaucoup d’enfants qui après leur divorce furent confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance.

On dira ce qu’on voudra, mais à notre époque, les histoires d’amour finissent bien mieux que du temps de cette vielle baderne de Goethe !

15 commentaires:

  1. Merveilleuse parabole et combien vraie!
    Le Diable n'est plus ce qu'il était, le mariage encore moins et du coup la vie devient plus confortable.
    Bien sûr, tout le monde ne peut se satisfaire de Robert en guise de Marguerite mais, pour ceux qui ont cette chance insigne, la société d'aujourd'hui sait se montrer aimable...Les autres n'ont qu'à se brosser.
    Amitiés.

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  2. De toute façon faut être fou ou bien diminué pour vouloir se marier avec Cécile Duflot.

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  3. c'est excellent ! vous devriez écrire des fables...(mais en vers, cher ami, en vers !!! - oui j'ose le cher ami bien que je ne vous connaisse point et que point n'aurons l'heur de nous rencontrer, vous qui habitez dans des contrées humides du noroit battues par lesvents tandis que je demeure bien plus au sud,sur la douce côte Atlantique tout aussi humide et battue par les vents...
    signé Jean de la F


    signé Jean de F

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    1. Merci, Jean de F. Mettre en vers pourquoi pas ?
      Allez, tiens, on essaie :

      Le cœur du beau Robert d’amour se consumoit
      Pour gente Marguerite qu’en secret convoitoit.
      Hélas pour lui la belle n’éprouvoit qu’ amitié
      Ce de quoi son amant estoit bien désolé.
      Un jour que sur le net des recherches faisoit,
      Que sur Fausto Coppi renseignements querroit
      Le hasard le mena, triste fatalité,
      A lire du vieux Faust qui, par diable tenté,
      De la gente Gretchen les faveurs recherchoit
      Et qui par Méphisto démon qui tant l’aidoit
      Vit bientôt son espoir de succès couronné.
      Sitot se mit en tête Robert l’enamouré
      De la même manière, ce qui folie estoit,
      Conquérir le coeur de celle qu'il tant aimoit.

      Sur Google, là où tout est vite trouvé,
      Le nom de Méphisto, fut aussitôt cherché.
      Son écran afficha, sans qu’il fût étonné,
      Moult pages où ce nom se trouvait mentionné.
      Après longue patience, il était obstiné,
      Parmi tout ce fatras un site il a trouvé :
      Méphisto’s France S A il se trouvoit nommé.
      Aussitôt un e-mail à cette société
      Par notre bon Robert se trouva envoyé.

      Hélas pour ce récit en vers reformuler
      Et lui donner plus noble forme que la prose
      Il me faudrait beaucoup de temps y consacrer
      Et pour cela bien d’autres soins abandonner
      Mais vu que le soleil s’est remis à briller
      Et qu’il serait grand temps, pour qu’éclose la rose,
      Que je me misse vite à mes rosiers tailler,
      Je vais donc à regret ce labeur terminer…

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  4. Vous êtes doué, mon cher Jacques !
    Je vous fiche mon billet que cette histoire intéresserait au plus haut point notre ministre de la "rééducation nationale" afin d'en assurer la diffusion dans les classes maternelles, pardon ! les premières classes.
    Car ainsi que vous le savez, comme nous manquons de personnes homosexuelles dans ce pays, tout ce qui peut inciter un crétin d'hétéro à virer sa cuti est pain bénit.

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    1. Vous êtes doué, mon cher Jacques !

      Encore un que "les belles lettres" vont devoir publier...
      Sont envahissants ces réacs !

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    2. Eh oui, je n'y peux rien : le ciel m'a bien doué
      Et ce n'est que justice de me voir tant loué !
      Si par ce beau récit un ministre charmé
      Voulait qu'en nos écoles il fût étudié
      Son jugement par moi ne serait contesté.
      Reste à voir à quel prix ça me serait payé...

      Bon je vais arrêter les vers, ça devient agaçant...

      @fredi : la publication ne fait pas partie de mes ambitions.

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  5. tout ça c'est bien beau mais vous ne nous dites pas si Madame Robert à appris à tricoter , c'est important tout de même dans un ménage

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  6. On comprend maintenant pourquoi la Fortune sourit aux politiques et aux histrions médiatiques (ce sont souvent les mêmes). Savoir se contenter de Robert quand on ne peut avoir de Marguerite ou de polaire quand le cachemire est hors de portée est le commencement de la sagesse.

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  7. Mais à qui ressemblent les enfants?

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    1. Vous soulevez là une question à laquelle je ne saurais répondre.

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