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lundi 16 juillet 2012

Le principe de la charrette




Ce principe est méconnu. Je pense même être le seul à l’avoir conceptualisé, du moins sous ce vocable, il y a déjà bien longtemps. Il tire son nom d’une histoire que j’avais entendue dans ma prime jeunesse. Je vous la livre avant d’en venir à l’énonciation du principe.

Précisons que cette histoire se passe en ces temps reculés où plutôt que de les obliger  à s’ennuyer au collège on contraignait les jeunes dès leurs tendres années à travailler. Âmes sensibles s’abstenir (d’ailleurs on se demande ce que pourrait bien faire une âme sensible dans un lieu si nauséabond).

Or donc, un matin, à l’heure de l’embauche, un gamin d’une douzaine d’années se tient à côté d’une charrette à bras lourdement chargée. Il est en bas d’une rude côte. Il semble rassembler ses forces pour attaquer la montée.
Vient à passer un brave ouvrier (l’ouvrier, en ces temps barbares était généralement brave et se déplaçait à pied). Il comprend immédiatement la situation et propose son aide au gamin, lequel accepte. Il saisit donc  les brancards et entreprend de tirer la voiture à bras, tâche qui s’avère difficile même pour un robuste travailleur. Essoufflé et suant, l’homme interroge le gamin qui monte à ses côtés, mains dans les poches et sifflotant.
-          C’est ton patron qui t’a confié cette charrette ?
-          Oui m’sieur !
-          Donner un tel travail à un gamin de ton âge ! Il n’a pas honte ?
-          Non m’sieur !
-          C’est vraiment dégueulasse ahane la belle âme !
-          Non, pas vraiment, lui répond le pauvre gosse.
-          Comment, ça ? Il faut vraiment être une ordure pour faire faire un tel travail à un enfant !
-          Comme vous y allez ! Une ordure ?
-          Oui, j’appelle ça une ordure dit l’offusqué, arrivant en nage en haut de la côte là où les marchandises doivent être livrées.
-          En fait, mon patron est très gentil avec moi.
-          Gentil ? Tu appelles ça gentil de  confier une tâche qu’un costaud à du mal à accomplir à un p’tit bout de chou comme toi ?
-          Oui, c’est lui qui avait  amené la carriole en bas. Il est parti en me disant : « Je te laisse maintenant, tu trouveras bien un con pour la monter à ta place ! »

Enoncé du principe : Qui sait attirer la pitié trouvera toujours un brave con pour accomplir à sa place les tâches pénibles.

La pitié n’est pas son seul moteur. L’exaspération peut la remplacer. Ainsi certaines personnes, persuadées d’être efficaces ne supportent pas de voir la maladresse d’autrui et, plutôt que de le voir crapahuter laborieusement, elles s’empressent de montrer leur savoir faire. Elles sont immédiatement récompensées de leurs efforts par le sentiment de  supériorité qu’elles en retirent.  

Quel que soit le moteur qui met en œuvre le principe de la charrette, il faut en user avec prudence dans le monde du travail. Sauf à occuper une position supérieure et en être indéboulonnable, y avoir trop souvent recours peut entraîner un renvoi pour incompétence, la vanité de l’aidant ayant ses limites. Dans la vie privée, en revanche, on peut l’utiliser sans modération.

Cynique ? Peut-être… J’ai tendance à considérer que les termes cynisme et pessimisme sont pour les idéalistes  des mots qui stigmatisent le réalisme. Mais c’est être bien cynique qu’écrire cela…


8 commentaires:

  1. Pourquoi écrivez-vous, cher Jacques, qu'on peut utiliser à l'envi ce principe dans la vie privée ? L'exaspération et la pitié seraient-elles de meilleures motivations dans la sphère privée ?

    Merci pour cette une fois de plus pertinente intervention.

    :)

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    1. Oh, il me semble que dans bien des couples l'un ou l'autre en usent sans modération...

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  2. Le principe de la charrette, c est maintenant à Aulnay. Un autre constructeur plutôt un carrossier avait pour emblème une charrette, la société Heuliez qui n'est pas en bonne forme malgré les mouvements de bras de l' ex au président normal, la lumière que le Monde nous envie.

    Bonne journée.

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  3. Voilà un principe que j'ai utilisé toute ma vie -avec
    parcimonie et circonspection toutefois- mais empiriquement et sans en connaître le nom scientifique.
    Je vous remercie chaleureusement pour cette précision cela
    me manquait beaucoup, je le constate maintenant.
    Amitiés.

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    1. Tant qu'on en use avec prudence, le principe de la charrette est source de bonheur tant pour l'aidé, soulagé, que pour l'aide, valorisé.

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  4. La charrette des cons damnés...

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  5. a priori anodin, cet article est saisissant de pertinence, plus fiable et démonstratif qu'une séance chez le psy. Je peux enfin continuer à être con, comme l'eau qui mouille et le feu qui brûle, il suffit de le savoir. merci

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