Ainsi M. Modiano vient à la surprise générale de se voir
attribuer le prix Nobel de littérature. Ce n’est pas rien. Le voici l’égal des Tomas
Tranströmer, Wisława Szymborska, Mo Yan pour ne citer que les plus prestigieux
lauréats de ces dernières années !
Ce qui rend la surprise moindre, c’est qu’il a écrit des
livres. Il eût été plus étonnant qu’il se fût vu attribuer le Nobel de
Médecine, de physique ou de macramé-pâte-à-modeler.
Mais je me montre moqueur. C’est d’autant plus condamnable
que j’ai été, un temps fut, un lecteur enthousiaste du grand Patrick. La Place de
l’étoile me l’avait révélé et j’ai encore dans ma bibliothèque treize de ses
romans, soit pratiquement tout ce qu’il a écrit entre 1968 et le début des années quatre-vingt dix.
J’aimais son style limpide, l’étrange ambiance qu’il savait créer avec ses personnages énigmatique évoluant dans
un monde interlope et sur lesquels planait l’ombre d’un passé trouble. De plus,
au fil de leurs déambulation, à condition de se munir d’un plan de Paris, on
pouvait, comme le souligna ironiquement je-ne-sais-plus-quel-critique, devenir
incollable sur le VIIIe arrondissement. Ce qui est utile à qui rêve de devenir
chauffeur de taxi.
Ce qui provoqua ma lassitude, c’est le curieux sentiment de
déjà vu que finirent par provoquer en moi la lecture des derniers romans que je
lus de lui. Je l’ai déjà dit, en matière de littérature, je suis atteint d’amnésie.
Un livre si beau soit-il, ne laisse en mon esprit quasiment aucune trace. Nom
des personnages, intrigue s’évaporent au
point qu’un esprit malin pourrait me soupçonner de n’avoir jamais rien lu. Accessoirement, je ferais bien piètre figure dans les salons où on cause littérature. Il m’arrivait
même d’acheter un livre que je possédais et avais déjà lu et de ne me rendre
compte de mon étourderie qu’en le rangeant à côté de son jumeau.
Avec Modiano, j’eus l’impression contraire : alors que
j’entamais son dernier roman paru, j’avais le sentiment de l’avoir déjà lu.
Sensation ressentie auparavant avec les
écrits de Pierre Benoit et Françoise Sagan. J’en vins à la conclusion qu’en
fait, il n’avait écrit qu’un roman qu’il déclinait à l’infini en en changeant le nom des personnages et en modifiant légèrement
leur itinéraire à travers le VIIIe. Je cessai donc de le lire.
Mon jugement est probablement outré. Surtout que cet unique
roman perpétuellement remâché est de qualité.
Toutefois, il y a une chose qui ne me lasse jamais chez cet
auteur : ses interviews. Son élocution hésitante, ses phrases jamais
terminées, ses perpétuelles corrections d’assertions non émises, le
labyrinthisme de sa pensée que cela révèle, me réjouissent. Je me demande l’effet
que les inévitables interviews que lui imposera la presse étrangère aura sur des auditeurs
non-avertis et plains d’avance les courageux traducteurs qui lui serviront de
truchement et dont l’aptitude professionnelle se trouvera à jamais remise en
cause…